L'ordinateur de bord affiche en couleurs les éléments de l'environnement proche, qu'ils soient au sol ou en hauteur. © valéo/sdp

Donner des yeux aux voitures?

Le Vif

Au-delà de simples caméras embarquées, l’intelligence des engins de demain permettra à l’automobiliste de mieux appréhender les dangers routiers. Et à l’auto d’être totalement autonome.

Eté 1956. La classe moyenne américaine émerveillée découvre la Buick Centurion, le premier véhicule du monde équipé d’une caméra de recul. En avance sur son temps, ce concept car embarque un petit studio de télévision dans son coffre arrière ainsi qu’un écran au milieu du tableau de bord afin de recevoir des images en direct. Soixante ans plus tard, les assistances à la conduite se sont généralisées. Nos voitures disposent de caméras, et la vue arrière n’impressionne plus personne. Mais une nouvelle révolution se prépare : l’utilisation de logiciels et d’algorithmes pour améliorer considérablement la  » vision  » des automobiles.  » Les mathématiques prennent le pas sur l’optique « , confirme Claude Laurgeau, président de la société Intempora et fondateur du centre de robotique de l’Ecole des mines, en France.

Le véhicule opère par triangulation, comme dans l’ancien temps.

Un petit détour par la R & D irlandaise de Valeo suffit pour s’en rendre compte. Ici, dans ce vaste complexe spécialisé dans la production de caméras, l’équipementier français emploie 70 % d’ingénieurs logiciels, des professionnels du code passés maîtres dans la fusion d’images.  » Grâce à cette technique qui fabrique un seul cliché à partir de plusieurs sources vidéo, on peut voir un véhicule du dessus, à la manière d’un drone. Il ne s’agit pourtant que de calcul mathématique « , explique Guillaume Devauchelle, directeur de l’innovation du groupe.

Encore plus spectaculaires, les algorithmes de reconstitution d’images permettent au conducteur de voir au travers de la carrosserie. Cette technologie magique ravira les adeptes du camping estival. Elle fusionne les images issues des caméras arrière d’un véhicule et de sa caravane. Puis un logiciel les associe, de sorte que le conducteur observe, sur un petit écran face à lui, tout ce qui se passe derrière comme s’il transperçait son attelage du regard ! Une  » supervision  » utile pour surveiller les voitures qui vous suivent mais également pour les 4 x 4. Par exemple, Evoque, le dernier modèle Range Rover, filme en temps réel ce qui se passe sous ses roues avant. De cette façon, son conducteur garde une image complète de l’environnement, même lorsqu’il aborde une forte pente et que son capot lui obstrue la vue.

Voir autour du véhicule et détecter les objets que l’oeil humain n’arrive pas à percevoir immédiatement constitue l’autre grand champ d’application des caméras.  » La tendance consiste à installer dans les véhicules une optique simple permettant de réduire les coûts, tandis que l’intelligence artificielle et les réseaux de neurones se chargent du repérage des objets « , note Claude Laurgeau. Sur un parking privé à deux pas de son usine, Valeo teste ainsi des prototypes de voitures autonomes équipées de caméras de 1,2 mégapixel. Une résolution largement inférieure à celle des smartphones récents mais qui n’empêche pas l’ordinateur de bord d’afficher, sous forme colorée, tous les éléments qui composent l’environnement proche, y compris le sol.  » Pour la première fois, nous modélisons la surface sur laquelle nous roulons. Nous affichons aussi les bordures des trottoirs, ce qui manquait cruellement jusqu’ici « , signale l’ingénieur chargé de la démonstration. Les flux d’images captées, enregistrables et traitables par l’intelligence de la voiture, lui fournissent suffisamment de données afin qu’elle puisse se déplacer seule sur quelques centaines de mètres.  » Le véhicule opère par triangulation, comme les navigateurs de l’ancien temps. En se déplaçant, la taille des objets varie, ce qui permet aux caméras d’évaluer la distance « , précise Guillaume Devauchelle.

La fusion d'images peut rendre une caravane invisible. Seuls les bords (en rouge ici) apparaissent à l'écran.
La fusion d’images peut rendre une caravane invisible. Seuls les bords (en rouge ici) apparaissent à l’écran.© F. Rogozienski/valeo/sdp

Comment appréhender une botte de paille ?

Bien sûr, les voitures autonomes de demain feront appel à de multiples technologies – télédétection par laser, ultrasons, gps – pour se déplacer sans encombre sur de longues distances. Les expérimentations en Irlande prouvent cependant qu’il suffit d’une poignée de caméras et d’un bon logiciel pour les laisser se diriger seules sur de courts trajets. Quelques applications grand public de cette technologie se dessinent déjà. Ainsi, à l’avenir, il suffira de dire à son véhicule :  » Sors-moi de ce parking souterrain !  » ou  » Rentre au garage !  »

Les ingénieurs qui travaillent sur ce genre de solutions ont quand même du pain sur la planche. Certains objets ne se laissent pas aisément appréhender par un programme – ceux dont la forme peut prêter à confusion, telle une botte de paille, ou qui ne réfléchissent pas assez la lumière. C’est pourquoi certains constructeurs comme Volkswagen se tournent désormais vers des caméras infrarouges.

Autre défi : comment modéliser des fumées, par exemple celles qui s’échappent d’un pot d’échappement ?  » L’homme a appris naturellement à les identifier. Mais, pour la machine, c’est très difficile. Il nous faut l’aide des algorithmes pour retranscrire tout ça « , souligne Guillaume Devauchelle.

Les calculs sophistiqués permettent même de détecter les objets hors du champ de la caméra ! Vivek Goyal, ingénieur de l’université de Boston, travaille sur ce type de problème. Il a récemment mis au point un système capable de voir derrière les angles de murs. Ses travaux, publiés dans la revue scientifique Nature, reposent sur les ombres portées. Une fois repérées, elles sont décodées par un algorithme qui déduit la forme et l’emplacement de l’objet qui les a générées. Jusqu’ici, voir à travers un mur nécessitait un équipement militaire coûteux. Vivek Goyal, lui, n’a besoin que d’un logiciel, d’un ordinateur portable et d’un appareil photo standard.  » Le matériel est tellement simple qu’on aurait pu y penser plus tôt « , s’enthousiasme-t-il. Un tel système embarqué dans une voiture classique pourrait deviner ce qui se cache à l’angle d’un carrefour et permettre à l’ordinateur de bord d’anticiper un éventuel danger. Les véhicules de demain n’ont pas fini de nous en mettre plein la vue.

Par Sébastien Julian.

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