Disparation du virus, épidémies cycliques... A ce jour, les prédictions ne sont que pures spéculations. © BELGAIMAGE

Coronavirus: faut-il vraiment craindre d’autres vagues ?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le risque de voir repartir l’épidémie est bien réel. Pour l’éviter, il faudra s’astreindre à une forte discipline collective et, selon des experts, augmenter encore l’efficacité du dispositif de déconfinement.

C’est une bonne nouvelle : la tendance est  » encourageante « , résume le professeur Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral et infectiologue au CHU Saint-Pierre, lors de son point presse du vendredi 15 mai. La courbe montre une décrue épidémique. Ainsi, au cours des sept derniers jours, le nombres de nouveaux cas positifs et d’hospitalisations baisse quotidiennement de quelque 8 %. Un facteur qui, en outre, reste particulièrement observé est le taux de reproduction du virus, son RO. Il correspond au nombre de personnes qu’un malade contamine. D’un peu plus de 3 en moyenne au début de la pandémie, il a chuté à 0,6 avec le confinement et les mesures sanitaires. Mais il semble être remonté légèrement, pour se situer à 0,8 aujourd’hui. Mécaniquement, c’est simple : avec la reprise, même limitée, des activités, la chaîne des contaminations va s’accélérer.  » Cette augmentation n’est pas inquiétante en soi, et passer de 0,6 à 0,8, cela ne change pas grand-chose, répond Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur à l’Ecole de santé publique de l’ULB. Ce qui serait préoccupant, c’est que cette hausse se poursuive pour atteindre une valeur égale ou supérieure à 1.  »

Les jours prochains, décisifs

Un niveau à partir duquel, dans toute épidémie, on estime que les transmissions grimpent. Rien n’indique que le RO gagne en vitesse. Les experts utilisent plusieurs modèles de prédiction et aucun d’entre eux, pour l’heure, ne montre un taux de contagiosité alarmant. Mais les chiffres ne seraient pas  » suffisamment bons, pas aussi bons qu’espérés « , note le professeur Marius Gilbert, épidémiologiste à la faculté des sciences de l’ULB et membre du groupe d’experts chargé d’élaborer la stratégie de sortie du confinement. Selon le scientifique, l’impact de la première phase du déconfinement, enclenchée le 4 mai, ne se lit pas encore dans les chiffres actuels. Ces derniers reflètent plutôt un  » relâchement  » datant du 24 avril, lié sans doute à l’annonce de ladite première étape. De fait, de par la lenteur du virus à se développer chez son hôte, il faut compter une dizaine de jours (la durée moyenne d’incubation) pour observer un effet, notamment sur le nombre d’hospitalisations. Les chiffres des jours prochains se révèlent donc prépondérants, puisque ceux-là indiqueront ce que nous avons fait de l’assouplissement des mesures depuis le 4 mai.

Les résultats sont trop tardifs et les personnes infectées continuent de contaminer leur entourage.

Au-delà, ces observations soulèvent cette question que tout le monde craint, celle de se voir confronté à une deuxième, voire à plusieurs vagues épidémiques. Quand il s’agit de l’évoquer, les experts affichent un air parfois irrité. Parce qu’ils considèrent que ce n’est pas le timing idéal dans la communication à l’égard du public. Reste aussi qu’ils ne s’accordent pas pour affirmer qu’il y aura d’autres vagues. D’ailleurs, aucun pays n’en connaît aujourd’hui, même en Asie, en avance de plusieurs semaines sur l’Europe.

D’un point de vue théorique, le principe tient la route. Une épidémie ne s’éteint pas faute d’hôtes à infecter – l’agent pathogène disparaît alors avec les malades qu’il tue -, mais par acquisition au sein d’un groupe d’une immunité collective. Cette dernière atteinte, elle bloque tout risque de résurgence de l’épidémie. Or, la résistance au Covid-19 est loin d’être acquise et se situe largement en dessous du seuil nécessaire, estimé par les épidémiologistes à au moins 60 % de la population.

Comme d’autres pandémies l’ont montré dans l’histoire, une immunité de groupe insuffisante expose à une ou plusieurs vagues suivantes qui font alors des ravages en l’absence de toute mesure de contrôle. Ainsi, au xive siècle,  » la peste noire revient par vagues régulières tous les cinq ans pendant un siècle « , indique le professeur Paul Bertrand, médiéviste au départe- ment d’histoire à l’UCLouvain. A mesure qu’elle circule,  » elle diminue en intensité. Il s’agit de la même peste, mais son bacille se révèle moins « dur », parce qu’il a subi de multiples mutations « . Autrement dit,  » un virus agressif, transmissible et persistant sur de longues périodes, ça ne s’est jamais vu dans l’histoire de l’humanité « .

Eviter le rebond dépend aussi de la capacité de la population à jouer le jeu.
Eviter le rebond dépend aussi de la capacité de la population à jouer le jeu.© BELGAIMAGE

La menace d’une deuxième vague semble non fondée. Il convient plutôt de parler de  » vaguelette  » ou de rebond de contamination.  » En épidémiologie, une deuxième vague, ça n’existe pas. Cela voudrait dire que nous aurions une courbe épidémique identique et aussi puissante que la première que nous avons connue « , explique Yves Coppieters.

Trois scénarios

Les virologues relèvent, en gros, trois scénarios possibles.

1 Au bout de six mois, le Sras-CoV-2 disparaît naturellement comme le Sras-CoV-1 en 2004, qui avait touché 8 000 personnes et entraîné 850 décès. C’est l’hypothèse à laquelle ils croient le moins.  » C’est un invariant en virologie : plus un virus est virulent, c’est-à-dire plus il tue ses hôtes, moins il possède de chances de persister, de survivre dans la nature « , détaille le docteur Steven Van Gucht, virologue chez Sciensano et président du comité scientifique contre le coronavirus. En clair, c’était bien le cas du Sras de type 1. Et, malgré leur lien de parenté, les deux virus présentent des caractéristiques très différentes. A l’inverse du Sras 1, le Covid-19 se révèle plus insidieux, plus contagieux, plus mortel. Il se loge dans le haut des voies respiratoires, le rendant plus infectieux.  » Le Sras de type 1 était plus virulent et il y avait donc moins de cas qui risquaient de passer inaperçus, puisqu’ils arrivaient rapidement à l’hôpital « , poursuit le médecin. Par comparaison, le Sras-CoV-2 aurait une grande affinité pour les cellules humaines. Raison pour laquelle un individu peut être porteur du Covid-19 sans présenter de symptômes ni développer la maladie. Pour autant, il peut le transmettre à d’autres. Enfin, le nouveau virus entraîne des excrétions virales avant l’apparition des symptômes, rendant les mesures de santé publique davantage complexes et difficiles.

L’hypothèse que le virus disparaisse naturellement : les virologues n’en sont pas convaincus.

2 Le Covid-19 persiste dans des réservoirs animaux et il revient contaminer l’homme de manière locale et sporadique. C’est le cas aujourd’hui du Mers, le corona- virus du Moyen-Orient, qui sévit depuis 2016 et a infecté plus de 1 000 personnes et en a tué 450. Plusieurs individus ont été contaminées par un dromadaire et ont transmis le virus en petits foyers épidémiques. Depuis, il demeure actif et limité à quelques zones endémiques.

Le Covid-19 pourrait-il lui aussi s’ajouter à la liste des virus endémiques ? On n’a pas encore trouvé l’animal à l’origine de l’épidémie. Il semble avéré que pour le Sars-CoV-2, le réservoir – l’animal qui héberge le virus – soit la chauve-souris. Cependant, on ignore précisément de quelle espèce. Le pangolin pourrait être l’hôte intermédiaire. Là encore, il s’agit d’une hypothèse et les scientifiques n’ont pas identifié avec certitude l’animal qui joue ce rôle. Quant aux félins et aux furets, on sait désormais qu’ils peuvent être infectées – ce qui ne signifie pas qu’ils puissent être des hôtes potentiels.  » Cela permet au virus de survivre dans l’environnement, comme d’autres virus diarrhéiques, relève Yves Coppieters. Mais il ne survit alors pas de façon épidémique et le nombre de malades reste constant.  » Dans le cas d’un Covid-19  » chronique « , les scientifiques rappellent que de nombreux projets de recherche sont en cours et que  » des traitements, même imparfaits, permettront de proposer un suivi préventif pour les personnes les plus à risque, de limiter les effets les plus graves et de diminuer la mortalité « . Et ce, jusqu’à l’arrivée d’un vaccin,  » au plus tôt en 2021 « , date à laquelle la pandémie sera véritablement vaincue.

3 Le virus se manifeste de manière cyclique, comme la grippe. Ce qui veut dire qu’il reviendrait à plusieurs reprises pour devenir ensuite endémique. Concrètement, il circulerait à bas bruit, avec des cas qui surviennent de temps à autre mais qui seraient traités. Dans ces conditions, il ne serait plus nécessaire de mettre en place un confinement et des mesures de restriction.  » Le principe est plausible pour autant qu’il s’agisse du même virus et qu’il ne mute pas de façon majeure « , souligne Yves Coppieters.

Pour les experts interrogés, tous ces scénarios demeurent hypothétiques.  » Les prédictions ne sont, à ce jour, que pures spéculations, répond Nathalie Jacobs, professeure de virologie à l’ULiège. Rien ne nous indique vers quel scénario nous nous dirigeons.  »

« Un manque d’efficacité »

 » Tout est mis en oeuvre pour qu’un rebond ne survienne pas. S’il surgit, ça voudra dire que la population ne suit pas les recommandations. Ou que les outils ne fonctionnent pas « , avance Yves Van Laethem. Dit autrement, les autorités politiques et publiques ont en quelque sorte une deuxième chance de contrôler l’épidémie.  » Nous sommes désormais mieux organisés et on connaît mieux le virus qu’il y a deux mois.  »

La réussite de l’opération repose également sur la population. C’est à elle à prendre toutes les mesures de protection, à jouer le jeu. Par ailleurs, on le sait, le déconfinement s’appuie sur la triade  » tester, tracer, isoler  » : le seul moyen de maintenir la contagiosité du virus sous un seuil acceptable.  » Lutter contre une épidémie est une course de vitesse « , rappelait Yves Coppieters dans Le Vif/ L’Express du 14 mai. Or, tous les instruments ne sont pas pleinement efficaces. Ainsi le professeur de santé publique cite des conditions de remboursement pour les tests de dépistage trop strictes, une plateforme fédérale analysant les tests effectués en Belgique qui doit encore se montrer plus efficace, et des laboratoires qui ne sont pas pleinement utilisés. Il apparaît, en tout cas, que la plateforme fédérale, supervisée par la KULeuven et composée de firmes pharmaceutiques peine à suivre le rythme.  » Pour que le traçage soit efficace, il faut obtenir un résultat dans les vingt-quatre heures « , insiste l’épidémiologiste Yves Coppieters. Aujourd’hui, cela n’est pas le cas.  » Les résultats sont trop tardifs et les personnes infectées continuent de contaminer leur entourage.  » Alors, il reste un élément clé sous-estimé dans la stratégie du déconfinement : le citoyen lui-même, que les experts estiment trop peu sensibilisé.  » Il faut le convaincre de se faire dépister le plus vite possible « , conclut-il.

Pour anticiper le scénario d’une deuxième vague, le groupe d’experts a préparé un plan de reconfinement. D’ici à la mise au point d’un vaccin, le virus sera susceptible de faire des allers et retours. Pas vraiment en faisant des vagues.

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