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Coronavirus: des mutations incessantes, avec ou sans danger ?

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

À mesure que le coronavirus se répand, on craint qu’il ne se transforme en une forme plus contagieuse, plus dangereuse, voire les deux. La question de sa mutation fait débat au sein de la communauté scientifique.

Tous les virus mutent. Le coronavirus Sars-Cov-2, qui cause le Covid-19, ne fait pas exception. Les mutations surviennent lorsque le virus se réplique à l’intérieur des cellules et que des erreurs sont commises dans la copie de son code génétique. Les mutations se produisent tout le temps par hasard. La plupart ont peu d’effet et certaines entravent le virus, mais au fil du temps, une ou plusieurs mutations peuvent potentiellement s’accumuler et rendre le virus plus efficace en lui permettant de se propager plus facilement. Les mutations peuvent également rendre le virus plus dangereux, par exemple en le rendant plus efficace pour infecter les cellules.

Le nouveau coronavirus mute donc, lui aussi, sans cesse. Si elle est normale, cette réalité peut faire peur. Actuellement, ses mutations n’ont modifié ni sa contagiosité ni sa virulence, estiment la plupart des experts. Des publications évoquent pourtant, l’émergence de souches plus agressives, provoquant un débat au sein-même de la communauté scientifique.

Un élément à surveiller pour le développement d’un vaccin

Des scientifiques ont trouvé des indications de mutations dans certaines souches du coronavirus qui suggèrent que l’agent pathogène pourrait s’adapter à l’homme. L’analyse de plus de 5 300 génomes de coronavirus provenant de 62 pays montre que si le virus est assez stable, certains ont subi des mutations, notamment deux changements génétiques qui modifient la « protéine de pointe » essentielle que le virus utilise pour infecter les cellules humaines. Les chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine soulignent que la manière dont les mutations affectent le virus n’est pas encore clairement établie à ce stade, mais comme les changements sont apparus indépendamment dans différents pays, ils peuvent aider le virus à se propager plus facilement.

Pour Martin Hibberd, professeur de maladies infectieuses émergentes et auteur principal de l’étude, il faut surveiller de près l’évolution du virus afin que les changements plus inquiétants soient rapidement détectés. « On fabrique des vaccins et d’autres thérapies contre cette protéine de pointe car elle semble être une très bonne cible. Nous devons garder un oeil dessus et nous assurer que les mutations éventuelles n’invalident aucune de ces approches », explique-t-il, dansThe Guardian. Des études sur le virus ont révélé très tôt que la forme de sa protéine lui permettait de se lier aux cellules humaines plus efficacement que le Sras. Cette différence a peut-être aidé le dernier coronavirus à infecter davantage de personnes et à se propager rapidement dans le monde.

Les scientifiques s’inquiètent si, à l’avenir, des mutations devaient devenir plus importantes, et pas uniquement parce qu’elles pourraient modifier le comportement du virus. La protéine de pointe est la principale cible des principaux vaccins dans le monde, et si elle change trop, ces vaccins risquent de ne plus fonctionner. D’autres thérapies potentielles, telles que les anticorps synthétiques qui s’attaquent à la protéine de pointe, pourraient également être moins efficaces. « Même si ces mutations ne sont pas importantes pour les vaccins, d’autres mutations pourraient l’être et nous devons maintenir notre surveillance afin de ne pas être pris au dépourvu en déployant un vaccin qui ne fonctionne que contre certaines souches », averti encore Hibberd.

De nombreuses études, et des scientifiques divisés

Dans une autre étude, encore non validée par d’autres scientifiques, une équipe du Laboratoire national de Los Alamos (Etats-Unis) s’est penchée sur les diverses mutations d’une des protéines du virus. Selon eux, leurs résultats révèlent « l’émergence d’une forme plus transmissible » du coronavirus. Cette variante porteuse d’une mutation spécifique de cette protéine S aurait commencé à se répandre en Europe début février et « remplace la forme originelle de Wuhan rapidement » à travers le globe, écrivent-ils.

Cette étude a rencontré un certain écho dans les médias mais a été mise en cause par de nombreux scientifiques. Certains ont noté que cette théorie n’avait pas été testée in vitro pour vérifier cette possible contagiosité plus importante, d’autres ont mis en avant l’influence du hasard. « Cette variante a peut-être eu de la chance en étant introduite très tôt dans des lieux hors de Wuhan avec des approches différentes en manière de distanciation sociale », a noté sur Twitter William Hanage, épidémiologiste à la Harvard School of Public Health. « Ça ne concerne pas le virus, c’est l’environnement et les opportunités de transmission. »

Pas d’évolution majeure… pour l’instant

Un grand nombre de spécialistes semblent ainsi s’accorder sur le fait que rien ne prouve à ce stade une évolution majeure du virus. « Les spéculations vont bon train sur la possible émergence de souches plus agressives du Sars-Cov-2 », a commenté le Pr Lawrence Young, de l’université britannique de Warwick. A chaque réplication, des erreurs se produisent dans la copie du génome du virus. Certaines de ces mutations persistent, permettant aux experts de traquer la progression du virus dans le temps et l’espace, en étudiant les plus de 15.000 génomes du Sars-Cov-2 séquencés jusqu’ici. Mais ce virus « ne mute pas à un rythme élevé, contrairement à d’autres virus à ARN comme le VIH, (…) et il n’y a actuellement pas de preuve convaincante que ces mutations aient un impact important sur la façon dont le virus nous affecte », a insisté le Pr Young.

Une autre étude, publiée dans la revue Virus Evolution, remet également en cause des annonces faites en mars par des chercheurs chinois sur l’existence de deux souches du virus, dont l’une plus virulente et plus contagieuse. L’équipe de l’université de Glasgow assure ainsi qu’il n’existe « aucune preuve de types distincts dans l’évolution du Sars-Cov-2 », et met en garde contre la « surinterprétation des données génomiques en période de pandémie. »

Se concentrer sur la détection et le traitement

Malgré tout, ce type d’analyse devra « être répété au fur et à mesure que l’infection progresse », a commenté le Pr George Griffin, de l’Université Saint-George de Londres. Le fait qu’aucune mutation adaptative n’ait été prouvée jusque-là n’exclut pas qu’elle se produise un jour. « Séquencer plus de génomes (du virus) nous aidera à mieux comprendre sa propagation et à déterminer si les quelques changements mineurs observés sont importants dans son comportement, et comment nous pouvons développer des vaccins efficaces », a renchéri le Pr Young.

La question des mutations du virus est en effet cruciale dans le cadre des recherches lancées sur des vaccins, l’efficacité de certains pouvant être mise à mal par une évolution du virus. Mais malgré les mutations constantes, « la traque du virus n’indique pas pour l’instant de tendance vers une version 2 du virus », assure Ian Jones, professeur de virologie à l’université de Reading. « Plutôt que d’être distraits par ces potentiels mutants, nous devrions rester concentrés sur la détection et le traitement du virus tel qu’il est maintenant », a-t-il plaidé. « A nos dépens, le virus se débrouille déjà assez bien pour coloniser la population humaine, je ne vois pas ce qui le pousserait à devenir plus méchant de sitôt », selon lui. (avec AFP)

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