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Comment des lapins ont résolu le mystère de l’orgasme féminin

On comprend un peu mieux l’une des plus grandes énigmes de la biologie. J’ai nommé l’orgasme féminin. Grâce à qui ? A des lapins sous prozac.

Pourquoi les femmes ont-elles un orgasme ? Voilà une question qui intrigue de nombreux chercheurs spécialisés dans la sexualité. Contrairement à l’orgasme masculin qui a un but évident et qui est donc plus facile à cerner, celui des femmes est longtemps resté un mystère. Au cours de notre évolution, les femmes ont commencé à « cacher » les périodes où elles étaient fécondes. De telles cachoteries présentaient, en effet, un certain nombre d’avantages. Cela permettait, par exemple, de tenir à distance les hommes en rut. D’éviter qu’ils ne vous dérangent pendant des jours parce qu’ils avaient remarqué que vous étiez en période fertile. On constate de tel agissements chez les chimpanzés et ces derniers ne sont pas sans danger: l’intrusion masculine peut coûter la vie aux femelles.

Si vous voulez vous reproduire, une fécondité non affichée implique par contre que vous devez être sexuellement actif en permanence, sous peine de rater le moment fertile. Afin de stimuler cette activité, la nature a donc donné un coup de pouce à la sélection naturelle en la rendant agréable. Parce que si quelque chose est agréable, vous continuerez à le faire. De façon très spécifique, ce processus passif a fait que le sexe était particulièrement agréable au moment de la conception, soit au moment de l’éjaculation. Voilà ce qui explique l’orgasme masculin.

Les scientifiques ne trouvent, par contre, aucun lien entre la fertilité et l’orgasme féminin. Il n’y a aucune relation entre la fréquence ou la puissance d’un orgasme féminin et les chances de fécondation.

La recherche dans le domaine a longtemps été plombée par le fait que les sexologues étaient au départ presque exclusivement des hommes. Un biais qui a donné lieu aux hypothèses les plus farfelues. Par exemple, l’orgasme féminin existait pour satisfaire le mari ou encore pour que les femmes restent immobiles pour que l’homme puisse mieux décharger sa semence. De fait, l’orgasme féminin a souvent été présenté comme un instrument de pouvoir pour les hommes. Tout cela semble aujourd’hui bien ridicule, et pas seulement d’un point de vue évolutif. Car une chose semble aujourd’hui évidente: les orgasmes féminins n’existent que pour le seul bénéfice des femmes.

Un pur effet secondaire…

L’orgasme féminin est redevenu depuis quelque temps aux centres des attentions. Après l’invention d’une contraception efficace il y a un demi-siècle, le sexe est redevenu une activité presque exclusivement dédiée au plaisir. Nous sommes l’une des rares espèces sexuellement actives qui ne sont pas condamnées à donner naissance à des enfants. Les femmes sont devenues de plus en plus sûres d’elles, indépendantes et autonomes. Elles aussi veulent désormais s’amuser, et les orgasmes font souvent partie du plaisir.

De façon purement anatomique, les chercheurs ont déjà établi un lien entre les orgasmes masculins et féminins. Le pénis et le clitoris sont en effet issus des mêmes cellules embryonnaires de base. Il s’agit donc potentiellement du même organe. Et si la nature a rendu le pénis si sensible qu’un orgasme peut en résulter, le clitoris pourrait posséder la même capacité. Dans cette optique, l’orgasme des femmes ne serait qu’un effet secondaire de l’évolution du pénis. Il a bien fallu compenser les conséquences d’une fertilité féminine cachée en rendant agréable l’activité sexuelle permanente.

Sauf que la seule explication anatomique ne suffit pas. Un mécanisme chimique est aussi indispensable pour générer du plaisir. La fonction est une chose, la façon dont elle se traduit en est une autre. D’un point de vue hormonal, les hommes et les femmes diffèrent fondamentalement, surtout en ce qui concerne la présence et l’effet des principales hormones sexuelles. Il y a la testostérone chez les hommes et l’oestrogène et la progestérone chez les femmes. Peu d’études traitent cependant spécifiquement de la chimie de l’orgasme masculin, car il coïncide généralement avec l’éjaculation et ces deux événements sont hormonalement difficiles à séparer, bien qu’il semble évident que la testostérone y joue un rôle important.

Si certaines femmes savent  » éjaculer  » pendant les rapports sexuels (mais il ne s’agit pas de sperme), c’est tout de même plutôt l’exception que la règle. Tout comme les femmes ont aussi de la testostérone (comme les hommes ont des hormones sexuelles féminines), mais en faible quantité. Depuis que l’être humain marche debout, la position du clitoris s’est légèrement déplacée vers l’extérieur, de sorte qu’il ne peut pas être facilement excité pendant les rapports vaginaux. Voilà un autre argument pour la proposition que l’orgasme féminin n’a aucun lien direct avec la reproduction.

…ou pas ?

Une étude publiée dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences apporte un nouvel éclairage sur la question. L’idée de départ des scientifiques semblait tout de même un peu tirée par les cheveux. Pour mieux comprendre l’orgasme féminin, ils ont étudié l’effet d’antidépresseurs sur les lapines.

Leur hypothèse était que la chimie nécessaire à l’orgasme de la femme provenait d’un mécanisme que l’on trouvait chez d’autres mammifères femelles et qui leur permettait d’ovuler pendant l’accouplement. Chez ces dernières il existe un lien direct entre les deux éléments nécessaires à la reproduction : l’éjaculation et la disponibilité d’un ovule réceptif.

L’orgasme féminin s’accompagne de la libération des hormones prolactine et ocytocine dans le cerveau. C’est ce même mécanisme qui provoque l’ovulation chez de nombreuses femelles mammifères. Pourtant, chez les femmes, l’ovulation est un processus cyclique contrairement à d’autres mammifères ou elle ne se produit que pendant l’accouplement. Les scientifiques supposent donc que l’orgasme féminin serait une sorte de recyclage d’une obsolète et dépassée stratégie de reproduction. Que ce mécanisme ne servirait plus à déclencher l’ovulation, mais aurait, au fil de l’évolution, été détourné pour avoir une autre fonction.

Les preuves pour étayer cette thèse ont été recherchées dans le cadre d’une expérience relativement simple. On sait que l’antidépresseur prozac diminue les chances d’avoir un orgasme chez les êtres humains. Les scientifiques ont essayé le médicament sur des lapines, qui ovulent comme des chats pendant l’accouplement. En administrant une dose relativement faible de prozac chaque jour, leur capacité à ovuler a été réduite d’un tiers en deux semaines. Cela confirme la thèse selon laquelle c’est le même mécanisme hormonal qui se produit chez les lapines qui s’accouplent que chez les femmes qui ont un orgasme.

Dans la nature, il n’est pas rare que certaines évolutions soient recyclées et qu’on leur attribue une nouvelle fonction. Par exemple les branchies par lesquelles les poissons respirent se sont mutées chez nous en canaux auditifs. La vessie natatoire, ou vessie gazeuse, des poissons ? C’est à partir de là que nos poumons se sont formés. Pour la nature, recycler est parfois plus efficace que d’inventer quelque chose de nouveau.

Si la thèse du recyclage hormonal est correcte, la logique évolutive voudrait que l’orgasme féminin ait une fonction bien précise. Sinon, la nature n’aurait pas  » pris la peine  » d’adopter cet ancien système. Par exemple, son rôle pourrait être d’augmenter le désir sexuel et de renforcer une relation. Ce qui a son tour aurait un effet bénéfique sur la reproduction et l’éducation des enfants. Une explication déjà plus charmante que celle qui veut que l’orgasme féminin ne soit qu’un simple effet secondaire de son homologue masculin.

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