© Jea Bernard Boulnois

Ces ancêtres qui nous hantent

Des comportements aberrants, des schémas relationnels stériles et des cauchemars peuvent prendre source dans une histoire familiale. Ces « fantômes » se transmettent de génération en génération. Telle est la thèse de la psychanalyse transgénérationnelle, une nouvelle technique de thérapie qui fait de plus en plus parler d’elle…

Personne n’y échappe. Nous avons tous, en nous, une partie ombrageuse. Elle peut se signaler par des peurs et des phobies inexplicables, par des comportements addictifs ou encore par la répétition inlassable de certains scénarios.

Pour se débarrasser de ces « casseroles » qui empoisonnent l’existence, on fait le tour des thérapies les plus pointues : psychiatrie, psychanalyse, développement personnel, thérapies cognitives et comportementales. Parfois, ça ne marche pas. Une sorte de « noeud » se tapit toujours dans notre for intérieur. On a beau tout faire pour le défaire, on n’y arrive pas. Normal. « Ce qui résiste en nous est en fait ce qui ne nous appartient pas », explique le psychanalyste Bruno Clavier, auteur de Les Fantômes familiaux – La psychanalyse transgénérationnelle (aux éditions Payot). Ces « noeuds » qui continuent à nous hanter renvoient à la présence dans notre psychisme des traumatismes et des conflits affectifs de nos ancêtres. » C’est la psychologue Anne Ancelin Schützenberger qui a été l’une des premières à étudier les conséquences des traumatismes, en affirmant que nous dupliquons les événements de nos aïeux. Une analyse de son arbre généalogique permet de comprendre ces événements et quitter le cercle vicieux. Ses travaux ont donné naissance à la psychogénéalogie. Plus tard, le psychanalyste Didier Dumas (aujourd’hui décédé, père spirituel de Bruno Clavier) est allé plus loin et a posé les jalons de la psychanalyse transgénérationnelle. Celle-ci essaye aussi d’analyser le traumatisme au niveau du réel, mais, surtout, essaye de comprendre ce qui s’est passé au niveau de l’inconscient et de la façon dont il est vécu. « Nous portons dans notre inconscient l’inconscient de nos ancêtres », souffle Bruno Clavier. L’arbre généalogique peut fournir de précieuses indications sur cette transmission émotionnelle entre générations.

Quand la science s’en mêle

Le concept de transmission émotionnelle, évoquant la métem- psychose, n’est pas toujours facile à accepter par un esprit cartésien. Il vient pourtant d’être confirmé par la science et plus particulièrement par ce que la biologie appelle l’épigénétique.

Cette nouvelle discipline étudie « des changements d’activité des gènes – donc des changements de caractères – qui sont transmis au fil des divisions cellulaires ou des générations sans faire appel à des mutations de l’ADN » (1). Bien que l’épigénétique soulève encore moult interrogations, on peut affirmer que tout n’est pas inscrit dans la séquence d’ADN du génome. Un stress, par exemple, inculqué par l’environnement à une génération, peut se transmettre à une autre génération en zappant au passage la modification de l’ADN. Il devient ainsi un caractère « acquis » et transmissible.

« Ce phénomène concerne aussi les transmissions psychiques de tous les affects, tels la tristesse, l’angoisse ou la peur, non métabolisés qui n’ont pas pu être gérés en leur temps par nos ancêtres, rapporte Bruno Clavier. Le fantôme transgénérationnel est une structure psychique émotionnelle résultant d’un traumatisme chez les ancêtres qui n’ont pas pu le dépasser et le transcender. En revanche, ce qui a été géré ne se transmet pas forcément. Cela dit, l’expérience clinique nous a montré que cette mémoire inconsciente peut être dissoute grâce à la connaissance et à l’analyse des traumatismes présents dans l’arbre généalogique et grâce à leur verbalisation. »

Où est mon prince charmant ? L’exemple est emblématique. Nombreuses sont celles, en effet, qui répètent les mêmes scénarios à l’infini et ne parviennent pas à trouver leur prince charmant. De guerre lasse, elles arrivent à la conclusion qu’elles ne seront jamais heureuses avec un homme.

L’explication se trouve-t-elle, peut-être, dans la douleur affective ou le manque d’amour chez leurs ancêtres féminins ? « La difficulté de trouver son prince charmant est liée à la condition féminine, décrypte Bruno Clavier. Dans le passé, beaucoup de femmes étaient malheureuses, car elles n’avaient pas le choix. Souvent, elles se mariaient par raison et les couples ne s’aimaient pas. Les femmes vivaient dans des conditions difficiles et se rongeaient les sangs n’ayant pas de liberté et pas d’échappatoire. Les hommes, en revanche, avaient toujours la possibilité de trouver des relations amoureuses à l’extérieur.

C’est ainsi que les femmes ont fabriqué leur prince charmant. Il remplaçait une absence. Aujourd’hui, les jeunes filles mettent plus de temps pour trouver l’homme qu’il leur faut. Cela dit, malgré les conditions différentes, on répète les anciens schémas de ses ancêtres. »

Les exemples ne manquent donc pas de ces jeunes femmes qui avaient connu un amour fou mais platonique dans leur adolescence, puis se sont mariées un peu « par défaut » avec un autre pour divorcer quelques années plus tard et entrer dans la spirale infernale de relations multiples et plutôt malheureuses avec différents hommes.

Une étude attentive de leur arbre généalogique peut leur faire comprendre comment elles répètent des schémas affectifs et relationnels de plusieurs générations successives de sa lignée féminine. Cette prise de conscience, accompagnée d’un patient travail d’analyse, finira par les libérer de leur encombrant « fantôme » de prince charmant.

Les Don Juan sont parmi nous

Dans notre langage moderne, on les appelle « les prédateurs mondains » ou « les nomades de l’amour ». Ces hommes jeunes, dotés d’un physique avantageux et d’une situation confortable, apparemment bien dans leur peau, ne cessent d’aligner les conquêtes. Leur situation est paradoxale. Ils ne jurent que par leur statut de célibataire tout en caressant dans leur for intérieur le désir bien réel de fonder une famille. « Le donjuanisme est la version masculine de la quête du prince charmant, souligne Bruno Clavier. Il renvoie au problème de la transmission masculine, d’homme à homme, de père à fils. Le don Juan cherche toujours son père, il cherche quelque chose de l’ordre du paternel. Etre un homme, être un père, ça ne tombe pas du ciel. On devient un homme ou un père grâce à la transmission. »

Dans le donjuanisme, il y a toujours un « vide d’information ancestral ». Il peut s’agir d’un secret de famille. Par exemple, quand l’un des ascendants avait été conçu par insémination artificielle. Ce vide d’information conduit à une sorte de « trou noir », phénomène que l’on retrouve également dans les galaxies. Le trou noir peut vider les descendants de leur énergie et induire chez eux des comportements désordonnés et compulsifs. Grâce aux informations contenues dans l’arbre généalogique, il est possible de réparer le chaînon manquant masculin de sa lignée. Le don Juan peut se fixer, devenir fidèle et endosser sereinement la paternité.

Les enfants, plus spirituels ?


Un enfant est profondément télépathique. « Les enfants captent tout, mais ne savent pas ce qu’ils captent, commente Bruno Clavier. Avant que l’enfant ne parle, avant la constitution du « je », il ne dispose pas encore d’un appareil psychique séparé des autres. Il est dans la tête de ses parents, il « est » ses parents. Son psychisme, très poreux, capte et intègre les informations et les événements traumatiques venant non seulement de ses parents mais aussi de leurs ancêtres. La capacité télépathique est très importante, elle se révèle très bien dans les dessins des enfants. »

Ce phénomène a été confirmé par la découverte des neurones « miroirs ». Ils se développent chez le bébé dès la naissance par mimétisme des adultes qui s’occupent de lui. Dans ce processus de « miroirs », tout ce que le tout petit perçoit en l’autre, il le perçoit simultanément en lui. La télépathie commence à se dissiper à la fin d’OEdipe, vers 7 ans, et finit par disparaître.

Chez certaines personnes, en revanche, elle ne se dissipe pas. On parle alors de médiums, personnes qui sont restées des enfants. « A l’âge d’OEdipe, poursuit Bruno Clavier, entre 3 et 7 ans, quand les adultes se taisent et n’osent pas aborder les questions de la sexualité ou de la mort, par exemple, leur mutisme peut créer de réels traumatismes chez les petits. Les enfants sont prêts à entendre énormément de choses du moment qu’on les leur explique. Cela dit, les résultats qu’on obtient avec les enfants sont vraiment spectaculaires. L’enfant a besoin de mots. Lorsque je reçois les enfants avec leurs parents, la parole des parents les guérit. Beaucoup de symptômes de types psychotiques ou obsessionnels peuvent être guéris parfois assez rapidement. Chez les adultes, en revanche, la guérison est plus difficile. La thérapie prend plus de temps et il faut, de préférence, la coupler avec d’autres techniques. L’être humain, c’est comme un vase en terre glaise. Chez l’enfant la terre est plastique et malléable. Chez l’adulte elle a séchée… »

Barbara Witowska

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