Mélanie Geelkens

Coronalove : « C’est un plan cul ou un plan-démie ? »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

S’aimer, au temps d’un virus chinois. Episode 1 de notre série Coronalove : le célibat.

De toute façon, personne ne se rencontrait déjà plus dans la vraie vie.  » Tu verras !, qu’ils disent, les gens (généralement maqués). Ça arrivera quand tu ne t’y attendras pas ! En allant acheter ton pain, par exemple.  » La confrérie des célibataires est au regret de leur annoncer que de la boulangerie, on ne revient qu’avec un carré gris ou une baguette. Et de soirée, on rentre seul. Ou mal accompagné. L’alcool et ses méfaits. Puis il paraît que nul ne sait plus comment s’aborder. Ils craignent le râteau d’une approche perçue comme inappropriée. Elles attendent quand même, persuadées que draguer donnerait l’impression d’être trop délurées.

Alors, les solos se matchent, se swipent, se likent. Puis se rencontrent, éventuellement. Autour d’un verre, souvent ; les bars à cocktails doivent bénir Tinder, Fruitz, Bumble et cie. Autour d’une table, moins fréquemment : l’homme sait qu’il devra débourser sans garantie d’être ultérieurement réinvité. Alors, le repas et la bouteille de pinard, un investissement qui devient rare.

Mais, désormais, plus de restos, plus de cafés. Les solos qui se matchent, se swipent, se likent s’en retrouvent fort désemparés. Le virtuel a ses codes : inviter à domicile laisse entrevoir la possibilité (réelle, imaginée, espérée) d’un coït. Y en a qui ne s’en plaindront pas, du corona. Gain d’argent et de faux-semblants.  » Tu viens chez moi ?  »  » C’est un plan cul ou un plan pandémie ?  » Les originaux se mettent à proposer des balades en forêt, des joggings, des pique-niques en bord de lac. Arrêter de se rencontrer, faut pas rêver. Comme tous ces ados qui s’invitent à des soirées pyjamas, ces jeunes (et pas que) qui planifient des repas confinement, ambiance prohibition, tant pis si Sophie Wilmès les exhorte à ne guère festoyer en mode privé.

Insouciance, sans doute. Solitude, assurément. La peur du vide. C’était déjà pour ça qu’ils se swipaient, se likaient, se matchaient. C’est pour ça qu’ils vont continuer, plus que jamais. Il n’y a pas que les patrons de Netflix et d’Amazon qui se réjouiront de l’épidémie. Les applications de dating vont cartonner. Alors, certains se risqueront à être devant ou derrière la porte d’un profil uniquement connu sur écran. Emmerderont le confinement pour tenter de commencer à s’aimer. Plus ou moins longuement.

Et ces pauvres couples à peine constitués, déjà confrontés à l’épreuve de l’éloignement. Contraint de freiner leur découverte physique. Redécouvrant, possiblement, les charmes d’une conversation téléphonique, à une époque où s’appeler semblait devenu trop intrusif. Une époque dont la caractéristique première n’est pas la patience. Notez que l’excuse sera toute trouvée, pour celles et ceux qui voudront couper court à une relation mal embarquée.  » Sorry, mais c’est trop compliqué, avec la quarantaine. On se reparle après ?  » Ou pas.

Coupez-leur Internet, et les célibataires ne mourront peut-être pas de ce foutu virus chinois, mais bien d’ennui et d’isolement. Ils font marrer, ces couples, là, paniqués à l’idée de savoir si, enfermés, ils seront capables de se supporter. Mesurant peu le réconfort que pourront leur procurer leur voix, leurs doigts, juste le fait d’être là. Ensemble. Luxe ultime, en temps de corona.

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