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Comment les souvenirs peuvent adoucir une fin de vie

Le Vif

Comment faire, lorsqu’on souffre d’une maladie incurable, pour vivre pleinement le temps qui reste sans éluder la peine et la souffrance ? Et comment les souvenirs peuvent-ils aider le patient lui-même mais aussi ceux qui restent ?

Quand on s’entend annoncer qu’on ne guérira plus, c’est le monde qui s’effondre. Certains sont comme engourdis, anesthésiés par ce choc qui inhibe toute pensée, toute émotion. D’autres sont pris de panique : et maintenant quoi ? L’incrédulité s’installe. Débute alors une période irréelle où filtrent peu à peu une multitude d’impressions, que connaît bien la théologienne Goedele Van Edom. Elle exerce en effet une activité pastorale à l’hôpital Imelda de Bonheiden, en province d’Anvers, et accompagne depuis plus de 16 ans des patients qui vivent leurs derniers mois.

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Avec une maladie incurable, rien n’est plus pareil. Il s’agit pour le patient d’un véritable séisme émotionnel, auquel les nombreux deuils à assimiler ne sont évidemment pas étrangers.  » Sa confiance en son propre corps, sa force physique, son équilibre intérieur, sa vie sociale, son travail, la structure même de l’existence, tout se met soudain à vaciller, explique la théologienne. Chaque perte qu’il encaisse est une source de tristesse et de souffrance, même si les plus pénibles sont différentes pour chacun. Une jeune maman m’a ainsi confié que ce qui lui avait fait le plus de peine, c’était d’avoir vu s’envoler son insouciance, sa naïveté, son innocence. ‘Certaines choses qui étaient autrefois évidentes ne le sont plus du tout et il m’arrive vraiment de les regretter ; pas seulement parce que je les ai perdues mais aussi parce que je ne les ai jamais appréciées à leur juste valeur’, disait-elle.  »

Pourtant, certains patients trouvent le moyen de s’adapter peu à peu à leur nouvelle situation et à reconstruire une vie riche de sens avec leur maladie.  » Il ressort des nombreux témoignages que j’ai eu l’occasion de recueillir qu’il est important de ne pas refouler sa peine et sa souffrance mais de les reconnaître, de les laisser suivre leur cours sans pour autant s’y perdre ou se laisser submerger. Essayez de mettre des mots sur les émotions difficiles ou d’apprendre à mieux les gérer en les couchant sur papier sous la forme de paroles ou de dessins. C’est une manière d’émousser la douleur et de créer un espace où découvrir, à force d’essais et d’erreurs, ce qui reste possible et ce que vous avez encore.  »

 » Il est toutefois aussi important que votre peine et votre souffrance soient également reconnues par les autres, souligne Goedele Van Edom. Nous cherchons souvent à balayer les sentiments négatifs du patient en lui disant que tout va s’arranger, qu’il ne peut pas baisser les bras ou qu’il se sent bien aujourd’hui et qu’il n’y a aucune raison qu’il en aille autrement demain. Comme le dit très justement l’un des patients : ‘Le vent peut toutefois tourner très rapidement. Il n’y a pas grand-chose de bon ou de beau dans toute cette histoire, qui est aussi crue qu’elle en a l’air. Je ne veux pas que les autres écartent cette réalité déplaisante mais qu’ils la regardent en face, qu’ils se tiennent à mes côtés’.  »

LAISSER DES TRACES

S’autoriser des sentiments difficiles ou les écouter chez un proche est aussi très important lorsqu’il est question de la peur de mourir, ajoute la spécialiste. Elle s’intéresse surtout à la peur de sombrer dans le néant sans avoir jamais eu d’importance et sans laisser de traces de son passage.  » Personne ne veut être oublié, personne ne veut avoir vécu pour rien, personne ne veut abandonner ses proches dans ce grand vide… et les souvenirs que nous laissons derrière nous sont une manière de combattre cette peur du néant, de continuer symboliquement à vivre et à donner de l’amour après notre disparition physique. Bien des patients trouvent dans cette idée un grand réconfort.  »

Mais comment construire, réunir et transmettre ces souvenirs ? Goedele Van Edom évoque toute une série de pistes pour mener des conversations importantes, pour évoquer avec les autres sa vie passée et les choses qui lui ont donné forme, par exemple, mais aussi pour exprimer sa gratitude, son amour ou ses regrets. Une autre possibilité est d’écrire ce que l’on veut transmettre dans une lettre personnalisée ou dans un blog, ou encore de planifier la publication d’un dernier post sur Facebook après sa mort.  » Une autre idée plus concrète qui séduit beaucoup de patients est de constituer une boîte à souvenirs avec des photos, des vidéos ou des objets personnels. Vous pouvez aussi créer un jardin de la mémoire ou cacher un petit mot d’encouragement ou un gadget ludique à un endroit où vos proches le trouveront lorsque vous ne serez plus là. Se préparer à partir peut aussi recouvrir une série de démarches plus pratiques comme de régler ses affaires bancaires, planifier ses soins de fin de vie ou ses funérailles, etc. Cela peut vous aider à trouver une certaine tranquillité d’esprit.  »

LIÉS POUR TOUJOURS

Et puis il y a le deuil de ceux qui restent ; une expérience unique pour chacun. Elle propose des conseils pour ne pas se retrouver figé dans son chagrin. Les spécialistes en la matière ont longtemps pensé que, pour pouvoir avancer et  » bien  » faire son deuil, il était nécessaire de se détacher de l’être cher, de le laisser partir.  » Nous savons toutefois aujourd’hui que ce n’est pas tant une question de lâcher prise que de se raccrocher autrement, dans les souvenirs plutôt que dans la réalité, nuance Goedele Van Edom. De nombreux survivants cherchent spontanément à entretenir avec leur proche décédé un lien durable, où ils trouveront souvent une source de force et de réconfort et une aide précieuse pour faire leur deuil. Ce lien n’est absolument pas problématique à condition d’avoir bien conscience que l’être cher est vraiment parti et de reprendre peu à peu le fil de sa vie. Il en va évidemment tout autrement lorsque, par exemple, des parents sont incapables de partir en voyage pendant des années après la mort de leur enfant parce qu’ils ont le sentiment d’être ‘attendus’ tous les jours au cimetière.  »

Comment construire concrètement ce lien durable avec un proche décédé ?  » En retournant aux endroits qui ont marqué votre histoire commune, en chérissant les lettres ou objets qu’il vous a laissés, en parlant de ou avec lui, par de petits rituels, en adoptant les habitudes, attitudes, valeurs, normes ou désirs que vous admiriez chez lui… ou tout simplement en reconnaissant ses gènes chez ses descendants. Comme l’a si bien exprimé l’écrivain néerlandaise Connie Palmen en parlant des contacts avec son beau-fils : ‘Je pourrais passer des heures à contempler ce visage si semblable à celui de son père, rien que pour m’accrocher un instant de plus à ce fantasme de le savoir présent sous une forme différente’.  »

 » La mort met un terme à bien des choses, mais pas à l’amour, conclut Goedele Van Edom. L’attachement subsiste, fût-ce autrement…  »

« Il est important de ne pas refouler sa peine et sa souffrance mais de les reconnaître, de les laisser suivre leur cours sans pour autant s’y perdre ou se laisser submerger. »

« Nous savons aujourd’hui que ce n’est pas tant une question de lâcher prise que de se raccrocher autrement, dans les souvenirs plutôt que dans la réalité. »

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