Les nouvelles technologies facilitent l'accès aux livres et aident à faire partager le goût de la lecture. © GETTY IMAGES

Quand des bibliothèques se réinventent pour faire du numérique un atout

Le Vif

Après-midis dédiés aux jeux de rôle, initiations au codage, détournements ludiques de couvertures de livres sur les réseaux sociaux : les bibliothèques se sont réinventées, pour faire du numérique non pas une menace mais un atout.

Dans Matilda, de Roald Dahl, formidable ode à la lecture destinée au jeune public, l’héroïne éponyme voit les livres comme autant de portails magiques, qui  » la transportaient dans des univers inconnus et lui faisaient rencontrer des personnages hors du commun qui menaient des vies exaltantes « . Sauf qu’entre la parution du roman, en 1988, et aujourd’hui, le petit monde de l’édition a été confronté à la révolution numérique, un séisme dont l’onde de choc s’est fait ressentir jusque dans les bibliothèques. Nombre d’entre elles, les plus petites, nichées derrière une salle paroissiale ou à l’ombre d’une école, ont d’ailleurs abordé vaillamment le passage au nouveau millénaire, avant d’être contraintes de fermer leurs portes. Et tout le secteur d’écrire un nouveau chapitre de son histoire : plutôt qu’une disparition, les bibliothèques belges ont fait le choix de la réinvention, devenant des lieux de rencontre plutôt que de passage, et adoptant pleinement le digital.

Faire de la bibliothèque un troisième lieu, au croisement de la maison et du travail.

Fleuron de cette approche de la lecture 2.0 : Lirtuel, la plateforme de prêt de livres numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de ses partenaires qui, période de confinement oblige, a récemment étendu son offre, ajoutant cent-trente nouveaux titres à son catalogue, téléchargeables gratuitement. Le nombre d’ouvrages que l’on peut emprunter en même temps est également passé de quatre à huit. Tous sont disponibles sur n’importe quelle liseuse, à l’exception de la Kindle d’Amazon, mais aussi accessibles via ordinateur et smartphone, et ce pour une durée de trente jours. Car bibliothèque virtuelle ne signifie pas fonctionnement différent pour autant : les droits de diffusion des livres numériques sont à certains égards similaires à ceux du livre imprimé,  » les ententes de diffusion avec éditeurs prévoient qu’un seul exemplaire peut être prêté à la fois « , explique-t-on du côté de Lirtuel. Parmi les bibliothèques publiques qui mettent leurs collections numériques à disposition sur cette plateforme, Les Chiroux (Liège), dont la directrice, Bénédicte Dochain, est une défenseuse enthousiaste des vertus du numérique.  » Pour nous, adopter les nouvelles technologies était indispensable, à la fois pour permettre aux utilisateurs d’accéder à nos collections, mais aussi pour nos bibliothécaires, qui peuvent par ce biais partager leurs coups de coeur via les réseaux sociaux.  » Dont acte : chaque vendredi, un des bibliothécaires des Chiroux s’amuse à concevoir un bookface, composition humoristique où la couverture du livre se substitue au visage ou à la main de celui ou celle qui la tient, selon l’image choisie.

Amusant, le bookface. Ou quand la couverture du livre se substitue, comme ici, au visage.
Amusant, le bookface. Ou quand la couverture du livre se substitue, comme ici, au visage.© DR

Réseaux sociaux inclus

Vêtu d’une chemise à carreaux, Denis devient ainsi une incarnation plus vraie que nature du jeune homme qui illustre Le Champ de bataille, de Jérôme Colin, tandis que la frange de Virginie surplombe le visage de femme en couverture de Protocole gouvernante, de Guillaume Lavenant. Un moyen ludique de faire parler de la bibliothèque sur les réseaux, mais aussi d’inviter les abonnés à découvrir de nouveaux ouvrages. Et si Bénédicte Dochain confie en souriant, au sujet du bookface, que  » tous les moyens sont bons pour permettre aux usagers de retourner vers la lecture, qu’elle soit sur support papier ou numérique « , dans les faits, c’est tout un arsenal qui est déployé pour y arriver.

Notamment Perioclic, un service qui permet aux usagers d’avoir accès à des scans d’articles de périodiques –  » une nécessité en cette période « , souligne encore la directrice des Chiroux – ou Eurekoi, version moderne et gratuite du documentaliste.  » On offre des réponses à distance aux usagers, par exemple à un étudiant qui réalise un travail de fin d’études : des bibliothécaires formés à l’utilisation de l’outil vont faire des recherches poussées pour lui fournir des réponses. C’est un service qui est disponible gratuitement dans toute la Fédération Wallonie-Bruxelles, et auquel on peut poser tout type de questions, qu’il s’agisse de documentation ou simplement de conseils pour choisir des livres ou des films.  »

Amusant, le bookface. Ou quand la couverture du livre se substitue, comme ici, au visage.
Amusant, le bookface. Ou quand la couverture du livre se substitue, comme ici, au visage.© DR

Un troisième lieu

Signe des temps et de l’enthousiasme dont font preuve les bibliothèques engagées dans le processus : en 2019, le service de prêt de livres digitaux a enregistré un pic en Fédération Wallonie-Bruxelles, avec plus de 10 000 lecteurs et 70 000 prêts en un an, dont 20 000 rien qu’à Liège. Autre conséquence de la généralisation du numérique, les demandes de prêts interbibliothèques ont, elles aussi, connu une croissance exponentielle, passant de 4 000 à 20 000 en un an. Pour Bénédicte Dochain, cela ne fait aucun doute : les chiffres le prouvent, les bibliothèques sont plus importantes que jamais, n’en déplaise à ceux qui s’obstinent à prédire la mort du livre. D’autant qu’en marge de leurs activités virtuelles, elles renforcent également leur présence physique. Dans les cantons de l’Est, celles qui se destinent prioritairement aux enfants organisent régulièrement des krimi parties, sortes de Cluedo géants où les petits lecteurs mènent l’enquête entre les rayonnages. A la bibliothèque de Laeken, on met en place des après-midis jeux de société et des lectures de contes en langage des signes, tandis que la bibliothèque de Namur a lancé des tables de conversation en anglais et néerlandais. A Jemappes, les ateliers  » livres textiles  » invitent, comme leur nom l’indique, à raconter des histoires par tissu interposé.

Aux Chiroux, entre cryptoparties pour apprendre à sécuriser ses données en ligne, organisation d’edit-a-thons pour mettre les femmes à l’honneur sur Wikipédia ou encore formations à Linux et jeux de rôle, les activités ne manquent pas.  » C’est important de réinventer le métier et de faire de la bibliothèque un troisième lieu, au croisement de la maison et du travail, où on vient s’installer pour lire un livre, sociabiliser, argumente Bénédicte Dochain. Nous ne pouvons plus nous contenter du simple prêt : il faut travailler la question du contenu que nous proposons dans une perspective d’émancipation citoyenne. Plus que jamais, les bibliothèques sont indispensables au coeur des villes « .

Par Kathleen Wuyard.

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