Thierry Fiorilli

Coronalove| « Les amants »: « Sous confinement imposé, les amours cachées ont les allures de funérailles auxquelles seuls les croque-morts sont conviés »

Thierry Fiorilli Journaliste

S’aimer au temps d’un virus chinois. Episode 6 : les amants.

C’est l’interdit qui interdit l’interdit. L’impossible qui bâillonne l’illégitime. L’impasse qui obstrue le souterrain. Un comble, quand même. On était prince de l’incognito. Sultane du catimini. Maîtres d’univers secrets et d’heures clandestines, dérobées au cours officiel de la vie. On exploitait la moindre ouverture, on enfilait les alibis, on mélangeait aux épices de l’aventure les amertumes du mensonge, on pouvait même faire de l’arrière d’une vulgaire berline, au petit matin, sur un parking lugubre, une alcôve idyllique des Mille et Une Nuits. Pas vus, pas pris. Si libres, dans un monde voilé et barricadé à triple tour.

Et nous voilà assignés à résidence. Figés dans la glu. Enchaînés à un radiateur, nus de la tête aux pieds, avec nos noms et nos fautes gravés sur la pancarte accrochée en travers du torse, des fois qu’on parviendrait malgré tout à se faire la belle, sous les projecteurs et caméras veillant depuis chaque balcon. Tous les stocks du monde de masques n’y changeraient rien. Si on veut la rejoindre, si on réussit à s’exfiltrer pour le retrouver, on déclenche toutes les alarmes. En menaçant autrement plus que les apparences et les serments. Là, on peut tuer. En cascade. Un pote a tenté, semaine dernière : je vais chez le brasseur ! Une heure et demie, alors qu’il y en a pour dix minutes en vrai… Sa blonde a envoyé le gamin contrôler par-dessus la haie de la pouffe où on l’avait surpris il y a deux mois. Il y re-était, évidemment ! Elle a direct appelé les flics, moins blessée dans son orgueil à elle qu’ulcérée par sa désinvolture à lui.

Sous confinement imposé, les amours cachées ont les allures de funérailles auxquelles seuls les croque-morts sont conviés.

Elles meurent à petit feu. Tout ce qui en entretenait la flamme est verrouillé. Confisqué. La promenade qui permettait d’au moins se frôler. Cette chambre, dans ce studio. Cette soirée qu’on avait pu libérer. Ce restaurant, loin, où les probabilités de croiser quelqu’un sont nulles. Cette escapade, carrément, pseudo team building. Le cagibi du bureau. Le snack à l’entrée du métro. Le client qui râle encore, faut que j’aille voir, pfff, ça prend toujours des plombes en plus, mais bon, oui t’inquiète, serai prudent en rentrant. Et va-t-en que les corps exultaient.

Fini, tout ça. Les lois du virus battent celles de l’attraction. Par K.-O., au premier round.

Et donc, pour les couples masqués, c’est non-stop Noël, les vacances en famille, les anniversaires, les week-ends d’avant coronavirus : chacun chez soi. Motus et bouches cousues.

Oui, les textos, les sextos, Messenger, WhatsApp, les petits signes, les jolis mots, lancés depuis derrière une porte. Mais c’est le baiser du scaphandrier hein ! Les ébats du papier. L’érotisme des orties. L’envolée aux semelles de plomb. Essayez donc d’être volage encagé ! C’est allumer un feu au gel antiflammes. Le bras de fer entre sens des responsabilités et pulsions, ça laisse désarticulé. Désanimé. On a beau se remémorer ces retours honteux, en tapinois, après avoir, comme chantait l’autre, effacé, prudence misérable, cheveux, parfum, traces de coupable. On se ressent victime. Proie d’un tortionnaire fou. Qui vous épluche les sens. Un à un. A la scie sauteuse. En mode précovid : ni vu ni connu.

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