La rédaction du Vif

Carte blanche: Il est urgent de préférer le stéthoscope au chronomètre

Serions-nous les seuls à en avoir assez d’une médecine parfois devenue brusque, cruelle, injuste et expéditive au motif que le temps vaut de l’argent ? La vie ne vaut-elle pas bien davantage de l’un et de l’autre ? Faut-il désespérer de retrouver partout une qualité de prise en charge enfin et de nouveau empreinte d’une indispensable humanité ?

Trois proches de patients posent des faits, interpellent et s’interrogent tandis que jusqu’à plus informé, le célèbre serment d’Hippocrate se préoccupe de santé, non de rentabilité.

La survenance simultanée de trois situations permet parfois de poser un regard étonné sur une discipline ou un corps de métier.

En quelques mois à peine, deux proches ont été confrontées à un diagnostic médical difficile tandis qu’un troisième se voyait retourner les poches par son assureur dans le cadre d’une couverture solde restant dû.

Dans ces différents cas de figure prévaut l’impatience médicale, disons même l’impassible et imperturbable désir de nombre de médecins de poser un diagnostic par la voie des examens techniques qui se multiplient à l’infini au lieu de d’abord accueillir le patient qui remet sa vie entre leurs mains, écouter son anamnèse sans regarder sa montre, l’examiner avec soin.

Nous nous souvenons avoir entendu que le médecin devait d’abord se servir de ses yeux, de ses oreilles, de ses mains, de son cerveau et de son coeur pour faire son diagnostic et ne penser à un examen technique que pour conforter celui-ci.

Le célèbre serment d’Hippocrate se préoccupe de santé, non de rentabilité.

Ce n’est donc pas l’ensemble des protocoles reçus qui doit diriger le diagnostic à poser après des semaines interminables d’attente pour le patient, sans oublier les possibilités de faux positif ou de faux négatif.

À cela s’ajoute l’obsession d’aller vite, toujours plus vite. À peine le patient a-t-il le temps de se déshabiller qu’il faut décider vite, dire vite. Il faut que l’examen se déroule rapidement, sans expliquer à celui ou celle qui va le subir en quoi il consiste. Ce ne serait encore qu’un demi-mal si l’on se limitait à rendre claustrophobes des gens qui ne le sont pas en les précipitant sans trop les prévenir ni les accompagner par une parole apaisante dans des scanners et appareils à résonance magnétique dont l’intérieur donne à celui qui s’y trouve plongé un avant-goût de sa bière promise.

Tandis que le corps humain n’a pas fini de nous surprendre par ses capacités volontaires à résister, à tenir et à se réparer, tandis que les sciences évoluent sans cesse au point de rendre un jour bénignes des maladies jadis mortelles ou faciles des actes chirurgicaux jadis impensables, certains médecins adoptent par trop souvent la posture de ces juges à l’ancienne qui, du haut de leurs estrades inaccessibles, prononçaient des arrêts de mort avec le même degré d’empathie que s’ils formulaient une considération sur le temps qu’il fait.

Aurait-on notamment oublié qu’un ancien Président de la République française a résisté quatorze ans au mal qui était supposé le tuer dans les six mois de son arrivée au Palais de l’Elysée ?

Certains médecins adoptent par trop souvent la posture de ces juges à l’ancienne qui, du haut de leurs estrades inaccessibles, prononçaient des arrêts de mort avec le même degré d’empathie que s’ils formulaient une considération sur le temps qu’il fait.

Quel gâchis que de fermer des portes sans prendre le soin d’en ouvrir d’autres.

Selon nous, annoncer un diagnostic d’une maladie grave ne doit jamais être une condamnation à mort, une sentence définitive sans aucune espérance. Cela revient sinon à condamner le patient à vivre dans la plus grande désespérance, dans la panique du lendemain. Cela revient à créer ou à renforcer davantage encore l’insécurité vécue dans un corps que la panique tétanise au fur et à mesure que les jours passent et que l’échéance annoncée s’approche.

Énoncer des diagnostics comme on prononcerait des sentences définitives, c’est oublier que la science ne cesse jamais de progresser et d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Quel gâchis que de tuer tout espoir chez l’autre alors qu’il n’est précisément pas de médicament plus puissant que le fait d’espérer.

Dans le même temps, certains acteurs au titre pompeux de médecin conseil « se prostituent » dans les bureaux de grandes sociétés d’assurances. Se cachant derrière des statistiques qui, pour rappel, peuvent être manipulées en fonction des résultats que l’on veut obtenir, et dont ils ignorent plus ou moins volontairement l’aspect aléatoire, ils y prononcent à leur tour des sentences définitives adoptant la forme de pronostics morbides grâce auxquels lesdites compagnies peuvent réclamer des primes exorbitantes à leurs clients, en s’appuyant parfois sur un constat trop rapide posé à un moment donné, sur base d’une situation momentanée peut-être corrompue par un virus passager ; un virus dont l’élimination sous quelques semaines modifiera intégralement la situation initiale, ce dont l’assureur refusera, et pour cause, d’entendre parler : les primes d’assurance solde restant dû retrouveraient sinon un niveau acceptable et le bénéfice de l’assureur assurément en pâtirait. Que l’on ne s’y trompe pas, il y a bien de l’empathie dans ce cas de figure. Malheureusement, son seul bénéficiaire est le Dieu Argent.

Bref, la survenance simultanée de trois situations conduit à se poser des questions, sans doute pas sur tous, mais potentiellement sur une proportion d’acteurs des métiers de la médecine.

Est-il vain ou sot d’espérer que l’art de réparer les hommes épouse enfin un jour, chez tous ses praticiens, son indispensable sens de l’humain ?

Questions. Ceux à qui l’on apprend à soigner à l’aide de substances chimiques et d’interventions chirurgicales ne devraient-ils pas être à tout le moins beaucoup mieux formés à l’écoute, à l’empathie et à l’urgence … de consacrer le temps nécessaire à l’examen réellement approfondi d’une personne, à l’écoute et au dialogue avec les patients ? Ne devraient-ils pas être formés à se mettre à la place de ce patient qu’ils examinent ? Ceux à qui l’on donne le droit de soigner à l’aide de substances chimiques et d’interventions chirurgicales ne devraient-ils se voir imposer simultanément l’interdiction de tuer à coups d’examens, de décisions et de prononcés de jugements définitifs et infiniment trop rapides, parce qu’on « n’a pas le temps » et qu’il faut que cela aille vite ?

Bref, quand tous auront-ils enfin compris que les sentences inutilement et sottement définitives tout autant que les rythmes d’usine en milieu médical tuent bien plus que certains maux et sont à coup sûr infiniment plus dangereux que les célèbres infections nosocomiales ?

Est-il vain ou sot d’espérer que l’art de réparer les hommes épouse enfin un jour, chez tous ses praticiens, son indispensable sens de l’humain ? Est-il vain ou sot d’espérer qu’un jour, une autorité publique les y contraigne, par exemple en intégrant la notion de temps d’intervention et d’écoute nécessaire dans l’acte de diagnostiquer, de soigner et de dire ? Est-il sot d’espérer qu’un jour, enfin, plus aucun patient n’entame le chemin qui le conduira à mourir en écoutant une phrase prononcée trop vite dans le cabinet d’un médecin ?

Jean-François Horemans, Docteur en Sciences politiques et sociales

Anne-Marie Libion, Docteur en Médecine

Alain Schmidt, Maître en Sciences du Travail

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