Les douaniers se gargarisent et se lavent les mains alors que la pandémie de grippe de Hong Kong arrive dans un aéroport de Tokyo, Japon. © Getty

Ce que la grippe de Hong Kong de 1968 nous apprend sur le coronavirus

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Apparue en 1968, la première épidémie de l’histoire contemporaine est passée relativement inaperçue à l’époque. Elle a pourtant fait un million de morts. Quels enseignements en tirer pour la crise sanitaire que nous traversons aujourd’hui ?

Un virus respiratoire fait son apparition en Chine, franchit les frontières et devient pandémique. On est alors en 1968 et le monde fait face à la grippe A(H3N2). Celle qu’on appellera « la grippe de Hong Kong » a des analogies, mais aussi des différences, avec la crise du coronavirus que nous connaissons en 2020, et pourtant, elle semble être passée au second plan.

Un million de morts, les jeunes fort touchés

Le H3N2 était un virus qui, tout comme le SARS-COV-2, n’avait jamais circulé chez les gens avant 1968. C’est la première véritable pandémie de l’ère contemporaine. Cette épidémie, repérée à la mi-68 dans l’enclave de Hong Kong, fait le tour de la planète en un an et demi. Bilan : un million de décès, dont 31.000 en France.

La grippe de Hong Kong est causée par une souche de type A, remplaçante de la souche précédente, H2N2 : la souche H3N2. La souche H3N2 est un nouveau virus qui ressemble à la souche H2N2, mais sa protéine de surface est différente. Lorsqu’elle infectait des cellules et se propageait au sein d’un organisme, elle entraînait des symptômes typiques de la grippe, plus ou moins sévères en fonction des personnes infectées, comme : une toux sèche et douloureuse, des douleurs musculaires, une fièvre élevée, des maux de tête… Comme le coronavirus aujourd’hui, elle était particulièrement agressive chez des personnes avec des pathologies préexistantes.

« Les gens arrivaient en brancard, dans un état catastrophique. Ils mouraient d’hémorragie pulmonaire, les lèvres cyanosées, tout gris. Il y a en avait de tous les âges, 20, 30, 40 ans et plus », se souvient l’infectiologue Pierre Dellamonica en 2005 dans Libération. La grippe de Hong Kong pouvait donc aussi s’attaquer à des patients jeunes. Cependant, si la moitié des infections de la grippe de Hong Kong ont touché des jeunes, très peu en mourrait avant 65 ans. Le taux de mortalité du Covid-19 semble plus important.

Un virus saisonnier

Le virus responsable de l’épidémie de 1968 est devenu saisonnier. Il s’est progressivement adapté pour pouvoir se propager efficacement chez l’homme, même en présence d’une immunité, car une partie de la population était immunisée. Mais la souche a continué à provoquer des infections saisonnières parce que l’immunité n’était pas durable et parce que les virus continuaient à muter. Même aujourd’hui, ces virus mutent plus rapidement que les autres souches de grippe. Et cela nécessite de fréquentes mises à jour des souches de vaccins antigrippaux.

Fort des connaissances épidémiques passées, les experts ont de bonnes raisons de croire que le coronavirus deviendra lui aussi saisonnier. Il pourrait ne pas le devenir s’il y a immunité permanente des anciens infectés, mais pour l’instant ce n’est pas la piste privilégiée. Ou s’il y a un vaccin, ce qui n’est pour l’instant pas le cas.

Une deuxième vague plus forte

La grippe de Hong Kong a fait le tour du monde entre l’été 1968 et le printemps 1970, tuant notamment beaucoup d’enfants.

Le virus a d’abord traversé l’Asie puis, fin 1968, les États-Unis. La première vague, à la fin de l’hiver 1968-1969, a fait des victimes, mais le virus ne semblait pas particulièrement meurtrier et n’avait pas vraiment alerté les autorités et les médias.

Après quelques mois où il s’est fait discret, le virus a déferlé sur l’Europe fin 1969. La deuxième vague entre décembre 1969 et janvier 1970 s’est révélée plus sévère et a causé plus de décès.

Passée inaperçue, même à l’époque

Aucun gros titre dans les journaux à l’époque, aucune mesure prise par les gouvernements, ni même d’alerte santé. On est en plein boom économique de l’après-Seconde Guerre mondiale. Pourtant, l’épidémie force des écoles et des commerces à fermer, infecte le personnel du chemin de fer, perturbe les transports, même si cet impact économique et social est bien moindre que le confinement de 2020. Les scientifiques réunis par l’OMS en octobre 1969 pour une conférence internationale sur la grippe de Hong Kong estiment que la pandémie est en voie d’extinction, alors qu’en réalité elle se poursuit et se diffuse en Europe occidentale, avant d’atteindre le bloc communiste.

Les tensions internationales notamment, avec des guerres toujours présentes, au Vietnam, la crise humanitaire du Biafra en Afrique permettent de relativiser les malheurs liés à une épidémie plus meurtrière qu’une autre. Une situation qui contraste avec 2020, où l’épidémie de coronavirus a chassé tout autre sujet de l’actualité et a mené à la paralysie mondiale. Comment expliquer une telle différence? A l’époque, le milieu médical, les dirigeants, les médias et la population en général ont une foi presque aveugle dans le progrès et ses armes nouvelles, les vaccins et antibiotiques qui font des miracles, anéantissant, par exemple, le fléau de la tuberculose.

De plus, la sensibilité à la mort n’est pas celle qui est la nôtre aujourd’hui: « les 31.000 victimes de la grippe de Hong Kong n’ont pas créé de scandales, elles sont même passées plusieurs décennies inaperçues », commente l’historien, Patrice Bourdelais. De plus, à l’époque, on estimait que la mort des plus de 65 ans était dans l’ordre des choses. Il a fallu attendre 2003 et les travaux de l’épidémiologiste Antoine Flahault pour que soit réalisé le décompte des morts de cette épidémie en France.

Aujourd’hui, l’impact de la mondialisation

Alors qu’en 1968 et 1969, le virus de la grippe A(H3N2) avait mis plusieurs mois à passer de l’Asie, aux États-Unis et à l’Europe, cette fois, quelques semaines ont suffit. Pour le géographe Michel Lussault, l’importance écrasante prise aujourd’hui par la pandémie de Covid-19 reflète simplement « l’ampleur des bouleversements liés à la mondialisation » avec des mobilités internationales extrêmes pour les marchandises, les hommes, mais aussi l’information.

L’infectiologue Philippe Sansonetti illustre, lui, la propagation internationale du coronavirus dans l’hémisphère nord avec la carte des vols internationaux de la Chine vers l’Europe et l’Amérique du Nord: la diffusion du virus coïncide parfaitement avec la densité des liaisons aériennes. « Ces maladies émergentes infectieuses sont des maladies de l’anthropocène (époque où l’incidence de l’activité humaine sur la Terre devient prépondérante, ndlr), exclusivement liées à la prise en main de la planète par l’Homme », explique-t-il dans le cadre de sa chaire « Microbiologie et maladies infectieuses » au Collège de France.

Sa propagation est accélérée par le développement des transports en avion, mais aussi par le nombre de personnes transportées. C’est également la première à avoir été surveillée par un réseau international chapeauté par l’OMS, et elle est devenue le fondement de tous les travaux de modélisation visant à prédire le calendrier de futures pandémies.

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