Tournée Minérale © © Tournée Minérale

Alcool: quelle place dans nos vies ?

Le Vif

Tournée Minérale ! C’est le mot d’ordre en ce mois de février. L’alcool est dès lors laissé au placard ! L’objectif : nous faire réfléchir à la place que prend l’alcool dans nos vies de tous les jours et sensibiliser à ses effets néfastes sur notre santé.

Nous avons rencontré les deux responsables de l’initiative  » Tournée Minérale  » des deux côtés de la frontière linguistique : le Dr Didier Vander Steichel de la Fondation contre le Cancer, et Paul Van Deun, du VAD. Car du fait de leur spécialité, leur regard sur l’alcool et ses méfaits s’axent sur des aspects différents…

D’où vient cette idée de  » Tournée minérale  » ?

Didier Vander Steichel :  » Nous avons pris connaissance de l’initiative en Grande-Bretagne, où elle est portée par la ligue britannique contre le cancer, depuis quelques années, sous le nom de ‘Dryathlon’. Elle se déroule en janvier et rencontre un beau succès (1). Nous avons donc décidé de lancer cette idée en Belgique. Parallèlement, nous avons appris que le VAD avait eu la même idée et nous nous sommes associés pour y travailler ensemble. Mais nous mettons l’accent sur des méfaits différents de l’alcool. Le VAD axe sur le risque de dépendance, nous sur l’alcool comme facteur de risque du cancer.  »

Justement, quels sont les messages que vous voulez faire passer par cette campagne ?

Paul Van Deun :  » L’alcool cause beaucoup de dommages à la société, bien plus que ne le réalisent la plupart des gens. On estime que dans notre pays, le coût total de tous les produits stimulants légaux et illégaux s’élève à 4,6 milliards par an (2), dont une petite moitié est attribuée à l’alcool. Cela couvre des coûts directs, tels que les accidents de la circulation, la violence, le maintien de l’ordre, les soins médicaux, les maladies etc. Mais également des coûts indirects comme la perte de production et l’incapacité de travail, qui incombent surtout à l’employeur. Ainsi, selon l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) chaque année, en Belgique, l’alcool envoie à l’hôpital quelque 8000 victimes innocentes (3), soit parce qu’elles ont été fauchées sur la route par un conducteur sous influence, soit parce qu’elles ont été battues par un parent ou un conjoint ivre, par exemple. Et une bonne vingtaine d’entre elles n’y survivent pas.  »

DVS :  » Mais il y a également d’autres effets nocifs de l’alcool nettement moins connus et largement sous-estimés par le grand public, en particulier son rôle en matière de cancer. Le premier organe auquel on pense est le foie, et c’est vrai : la cirrhose due à l’alcool peut évoluer vers un cancer. Mais il y a aussi d’autres organes qui peuvent être touchés par un cancer favorisé, entre autres choses, par l’alcool. C’est le cas des cancers ‘tête et cou’, qui regroupent les cancers des voies respiratoires supérieures (en particulier le pharynx et le larynx) et de la bouche. Ils sont très largement dus à l’alcool et au tabac, dont on connaît l’effet multiplicateur lorsque l’on consomme les deux… De même que le cancer de l’oesophage. Mais ce que l’on sait moins, c’est que l’alcool fait partie des facteurs qui interviennent, même s’il ne s’agit pas d’un facteur de risque majeur, dans les cancers du sein, du côlon et du rectum. Pour ce qui est du cancer du sein, qui est le mieux étudié, on a constaté que la consommation d’un seul verre par jour, chaque jour durant une longue période provoquait une faible augmentation du risque ; cependant, il était évident que ce risque augmentait proportionnellement à la consommation ! Un autre effet délétère par rapport au risque de cancer est le fait que les boissons alcoolisées font prendre du poids ; or, le surpoids et l’obésité sont d’autres facteurs de risque de bon nombre de cancers, et bien plus importants que la consommation d’alcool à proprement parler ! Il s’agit du deuxième facteur de risque le plus important après le tabac ! Limiter sa consommation d’alcool aide donc à surveiller son poids…  »

Selon le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), 10 % des adultes belges sont confrontés à des problèmes d’alcool (4). Est-ce sur ces personnes qu’il convient de se concentrer ?

PVD :  » Oui, mais nous visons également les personnes qui feraient mieux de ne rien boire ou de boire très peu, par exemple à cause de leur tension artérielle, pour éviter les chutes ou en raison de la sécurité au travail. Les gros buveurs restent, bien sûr, un groupe très important, en particulier pour l’industrie de l’alcool (5). En effet, selon l’OCDE, 70 à 80 % du volume total d’alcool est consommé par 20 % de la population (3). Nous sommes bien conscients qu’il est impossible d’éradiquer totalement l’usage problématique de l’alcool. Le défi majeur réside dans la maîtrise de cet usage, d’une part en jouant sur les prix et la disponibilité et, d’autre part en fixant des limites d’âge et des normes et un prix élevé pour décourager la consommation.  »

DVS :  » Pour notre part, puisque nous avons pour objectif d’informer sur les risques d’une consommation, même modérée, sur les risques de cancer, nous visons Monsieur Tout-le-Monde. Car les usagers problématiques n’ont pas besoin d’une campagne comme la nôtre pour savoir qu’ils boivent trop… Notre but est clairement de faire prendre conscience à tout un chacun de la place qu’occupe l’alcool dans sa vie de tous les jours. De se rendre compte à quel point ils sont influencés par leur entourage à boire. Et de voir si un mois sans toucher un verre d’alcool leur pose problème…  »

En matière de quantités raisonnables d’alcool par semaine, vos avis semblent d’ailleurs diverger…

PVD :  » Nous avons fixé une limite de 10 verres par semaine pour tout le monde. Ce chiffre aide le consommateur à évaluer son propre usage. Certains de mes patients estiment que boire 5 à 6 bières par jour n’est pas excessif. Un verre ou deux après le travail avec des collègues, un apéritif avant le dîner, encore un petit verre en mangeant et un autre avant d’aller se coucher. Sans s’en rendre compte, ils dépassent vite la limite de sécurité. À présent, ils disposent de cette nouvelle directive à laquelle se référer.  »

DVS :  » La limite du VAD est certainement tout à fait justifiée pour éviter une consommation abusive d’alcool. Notre point de vue, à la Fondation, est de considérer le risque en matière de cancer. Et nous optons pour une limite d’un verre par jour, que l’on soit un homme ou une femme, et quel que soit notre âge. 7 verres par semaine maximum pour éviter d’augmenter notre risque de cancers…  »

Ces mesures strictes ne nous privent-elles pas des bonnes choses de la vie ?

PVD :  » Non, nous ne voulons pas priver les gens de leur bière, parce que la plupart boivent peu et restent bien en dessous de la norme de sécurité. Nous ne nous faisons pas de soucis à leur sujet. Nous voulons juste veiller à ce qu’ils ne soient pas tentés de boire davantage. Par exemple, en leur faisant découvrir des bières sans alcool. Je ne suis pas opposé à l’alcool. Je préconise l’usage modéré et de bon goût, mais m’insurge contre les immenses campagnes publicitaires qui donnent l’impression que vous passez à côté de quelque chose si vous ne buvez pas.  »

DVS :  » Je dirais simplement que le moins sera le mieux… Nous ne visons pas de consommation ‘zéro’, car l’alcool tient une place dans nos cultures. Mais ce que l’on ne consomme pas un jour ne doit pas être rattrapé le lendemain ! Et pour ce qui est des bonnes choses de la vie, le mois de février sera l’occasion de constater qu’il est possible de faire la fête, de s’amuser, de vivre intensément les moments agréables sans l’aide de l’alcool. C’est pour faire passer ce message que le ton de cette campagne ‘Tournée Minérale’ se veut festif. Il suffit d’essayer, voire de relever ce défi en groupe !  »

L’industrie de la bière prend régulièrement des initiatives contre l’usage excessif. Cela ne fait-il pas double emploi ?

PVD :  » Non, la prévention est une tâche relevant des organismes de prévention et des autorités, et nous ne sommes pas les seuls à défendre cette position. L’Organisation Mondiale de la Santé affirme catégoriquement que l’industrie ne doit pas se charger de la prévention, parce que son but est avant tout de gagner de l’argent et qu’il y a donc conflit d’intérêts. Nous entendons régulièrement que l’industrie veut oeuvrer en faveur d’un ‘changement des mentalités’ et mettre sur le marché ‘plus de bières à faible teneur en alcool’. Pourtant, alors que certains producteurs affirment vouloir, en 10 ans, réduire de 10 % l’usage problématique de l’alcool dans le monde, à coups de campagnes pour un budget total d’1 milliard de dollars, la même semaine, ils vendent à très bas prix des bières à faible teneur en alcool sur des campus universitaires pour promouvoir leur produit. Les autorités ont hélas tendance à suivre l’industrie parce que cela ne leur coûte rien. Nous avons une responsabilité collective de protéger notre population et notre société. Il ne faut pas interdire l’alcool, mais fixer des limites. Le VAD préconise par exemple depuis longtemps une interdiction de la vente d’alcool aux jeunes de moins de 18 ans, comme c’est le cas aux Pays-Bas et en France. Cela peut se révéler très bénéfique. Depuis l’introduction de l’âge minimum de 16 ans, la consommation d’alcool chez les plus jeunes a fortement diminué. Selon nous, poser cette limite à 18 ans aurait ce même effet favorable.  »

Par Jan Etienne et Carine Maillard

Chaque année, 8000 victimes innocentes de l’alcool sont envoyées à l’hôpital.

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