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A Madagascar, les malades de la lèpre condamnés à vivre reclus

Le Vif

Depuis plus d’un demi-siècle, Joseph Ralaiharo vit reclus dans un village perdu du centre de Madagascar. Isolé du reste de l’île par la maladie et, surtout, par le regard de ses contemporains. Même s’il en a guéri, la lèpre a fait de lui un paria à perpétuité.

« Je ne peux plus rentrer chez moi, car (quand on a eu la lèpre) personne ne veut plus nous voir », déplore le vieil homme. « On ne peut plus aller ni dans les puits pour chercher de l’eau, ni dans les champs. Même nos terres ont été déjà vendues par nos proches ».

Joseph Ralaiharo a vaincu le bacille de la lèpre mais il en porte les stigmates permanents. La plupart de ses doigts ont disparu et son oeil gauche pleure en permanence.

Aujourd’hui âgé de 65 ans, il est arrivé dans la petite bourgade d’Ilena avec sa mère alors qu’il n’en avait que 13. Chassé de sa maison par la lèpre. Il n’est jamais rentré de cet exil.

Posé au sommet d’une colline cernée par la forêt, à une poignée de kilomètres de la ville de Fianarantsoa, le village d’Ilena constitue depuis 1892 un refuge pour les victimes de cette maladie ancestrale, dont on peut guérir mais qui, si elle n’est pas traitée à un stade précoce, cause de graves lésions de la peau.

Apparue au début de l’ère chrétienne, la lèpre et son cortège de peurs ont disparu d’Europe au XVIIIe siècle. Quelques foyers persistent toutefois dans le monde, notamment en Afrique.

Selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), quelque 173.000 malades étaient encore recensés dans le monde fin 2016. Pas moins de 16 millions de patients ont reçu un traitement contre cette maladie au cours des 20 dernières années et 200.000 nouveaux cas sont dépistés chaque année, soit un toutes les cinq minutes.

Au fil des ans, Ilena s’est transformé en camp pour lépreux. Plus de 400 personnes, dont plus d’une centaine d’enfants, y vivent encore aujourd’hui. Parqués, sans grand espoir de pouvoir, un jour, s’en échapper pour retrouver la vie « normale ».

‘Un ghetto’

Isolés, les habitants y subsistent d’agriculture et d’élevage et améliorent l’ordinaire en produisant un peu de charbon de bois.

« Ce village est devenu un ghetto », lâche sans sourciller la soeur Damien Koenig, dont la congrégation des Soeurs de la divine providence administre Ilena depuis une dizaine d’années maintenant.

« Quand nous sommes arrivées, on a tenté d’expliquer que la lèpre n’était pas une maladie honteuse, que les malades ne devaient pas être gênés, qu’il fallait qu’ils sortent », poursuit la religieuse, « mais à ce jour, ni un jeune homme ni une jeune fille ne peuvent trouver un mari ou une épouse à l’extérieur ».

Les Malgaches se targuent volontiers de leur tradition d’entraide, de solidarité et de fraternité, la fameuse « fihavanana ». Mais les lépreux en sont exclus, victimes de toutes les discriminations.

L’histoire de la léproserie de Marana, bâtie sur la colline qui fait face à Ilena, en témoigne. Ces quarante dernières années, elle a été déplacée trois fois pour échapper à la vindicte des habitants de la ville voisine de Fianarantsoa.

Ses 80 pensionnaires sont aujourd’hui cachés au coeur d’une épaisse forêt, à l’abri de tous les regards.

« Quand on revient d’une léproserie, c’est difficile de réintégrer la société », soupire l’un d’eux, Robert Razafimahatratra, 61 ans, « même ma famille a pris ses distances avec moi ».

« Ce qui m’a le plus dérangé, ce n’est pas la maladie mais le fait qu’ils (ma famille) m’ont rejetée. C’est un mélange de honte, d’incompréhension et de peur », abonde une autre patiente, Harisoa Marline. « Et c’est ma propre famille, qui a le même sang que moi, qui me fait ça », s’indigne-t-elle.

Dépistage

La pauvreté, les difficultés d’accès aux soins et la défiance de la population pour les lépreux expliquent la persistance de la maladie sur la Grande île.

« Madagascar recense 1.500 nouveaux cas de lèpre en moyenne tous les ans », indique le Dr Andriamirana Andrianatoandro, du ministère malgache de la Santé, qui regrette « l’exclusion et l’ostracisme » qui visent les malades.

En l’absence de vaccin, le dépistage est vital. Malheureusement, il est souvent tardif, voire impossible.

« On ne dit jamais qu’on vient faire un dépistage de la lèpre dans les villages », confirme l’une des responsables du centre de Marana, la soeur Sabine Ramasinoro, « pour éviter que les gens s’enfuient, on dit juste qu’on est là pour les soigner ».

« Il n’y a pas de motivation, pour un cultivateur qui habite en brousse, à effectuer un dépistage de la lèpre au stade précoce de la dermatose », constate le Dr Bertrand Cauchoix, de la fondation Raoul Follereau, principal bailleur de fonds dans la lutte contre la maladie. « Il ne fera un dépistage que lorsqu’il aura un handicap et qu’il aura déjà, probablement, contaminé quelqu’un d’autre. »

Pour inverser la tendance, le Dr Cauchoix prône la mise en place de programmes de prise en charge des dermatoses. Difficile, forcément, dans le climat de suspicion et d’indifférence ambiant.

Il déplore que certains considèrent la bataille contre la lèpre comme gagnée, même si elle l’est dans certaines régions du monde.

« On a fait l’erreur de proclamer trop vite la victoire contre la lèpre. On ne parle plus assez de cette maladie. »

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