Mélanie Geelkens

Coronalove: « De l’amour distancié à l’amour confiné »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

S’aimer, au temps d’un virus chinois. Episode 3 : les enfants.

Ils n’ont jamais autant joué dans le jardin, les gamins des voisins. Même en plein juillet, nulle réverbération d’un cache-cache ou rebond du trampoline ne traverse les fenêtres entrebâillées. Mais en plein juillet, ils sont en stage. Parce que papa-maman bossent et qu’il faut bien les occuper. Ou qu’ils ne travaillent pas, mais qu’ils ont envie de respirer. Ou alors toute la famille est à l’étranger, dans un hôtel de préférence avec miniclub, parce que les vacances, ça sert à souffler. Et pendant l’année, ben, il y a école. Puis flûte traversière le mardi, aïkido le mercredi, nage synchronisée le vendredi et scouts le samedi. Puis l’anniversaire de Lulu, tiens, dimanche. Puis ils dormiraient bien chez papy-mamy, non ? Besoin d’une pause, là.

Puis plus rien. Ni délégation, ni échappatoire, ni respiration. Puis tout. Trop. Tout le temps. Qui a donc conçu ce mouflet, incapable de rester assis à dessiner plus de deux minutes trente ? Taille tes crayons toi-même ! C’était peut-être pas l’instituteur, au fond, le problème. Tellement pas moyen de télétravailler tranquille que la Ligue des familles s’est fendue d’une carte blanche,  » SOS de parents en détresse « . Et qu’une épidémie de burnout plane au-dessus des géniteurs confinés (lire aussi Le Vif/ L’Express du 26 mars). Sans oublier la pandémie d’astigmatisme et de myopie. A la libération, opticiens et ophtalmos vont les bénir, ces heures passées devant les tablettes et la télé. Seul moyen (hormis l’extérieur) d’avoir la paix. Enfin.

Mais oui, ils les aiment, leurs rejetons. Juste qu’ils avaient l’habitude de les chérir à distance. La prunelle de leurs yeux, pourvu que leur champ de vision en soit régulièrement dégagé. Affection à petite dose. Entre la fin des devoirs et le  » pipi-bonne nuit-au lit « . Dans la voiture, en jouant les taxis. Les dimanches. Une semaine sur deux, parfois. A la fin du confinement, plus personne n’osera les blâmer, ces séparés qui déposent leur progéniture chez leur ex avec parfois autant d’empressement que s’il s’agissait d’un paquet encombrant. Nul ne se permettra plus de les dénigrer, les femmes au foyer. Ou d’esquisser un rictus circonspect à la lecture des mots  » travail non rémunéré « .

Il aura fallu une quarantaine pour que les parents apprennent à connaître leurs enfants. Connaître leurs bons côtés, ceux qui filent le bourdon, une fois qu’ils sont au pieu et que la maison résonne trop calmement. Et reconnaître leurs défauts. Leurs défauts d’éducation. Ceux que la frénésie quotidienne d’habitude atténue. Si facilement imputables à d’autres.

Un virus aura mis au jour cette litanie autorépétée en mode méthode Coué. Cette sempiternelle complainte de ne pas passer suffisamment de temps en famille. De (se) faire croire que l’amour parental est tellement fort, pur et beau qu’il suffirait à combler une vie, s’il ne fallait pas chaque matin se lever pour aller bosser. Désormais, les journées sont vides de tout, sauf de ça. Et l’école, l’aïkido, papy-mamy n’ont jamais autant manqué. Alors, en attendant, reste le jardin. Dire que certains n’ont même pas de balcon…

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