Ces implants sont composés de mailles en polypropylène, sous forme de bandelette ou de tapis. © Youtube (capture d'écran SkyNews.com)

« Aucun médecin ne m’a prévenue que je pouvais souffrir à vie »

Stagiaire Le Vif

À travers le monde et en Belgique, des femmes se disent victimes des implants urogynécologiques, ces mailles synthétiques utilisées pour soigner les fuites urinaires et descentes d’organes. Parmi les complications les plus souvent observées, des rapports sexuels rendus impossibles par la douleur, des infections chroniques, la perforation d’organes… Une perspective de calvaire dont les patientes ne sont pas systématiquement informées avant l’opération, pourtant conçue pour être irréversible.

Comme près d’une femme sur six, Katrien W., 45 ans, est devenue sujette aux fuites urinaires à l’âge de 36 ans. « Ce n’était pas très handicapant au départ, juste un peu gênant ». L’orfèvre flamande décide tout de même de remédier au problème. En 2009, elle consulte un spécialiste qui lui prescrit d’emblée la pose d’une bandelette synthétique. Il lui assure que l’opération, couverte par la RIZIV (le pendant flamand de l’INAMI, l’Institut national d’assurance maladie-invalidité) ne prendra pas plus d’un quart d’heure et « va changer sa vie, en mieux ». En effet, la vie de Katrien change. Quatre mois après l’opération, elle commence à ressentir une douleur permanente au dos, à l’aine et aux hanches. « Les médecins que je consultais me disaient de faire un effort, que c’était dans ma tête. » Elle enchaîne les infections urinaires et vaginales, combattues à coup d’anesthésiques et d’antibiotiques qui ne font bientôt plus effet. « Ma vie sexuelle s’est éteinte aussi, les rapports étaient devenus trop douloureux ». Ce n’est qu’en 2016, au bout de sept ans de calvaire, que son généraliste émet le premier l’hypothèse : et si tous ses problèmes venaient de l’implant ?

Katrien (à gauche) et Katia se sont rencontrées via MeshedUp, le seul groupe de soutien belge aux victimes d'implants non-adaptés.
Katrien (à gauche) et Katia se sont rencontrées via MeshedUp, le seul groupe de soutien belge aux victimes d’implants non-adaptés.© Photo DR

Katia V., 43 ans, a connu le même parcours du combattant. Ses douleurs sont apparues dès la pose d’un filet anti-prolapsus (ou descente d’organes) par voie abdominale en février 2015. « Je n’arrivais même plus à rester assise. Je me demandais : comment pourrais-je conduire jusque chez moi ? » A la visite de contrôle des six semaines, tout semble normal, excepté « la sensation constante d’un tisonnier brûlant enfoncé dans le périnée. » Le médecin renvoie Katia chez elle, les spécialistes suivants également. « Tous me disaient que cette souffrance qui me clouait chez moi et me plongeait dans la dépression était due à de l’endométriose. » Bientôt, elle se retrouve forcée de fermer son cabinet d’esthétique, ne pouvant plus le gérer. Trois ans après son opération, et malgré la douleur, Katia voyage jusqu’aux Pays-Bas en désespoir de cause pour s’adresser à un nouveau spécialiste. Celui-ci découvre que l’implant n’avait pas été placé correctement. « Il m’a demandé si j’avais déjà consulté en Belgique. Je lui ai répondu que j’avais vu dix spécialistes avant lui. » Après quelques recherches et l’obtention difficile de son dossier, il dévoile à Katia que le chirurgien qui l’avait opérée, et qu’elle n’avait vu ni avant, ni après l’intervention, était alors en formation.

Les différents types d’implants

  • Les IUE (Incontinences Urinaires d’Effort) sont causées par un affaiblissement des muscles pelviens, après un accouchement ou le port régulier de lourdes charges. Depuis 1997, il peut être traité par la pose d’une bandelette de plastique maillée implantée par le vagin pour soutenir l’urètre, appelée TVT, TOT ou TVT-O selon la méthode de pose. Cette opération raccourcit le temps d’hospitalisation et est très vite devenue le traitement de référence.
  • Les mailles ont ensuite été développées pour corriger le prolapsus, ou descente d’organes. Un implant plus large formant un filet sous les organes est inséré par voie vaginale ou abdominale. La première option étant une opération plus légère que la seconde, elle aussi a été rapidement adoptée.
  • On distingue donc trois dispositifs principaux : les filets anti-prolapsus posés par voie vaginale (ou transvaginale) ou abdominale (transabdominale), et les bandelettes anti-incontinence.
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Une affaire mondiale

En écumant les forums de discussion, Katrien et Katia apprennent qu’elles sont loin d’être des cas à part, « comme les médecins voulaient le faire croire ». Comme elles, des milliers de femmes dans le monde disent souffrir de cet implant que leur corps ne supporte pas. Les témoignages sont plus terribles les uns que les autres : fistules entre le vagin et l’intestin, perforation de la vessie, ablation d’un rein ou de l’utérus, voire incapacité totale de marcher. En Australie, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni, des collectifs luttent pour faire interdire les filets et bandelettes synthétiques. Rien qu’en Australie, 700 plaintes ont été déposées contre l’entreprise Johnson et Johnson, productrice du Prolift, un implant vaginal anti-prolapsus accusé d’engendrer de sévères complications aujourd’hui retiré du marché. « Dans toutes ces affaires, les médecins utilisaient de nombreux noms pour qualifier les différentes prothèses. Mais il s’agissait toujours de polypropylène, du plastique ! », s’exclame Katrien. Cependant, la littérature scientifique admet des taux de complication très variables selon les types de mailles utilisées, la technique de pose, la durée des tests et le panel de patients. Pour l’instant, seule la cure du prolapsus avec insertion d’un implant par voie vaginale est unanimement reconnue comme comportant plus d’inconvénients que de bénéfices.

Recommandations internationales

Ethicon France, filiale de Johnson et Johnson, a annoncé en juillet 2012 la fin de la production du Prolift par un communiqué de presse publié dans la revue professionnelle Pelvimag.
Ethicon France, filiale de Johnson et Johnson, a annoncé en juillet 2012 la fin de la production du Prolift par un communiqué de presse publié dans la revue professionnelle Pelvimag.© Pelvimag (capture d’écran)

En 2011, la FDA (l’organe américain de régulation des denrées et médicaments) diffuse une note selon laquelle les complications liées aux implants urogynécologiques ne sont « PAS rares », et les mailles synthétiques anti-prolapsus « ne présentent pas d’avantages par rapport à la chirurgie traditionnelle ». Dans la foulée, l’implant Prolift est retiré du marché par Johnson et Johnson « par décision purement commerciale ». Cet évènement attire l’attention des médias et provoque l’éclatement d’un scandale aux Etats-Unis. En réaction, les instances européennes préconisent en décembre 2015 que toute maille urogynécologique doit être posée par un chirurgien expérimenté et après réflexion conjointe avec la patiente sur les risques liés à cette opération. Cependant, cette recommandation met surtout l’accent sur les cures de prolapsus par voie vaginale, « les dispositifs contre l’incontinence présentant moins de risques du fait de la plus faible surface de mailles utilisée ».

Tous les implants dans le même panier ?

En Belgique, ce dispositif a d’ailleurs été interdit un temps. Laurent de Landsheere, directeur du groupe de travail consacré à la chirurgie du Groupement des gynécologues francophones, détaille : « Les prothèses transvaginales utilisées dans les cures de prolapsus génital sont arrivées en Belgique en 2004. Cette technique a fait preuve d’efficacité et de taux de complications faibles dans des centres de références, avec un important volume opératoire et des chirurgiens expérimentés. Mais elle a connu un développement très, voire trop rapide, alors que les études sur les effets à long terme étaient encore faibles. » En avril 2015, l’INAMI décide de suspendre l’utilisation des filets vaginaux, pourtant déjà implantés par centaines en Belgique, pour qu’ils subissent une phase de tests. Seuls deux d’entre eux sont réautorisés en mai 2017, et font depuis l’objet d’un suivi très strict. Un registre national a été spécialement créé pour ces prothèses, avec la nécessité d’introduire un suivi post-opératoire de la patiente.

Selon le Guardian, 15 % des implants synthétiques posés dans la dernière décennie en Angleterre ont été partiellement ou entièrement retirés.
Selon le Guardian, 15 % des implants synthétiques posés dans la dernière décennie en Angleterre ont été partiellement ou entièrement retirés.© The Guardian (capture d’écran)

Mais quid des autres types de mailles ? Selon le chirurgien, ces dispositifs ont déjà suffisamment fait leurs preuves. « Les études auxquelles j’ai pu participer concernant les bandelettes donnaient un taux de complications de seulement 3 à 5 %. Ces opérations sont très sûres et devenues des références. » Comme la majorité des professionnels de santé, il tient à ce qu’une distinction claire soit faite entre les risques liés aux implants vaginaux anti-prolapsus et les autres. Pourtant, par mesure de précaution, certains gouvernements comme l’Écosse en septembre ou l’Angleterre cet été ont stoppé l’utilisation de l’ensemble des implants synthétiques urogynécologiques pour qu’ils subissent de nouveaux tests. Ces décisions politiques font notamment suite à une enquête du journal Guardian des plus alarmantes. D’après celle-ci, pas moins de 15 % des implants vaginaux posés dans la dernière décennie en Angleterre ont ensuite été retirés pour cause de complications. Parmi ces dispositifs, sur les 75 000 bandelettes TVT anti-incontinence (les plus courantes) qui ont été installées, 6,5 % ont été retirées.

Situation en Belgique

  • Selon les chiffres transmis par l’INAMI, en 2017, 7 698 implants urogynécologiques ont été posés en Belgique, dont 6 070 pour le traitement de l’incontinence urinaire et 1 628 pour le traitement du prolapsus. Le nombre de ces opérations est en baisse depuis une décennie, 9 372 dispositifs ayant été implantés en 2011, 8 524 en 2013 et 8 304 en 2015.
  • Il est à noter que l’an dernier, parmi les traitements du prolapsus, la grande majorité ont été posés par voie abdominale plutôt que vaginale, conformément aux recommandations européennes. En d’autres termes, en 2017, 1 621 implants ont été posés par voie abdominale, et 7 875 par voie vaginale.

Un défaut d’information

Bien sûr, toute chirurgie comporte des risques. Mais les prendre en connaissance de cause est une chose, le faire sans le savoir en est une autre. Peut-être parce que leurs cas ne relevaient pas de l’opération la plus risquée, ni Katrien, ni Katia n’a entendu parler de la moindre possibilité de complication avant son opération, et a mis des années à faire reconnaître sa souffrance. Et elles l’assurent : « Si j’avais su, jamais je n’aurais accepté ». Tout comme la centaine d’autres femmes belges porteuses d’un implant anti-incontinence ou prolapsus douloureux voire handicapant, réunies dans le groupe de soutien néerlandophone MeshedUp. « Trop souvent, les patientes ne découvrent les potentiels effets indésirables qu’une fois qu’elles y sont confrontées », confirme Maria Smit, cofondatrice du groupe créé en 2009. Selon elle, certains praticiens implantent encore aujourd’hui sans assurer l’information minimum des patientes, ses dernières adhérentes ayant été opérées à l’été 2017. « Nous ne nions pas que les implants fonctionnent chez plein de femmes, mais pourquoi est-ce si difficile de reconnaître qu’ils peuvent aussi vous gâcher la vie ? »

Un dispositif simple à poser, mais beaucoup plus difficile à retirer.
Un dispositif simple à poser, mais beaucoup plus difficile à retirer.© Youtube (capture d’écran vidéo BBC News)

Car si les poses d’implants urogynécologiques sont toujours quotidiennes en Belgique, les opérations de retrait sont beaucoup moins courantes. Katrien en a fait l’amère expérience. Après le diagnostic tant attendu du rejet de sa bandelette, il y a deux ans, elle a voulu la faire retirer. « Un premier gynécologue de Louvain m’a répondu que l’opération était inutile et impossible. Un second à Anvers m’a proposé d’essayer, mais seulement pour un retrait partiel. » Katrien refuse ; selon des témoignages trouvés en ligne, les morceaux restants pouvaient voyager dans le corps et causer encore plus de dégâts. « Pourtant, c’est la seule opération dont je pouvais bénéficier en Belgique. Pour un retrait total, on m’a dit d’aller à l’étranger. » Les implants sont en effet conçus pour s’intégrer au corps, les organes « avalant » peu à peu les mailles en plastique. « Peu de praticiens en Belgique sont capables de procéder à un retrait », reconnaît Laurent de Landsheere. « Cela demande une grande expertise en urogynécologie, pour laquelle il n’existe pas encore de diplôme ou de formation spécifique. Nous sommes un peu en retard. » Le spécialiste tient tout de même à rassurer : « Plusieurs centres de référence en pelvi-périnéologie ont été récemment créés, ainsi que des fiches d’information à destination des patientes. »

« Le retrait de l’implant m’a redonné vie »

Par le biais de MeshedUp, Katrien prend finalement contact avec Sohier Elneil, une chirurgienne londonienne qui accepte de pratiquer un retrait total. Elle est réopérée en août dernier, après 9 années de douleurs constantes. « Je revis. J’ai encore un peu mal et je dois suivre des séances de rééducation, mais ce n’est rien comparé à avant. » Katrien a dû débourser 10 000 euros pour financer ce retrait. « Et encore, le docteur Elneil a été compréhensive, elle savait que je payais sur mes fonds propres. En principe, l’opération coûte 18 000 euros. » Katia aussi a dû investir tout ce qu’elle avait pour financer sa réopération. Dans son cas, seul un retrait partiel a été possible. Pour l’aider à supporter les dommages irréversibles causés à ses nerfs et ses intestins, on lui a implanté un neurostimulateur au sacrum. « Depuis 6 mois, je ressens 30 % de douleurs en moins par rapport à avant. Et c’est déjà un cadeau de Dieu. »

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Certains pays ont d’ores et déjà pris les devants dans la reconnaissance des victimes d’implants maillés non-adaptés. Début octobre, le ministre de la Santé australien Greg Hunt présentait les excuses du gouvernement aux femmes « victimes des implants et de leurs horribles complications ».

Juliette Chable

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