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Comment venir à bout du burnout parental

La dépression et la souffrance liées à l’épuisement des parents sont le signal d’alarme d’un malaise familial global. La solution face à la crise, aux enfants (très) turbulents ? Que pères et mères reprennent confiance en leurs qualités d’adultes responsables et solides.

Le burnout parental a été identifié il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, les professionnels de la santé osent enfin briser le tabou. Epuisés physiquement et psychologiquement, les parents ont peur de leurs enfants. Ceux-ci, dotés d’une détermination et d’une volonté puissantes, sont de plus en plus souvent insupportables, ingérables, voire odieux. Cela dit, aucun gosse ne naît « difficile », le gène du gamin infernal n’existe pas. Mais les enfants ne peuvent pas se satisfaire de parents devenus fragiles et trop faibles. Ils les méprisent. Comment sortir de ce cercle vicieux ? La psychanalyste française Liliane Holstein (1) donne des clés pour renouer avec une éducation faite de confiance et d’amour, basée sur une certaine autorité.

Le Vif/L’Express : Parmi les causes du burnout parental, vous pointez tout d’abord une révolution dans le mode d’éducation. Qu’est ce qui a changé ?

Liliane Holstein : Avant les années 1970, l’éducation reposait sur l’assurance des parents de faire partie du groupe de ceux qui « savaient », qui travaillaient, qui apportaient la subsistance. Les parents avaient une autorité naturelle. Les ordres ne se discutaient pas. De surcroît, les adultes ne s’intéressaient pas à ce qui se passait dans la tête des enfants. Les enfants n’étaient censés avoir ni personnalité ni caractère. Puis, nous avons assisté à une révolution dans le monde de l’éducation et dans la considération qu’on apportait aux enfants. Les pédopsychiatres de l’époque, tels Piaget, Bettelheim et Dolto, ont montré combien les enfants étaient dotés d’une psychologie très subtile et qu’il était indispensable de les écouter et de leur donner la parole. Nous sommes passés d’un extrême à un autre. Les parents ont trop souvent pensé que les enfants étaient des adultes en miniature et se sont laissé envahir par un manque de confiance dans leurs capacités d’adultes, dans leur manière de se faire respecter et de cadrer les enfants. Cette attitude a créé des catastrophes. Aujourd’hui on paie les pots cassés. Les enfants deviennent de plus en plus odieux par provocation mais aussi par désespoir de ne pas avoir face à eux de parents suffisamment solides et charismatiques pour les protéger de leurs propres pulsions agressives inconscientes.

L’autre coupable, selon vous, c’est le fonctionnement narcissique qui régit notre vie en société. Comment se manifeste-t-il au sein des familles ?

C’est le problème de notre société actuelle. Le fonctionnement narcissique est un fonctionnement infantile et primaire. Il est tout à fait normal chez de tout jeunes enfants qui n’ont pas encore développé le sentiment d’empathie, de partage et de générosité. Ce fonctionnement devient anormal quand il gagne du terrain chez les enfants au-delà de 7 ans et chez les adultes, tous retranchés devant leurs propres satisfactions personnelles. Il y a plusieurs raisons à cela. Le monde devient angoissant. Il est facile de s’apporter du plaisir tout seul, de toutes les manières. Il suffit d’un ordinateur et d’une liaison Internet. Un exemple caractéristique : il y a des boîtes de nuit où on vous remet à l’entrée un casque. Chacun écoute sa musique dans son casque, on ne communique plus. L’interférence des autres devient une gêne. Dans ce contexte, la présence d’un enfant peut devenir une allergie, une corvée de plus. Petits et grands, chacun s’enferme dans sa bulle. Ce renfermement génère le mécanisme de se satisfaire tout seul et de rejeter toute communication.

En cause, également, notre inconscient qui nous oblige à perpétuer la chaîne de notre névrose familiale, via les enfants. C’est-à-dire ?

L’inconscient est une sorte de méga-mémoire, un peu comme une boîte noire dans un avion, multipliée par des millions. Sa capacité de mémoire est illimitée. L’inconscient a deux objectifs. Le premier consiste à conserver toutes les informations que nous recevons. Le second a pour but de créer une espèce d’amnésie sur tout ce qui a fait du mal dans l’enfance pour nous permettre de continuer à nous développer de grandir en dépit de tous les traumatismes. L’inconscient est au service de notre évolution. Nous avons le choix entre deux possibilités. Ou bien on stagne, on n’évolue pas, on fait du copier-coller et on perpétue la névrose familiale de génération en génération. Ou bien on choisit à se poser des questions et à faire un cheminement initiatique qui nous obligera à nous dépasser, à nous libérer, à faire beaucoup mieux. C’est donc l’inconscient qui nous pousse et qui nous force soit à perpétuer la névrose, soit à nous réveiller.

Les enfants difficiles, ingérables dès l’âge de 2 ans, sont de plus en plus nombreux. Pourquoi ce comportement social impossible est-il le miroir du burnout parental ?

Les besoins des jeunes enfants sont très simples. Ils veulent de l’amour, de la douceur et de la sécurité affective. Ils ont besoin qu’on les laisse prendre leur temps. Or, depuis la naissance ils voient les parents agités, énervés, angoissés, surmenés, épuisés et faisant tout à toute vitesse. Les mères sont obligées à retourner travailler beaucoup trop tôt. Le couple parental, bat de l’aile. Les enfants n’ont pas trente-six solutions pour montrer leur malaise. Ils le montrent de deux manières, soit par des symptômes psychosomatiques soit par des problèmes comportementaux. Ils ne naissent pas avec l’objectif de saboter la vie de leurs parents. Un enfant « difficile » est le symptôme vivant d’un dysfonctionnement inconscient dans la famille. Ce dysfonctionnement est très difficile à gérer pour un enfant qui a juste besoin d’être aimé par ses parents. Par son comportement insupportable et odieux, il leur adresse un signal d’alarme, pour les réveiller.

Pourquoi tant de parents, convaincus d’avoir mis au monde des « génies », imposent-ils à leurs enfants moult activités, censées développer leurs compétences ?

Aujourd’hui, les enfants sont plus stimulés et peuvent sembler plus intelligents ou surdoués mais cela ne fait pas d’eux des génies. Les parents ont l’impression que l’image de leur propre réussite dépend de celle de leurs enfants. Ces derniers, bombardés d' »activités » sportives et artistiques, ont des journées harassantes et deviennent opprimés, tristes et fatigués. On oublie que la seule chose qui leur ferait vraiment plaisir, serait de ne pas bouger, rester en paix et s’ennuyer un peu. La question que les parents devraient se poser est celle-ci : « Mes enfants sont-ils heureux, pourront-ils s’insérer facilement dans la vie ». C’est essentiel.

Les parents sont tétanisés par la peur de mal faire. D’où vient cette peur et comment la surmonter ?

Prenons un exemple. Quand un enfant frappe un des parents dans la rue, ce que l’on voit de plus en plus souvent, ou quand il a une crise de nerfs dans un magasin, l’adulte baisse la tête de honte ou de peur d’être mal jugé s’il réagit. Ce qui est purement catastrophique car l’enfant ne rêve que d’une chose : d’un parent puissant et calmant capable de montrer la limite quelle que soit la circonstance. Il faut que les parents se sentent investis d’autorité parentale. L’enfant ne rêve que de cela, sinon il redouble de violence et d’agressivité. Les enfants ne veulent pas de parents-copains. Ils veulent des parents costauds qui les protègent et qui les aident à grandir. Comment s’en sortir ? En reprenant les rênes, en instaurant une autorité adulte puissante, solide et charismatique. Les enfants ont besoin de parents lumineux, des sortes de guides. Ils ont besoin de leur expérience. Pour reprendre les rênes, il faut se faire aider. Tout d’abord, par la lecture d’ouvrages expliquant les relations parents-enfants. Puis, il est parfois nécessaire de faire une thérapie qui permettra de comprendre des failles et à quel moment on a pu développer cette fragilité.

Quelle est la différence entre le burnout maternel et paternel ?

Chez la mère, l’épuisement et la dépression s’accompagnent d’une agitation et d’une hyperactivité. Même épuisée, elle est obsédée par la perfection, accorde peu d’attention au conjoint et manifeste une grande ambivalence envers les enfants : des instants d’ « amour fou » alternent avec des moments de violence ou de rejet. Chez le père en burnout les signes sont une grande fatigue et l’impression de ne rien contrôler dans sa vie. Il ressent aussi une grande tristesse, du repli, de la colère, l’absence du désir sexuel et une envie de fuir.

Comment faire face à l’immense fatigue qui accompagne le burnout ?

Oser en parler ! Les mères déclenchent les symptômes en premier. Et plus elles sont épuisées, plus elles se fixent des challenges de plus en plus importants. Elles sont dans l’agitation constante et dans l’obsession de perfection. Il faut ralentir le rythme et cesser de se fixer des challenges impossibles. Cela pour se reconnecter à l’essentiel, à l’amour et à la tendresse. Pour se souvenir du rêve initial que le couple avait fait avant d’avoir un enfant, rapidement oublié. Dès que l’enfant arrive, il faut se simplifier la vie, arrêter de courir d’une activité à l’autre. Les enfants n’en demandent pas tant.

Pour venir à bout des enfants insupportables, les parents doivent rétablir leur autorité et les cadrer. Est-ce encore possible dans notre société démocratique et laxiste ?

On n’a pas le choix, sinon nous allons construire un monde de barbares ! Dans ma pratique, j’observe un retour du balancier et l’émergence d’une autorité parentale drastique. Mais il s’agit d’un comportement excessif dans l’autre sens. Il est indispensable de trouver le bon équilibre, dans une bonne autorité, de l’affection, de la tendresse et de la cohérence de comportements chez les parents.

Quelle est votre conclusion ?

Les parents iront bien mieux lorsqu’ils reprendront confiance en leurs compétences parentales et cesseront d’avoir peur de leurs enfants. Il faut juste écouter et retrouver le bon sens d’une vraie communication humaine, d’une bonne solidarité dans le couple.

Rien n’est plus sécurisant et apaisant pour les enfants que de voir leurs parents plus calmes et plus heureux. ?

Entretien : Barbara Witkowska

(1) Le burn out parental, par Liliane Holstein, aux éditions Josette Lyon,

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