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« Autrefois, un chagrin d’amour était considéré comme une maladie mortelle »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Ad Vingerhoets, professeur à l’université néerlandaise de Tilbourg, estime qu’on sous-estime le chagrin d’amour. « Autrefois, un chagrin d’amour était considéré comme une maladie mortelle » dit-il.

Interrogé par le quotidien De Standaard, Vingerhoets estime que le chagrin d’amour peut être très grave. « Je le mets sur la même ligne que le deuil et le mal du pays. Pendant les guerres, plus de soldats sont morts de chagrin que dans les combats ».

Auteure du livre « Pourquoi l’amour fait mal. L’expérience amoureuse dans la modernité », la sociologue israélienne Eva Illouz partage ce constat. Elle explique au Nouvel Observateur pourquoi la société incite à « escamoter » les souffrances causées par l’amour. « Désormais, les sentiments doivent être bien placés, rentables, c’est-à-dire apporter plus de plaisir que de souffrance. Une forme d’utilitarisme s’est ainsi insinuée au coeur de la vie émotionnelle, qui a rendu inintelligible la souffrance, devenue symptôme d’une maladie que l’on doit déchiffrer et éradiquer ».

D’après la sociologue, la relation amoureuse joue un rôle très important dans l’estime de soi. À l’heure actuelle, nous ne voyons plus l’amour comme une force qui nous submerge et que nous ne maîtrisons pas, mais comme un choix, ce choix devient autant un droit qu’une espèce de compétence. Les personnes qui ne font pas le bon choix sont donc considérées comme incompétentes et se retrouvent avec les pots cassés, ce qui, souligne Eva Illouz, n’atténue absolument pas la douleur en cas de rupture.

Pour la sociologue, le regard porté par la société moderne sur les personnes accablées d’un chagrin d’amour contribue à exacerber leur souffrance. Elle explique au Nouvel Observateur que depuis le 20e siècle on n’a fait qu’élargir le champ des pathologies. « Ressentir des émotions négatives comme la tristesse, la colère ou la dépression, ne pas avoir confiance en soi, tout cela est devenu synonyme de maladie » estime-t-elle.

Elle cite l’exemple du jugement souvent porté sur les femmes amoureuses : « une femme qui manifeste trop – que signifie ce trop? – d’amour ou d’intérêt pour un homme possède un moi névrosé, sans doute lié au développement d’une dépendance très forte, elle-même liée au fait qu’elle a éprouvé un sentiment d’abandon dans l’enfance, qu’on n’a pas pris suffisamment soin d’elle… ». Pour Eva Illouz, la « norme thérapeutique émotionnelle actuelle » nous oblige en effet à considérer tout ce qui ne va pas comme un dysfonctionnement lié à l’enfance.

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