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Amis pour la vie ?

Pourquoi courons-nous derrière l’amitié ? Qu’est-ce qui nous rapproche ? L’amitié est-elle propre aux êtres humains ?

Pourquoi nous faisons-nous des amis ? Pour nombre d’entre nous, il s’agit de pouvoir s’appuyer sur quelqu’un lorsque cela va mal. Pourtant, l’énergie que nous dépensons à entretenir un réseau de bons amis est bien plus qu’une sorte de filet émotionnel, car la démarche apporte également des bénéfices très concrets. A contrario, l’isolement social diminue les chances de survie, entraîne plus de maladies contagieuses ou cardiovasculaires, une survie plus brève après un diagnostic de cancer, etc, alors qu’un cercle d’amis fiables diminue généralement la pression artérielle et le niveau de stress, le risque de dépression et même l’excès pondéral. Les amis proches peuvent en effet inciter à une meilleure hygiène de vie, comme un supplément d’activité physique – déjà parce qu’il faut sortir pour les rencontrer. Mais le lien peut aussi être plutôt néfaste. À titre d’exemple, le risque de voir quelqu’un prendre du poids augmente lorsque ses amis grossissent. Une différence significative d’indice de masse corporelle induit un risque plus élevé de rupture de la relation amicale, tandis que les personnes en surpoids restent plus longtemps amies, pouvant ainsi renforcer mutuellement leurs mauvaises habitudes alimentaires. La même tendance s’observe chez les fumeurs.

Une admiration unilatérale

La véritable amitié se caractérise par la réciprocité. Cette dernière semble même être une des règles de base : si Paul est l’ami de Pierre, alors Pierre doit aussi être un ami pour Paul. Cependant, des études s’intéressant aux relations sociales ont montré que des amitiés unilatérales survenaient au sein de cercles fermés comme des écoles et des entreprises (5). Les listes d’amis ne correspondent pas entre des amis interrogés, et les amitiés unilatérales sont fréquentes. À ce titre, le statut social joue un rôle important. Des collègues de travail d’un rang hiérarchique plus élevé sont régulièrement considérés comme des amis alors que le contraire, l’amitié unilatérale avec des personnes subordonnées, ne se produit pratiquement jamais. Les amitiés réciproques ne s’observent presque toujours qu’entre personnes de statut à peu près identique.

Pas pareil au travail

Et puis il y a les amis au travail. De bons liens d’amitié rendent d’ailleurs plus heureux, plus créatif, plus productif et moins stressé. À cause de l’individualisation de nos sociétés, nous accordons toujours plus d’importance à l’amitié au travail. Nous y passons en effet beaucoup de temps ensemble, et nous avons ainsi beaucoup de possibilités d’apprendre à bien nous connaître. Cela n’est cependant pas sans risque. Car si le travail est un choix volontaire, on ne choisit pas ses collègues, qui sont comme un paquet-surprise accompagnant le contrat de travail. Les collègues-amis forment donc une autre catégorie que celle du cercle normal d’amis. Le travail, qui est la base de la stabilité financière personnelle, s’effectue souvent au sein d’une structure hiérarchisée, qui est à l’opposé d’une base égalitaire. De plus, un collègue peut devenir soudainement notre supérieur, et cela peut interférer fortement avec les liens d’amitié. Notre supérieur peut exiger que nous suivions de nouvelles directives et certains objectifs, et refuser d’en discuter alors que l’amitié passée nous l’aurait fait espérer. Ce n’est pas toujours guidé par de mauvaises intentions, car les personnes qui acceptent une nouvelle fonction doivent également répondre aux exigences de cette dernière, des exigences qui peuvent entrer en conflit avec la camaraderie passée. Par ailleurs, nos collègues peuvent également voir d’un mauvais oeil nos liens amicaux avec le supérieur et suspecter des privilèges indus.

L’amitié au travail peut être un avantage lorsqu’elle est bien gérée et qu’elle représente un soutien supplémentaire, mais elle est également risquée lorsque des données personnelles peuvent jouer contre nous. Il est également risqué de compter sur un lien durable car, en tant qu’employé, nous sommes dépendants des décisions de notre employeur, qui peut par exemple nous muter ou nous licencier. Enfin, lorsque les routes professionnelles se séparent, les collègues croient souvent qu’ils vont rester en contact. Mais force est de constater que très souvent, leur relation se dilue très vite, surtout lorsqu’il s’avère que le travail était la seule chose partagée.

Et chez les animaux ?

On a longtemps pensé que l’amitié était une caractéristique purement humaine, impliquant des choix relationnels basés sur des capacités faisant appel à la raison. Pourtant, les animaux sont eux aussi capables de nouer des liens d’amitié forts et intenses, et chez bien plus d’espèces qu’on le croyait jusqu’il y a peu. Cette découverte ne repose pas sur de quelconques changements dans le monde animal. Simplement, elle se fait jour parce que nous accordons enfin plus d’intérêt à ce phénomène, parce que nous l’observons avec plus d’acuité qu’auparavant, et que les résultats d’expérimentations sociales avec les animaux nous démontrent cette réalité.

Les vaches ont-elles des amies ?

Dagmar van der Neut a publié un livre passionnant qu’elle a consacré à l’amour et à la sexualité chez l’homme et chez l’animal (6). Elle dédie un chapitre entier à l’amitié chez l’animal, citant des résultats d’étude et plusieurs exemples intéressants. L’auteure évoque notamment une étude de l’Université de Northampton, au Royaume-Uni, où des vaches étaient séparées pendant une demi-heure : soit seules, soit avec une autre vache choisie arbitrairement, soit avec leur « meilleure amie ». Dans ce dernier cas, la fréquence cardiaque et le taux sanguin des hormones de stress de la vache chutaient. Dans les deux autres situations, au contraire, son niveau de stress augmentait. Dagmar van der Neut cite également le cas d’animaux qui montrent un comportement dépressif après avoir été séparés de leur camarade fréquenté depuis plusieurs années : ils se retiraient pendant des semaines du groupe, refusant la compagnie d’autres animaux et ne mangeant presque plus – autant de signes évoquant clairement un chagrin.

Les animaux amis se tiennent mutuellement à l’oeil et s’appellent lorsqu’ils se perdent de vue. Ce n’est cependant pas le seul indice d’une camaraderie. Ainsi, les chevaux et les vaches se frottent régulièrement l’un contre l’autre, posent la tête sur la nuque de l’ami, ou encore se lèchent mutuellement à des endroits qu’ils peuvent difficilement atteindre eux-mêmes. Dans ce dernier exemple, il serait tentant de croire que les animaux agissent ainsi dans l’espoir d’une réciprocité, mais ce n’est pas le cas à court terme. Comme les humains, les animaux sont donc également capables de s’investir dans des amitiés sans en attendre un retour direct. Ils ne tiennent donc pas de comptes, et leur comportement semble plutôt reposer sur le sentiment qu’ils éprouvent pour l’ami.

De l’amitié ?

Les animaux se souviennent également de leurs anciens camarades. Ainsi, des corbeaux séparés répondent à l’appel d’anciens compagnons autrement qu’à celui de corbeaux inconnus. Même après plus de trois ans, ce qui est une durée assez longue pour ces oiseaux.

Couplées à de nombreuses autres, ces observations donnent à croire qu’il y a bien plus que la simple recherche d’une compagnie, mais de nombreux chercheurs hésitent à parler d’amitié chez les animaux car de nombreux points restent encore peu clairs. Ces possibles « amitiés » peuvent-elles également se rompre chez les animaux et, si oui, quelle en serait la cause ? Les vaches forment-elles des groupes, avec les amies des amies qui deviendraient également des amies ? Quant à celles qui ont un  » mauvais caractère », ont-elles des amies, ou pas ? Quoi qu’il en soit, il est fréquent que des amis n’éprouvent pas d’autres besoins que d’être ensemble. C’est à la fois rassurant et distrayant, et les animaux en font de même. Il n’y a, soit dit en passant, aucune honte à affirmer qu’à certains moments, l’amitié n’est rien de plus.

« Oups, je l’ai mangé ! »

Les histoires sur des animaux prédateurs qui nouent une amitié temporaire avec leur proie – le plus souvent une proie très jeune – sont très populaires. La question se pose de savoir si de tels liens momentanés représentent une véritable forme d’amitié, d’autant plus que la suite est souvent tragique pour la proie. Il n’empêche que des animaux d’espèces différentes peuvent nouer des relations intenses et durables. Certes, cela se produit généralement dans un contexte humain, où les animaux sont obligés de vivre dans un espace commun. Dans la nature, par contre, des frontières entre les espèces existent dans la plupart des cas, mais certains animaux les dépassent clairement. On ignore ce qui les amène à agir ainsi et comment ils communiquent entre eux.

Les amis sentent bon

Alors qu’est-ce qui nous rapproche de nos amies les bêtes ? Alors que nous sommes convaincus de choisir (ou de rejeter) d’autres personnes tout à fait consciemment, le fait que les animaux semblent en faire de même a de quoi semer le doute. À juste titre d’ailleurs, car il semble bien que d’autres facteurs jouent un rôle, dont la génétique. Chez les humains, le degré de similitude génétique entre amis est comparable à celui qui existe entre deux cousins relativement éloignés, avec des arrière-arrière-arrière-grands-parents communs (7). Les gènes qu’ils partagent sont le plus souvent en relation avec l’odorat, ce qui les amène fréquemment à apprécier ou à rejeter les mêmes odeurs. Par contre, le système immunitaire diffère très fortement entre amis sur le plan génétique. Une hypothèse veut qu’il s’agirait d’un mécanisme de sécurité, qui aide à éviter les contaminations réciproques par un même microbe. Il est intéressant de noter que des études passées avaient déjà révélé des observations comparables au sein des couples. Il existe donc peut-être bien une base à l’idée répandue selon laquelle être de bons amis serait la meilleure garantie d’un mariage heureux.

Certains chercheurs suggèrent un lien entre la forte similitude de l’odorat et le contraste marqué entre les systèmes immunitaires. Pour eux, il se pourrait que nous sentions inconsciemment ces différences immunitaires. Cette théorie n’est pas (encore) démontrée mais, avec d’autres éléments, elle tend fortement à indiquer que nous ne choisissons pas par hasard ni tout à fait rationnellement nos amitiés : des mécanismes subtils nous guident également, inconsciemment. Et en cela, nous nous rapprocherions des animaux…

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