Le service citoyen, ça peut aussi consister à combler le fossé technologique qui sépare les seniors de leurs proches. © GETTY IMAGES

Ces jeunes se mettent au service d’un monde solidaire

Le Vif

Durant six mois, de jeunes Belges de 18 à 25 ans, venus de tous les horizons, se retroussent les manches pour mener à bien des missions utiles à la collectivité. Mais le service citoyen, c’est aussi une occasion de se découvrir et d’esquisser son avenir.

Fin janvier dernier, Damien débutait son service citoyen (SC) dans une maison de repos liégeoise. Riche d’une longue expérience en scoutisme, il y développait des animations pour personnes âgées. Mais quand la crise du coronavirus a éclaté, l’exigence de distanciation sociale a mis fin à cette activité et l’a contraint à rebattre ses cartes. Avec la direction de l’établissement, il a mis en place un système de contact virtuel entre les personnes âgées et leurs proches.  » Les familles téléphonent au secrétariat ou m’envoient directement un message par email, Skype ou WhatsApp pour exprimer leur souhait d’entrer en communication avec l’un des résidents. En fonction du planning, on s’accorde sur un moment précis.  »

Le service citoyen multiplie par deux l’engagement des jeunes et triple leur degré d’altruisme.

La conversation se fait par visioconférence.  » Une première pour de nombreux pensionnaires. Certains trouvent ça bizarre et sont un peu perdus.  » C’est pourquoi Damien reste à côté d’eux durant la conversation, qui peut durer de trois à trente minutes. Il répond aux inquiétudes, souvent techniques, et maintient le téléphone à bonne hauteur.  » J’aime beaucoup ce que je fais. Je m’amuse bien avec les résidents. Ils sont rigolos et beaucoup me remercient chaleureusement. Et puis, avant le SC, je ne faisais rien de bon chez moi. Ici, je me rends utile. Cette expérience, ce n’est que du positif.  » Au point d’avoir envie de continuer à travailler avec des personnes âgées, et de reprendre des études d’éducateur dès la rentrée académique prochaine.

Ces jeunes se mettent au service d'un monde solidaire
© BELGAIMAGE

 » Le service citoyen a vocation à émanciper les jeunes, à leur permettre de tester la vie réelle après avoir terminé leurs secondaires, à découvrir un pan de la société qu’ils ne connaissaient pas. Ils se construisent par l’expérience et la rencontre avec autrui. Dans cette situation de crise du coronavirus, il y a un vrai besoin sociétal : plus d’une centaine de jeunes apportent leur soutien dans les maisons de repos, les centres de jour pour sans abri, les centres pour réfugiés et les lieux de distribution de repas. Ils sont d’une vraie utilité. Cela légitime toute la démarche du SC « , explique François Ronveaux, directeur général du projet.

Quatre sur cinq mis sur les rails

Pour participer au service citoyen, il faut avoir entre 18 et 25 ans. C’est l’unique condition. Le programme se caractérise par une véritable mixité sociale. Qu’il soit diplômé du secondaire, universitaire, primo-arrivant, porteur d’un handicap ou d’un bracelet électronique, chaque jeune s’investit dans un projet utile à la collectivité pendant six mois, à temps plein. A raison de quatre jours par semaine consacrés à l’aide aux personnes, à la protection de l’environnement, à la culture ou à l’éducation par le sport, le dernier étant dévolu à la formation à la citoyenneté, en compagnie des vingt-quatre inscrits à la même promotion.

L’expérience semble extrêmement bénéfique. Dans les six mois qui suivent la fin du SC, 83 % des jeunes sont mis sur les rails : 20 % travaillent et 63 % se forment.  » Au départ, la plupart des participants ignorent ce qu’ils veulent faire de leur vie. Cette expérience permet d’y réfléchir et de retrouver confiance en soi « , s’enthousiasme Valentin. Son truc à lui, c’est l’environnement. Avant la crise du coronavirus, il a réalisé son SC au sein d’une asbl de promotion de l’alimentation saine et durable.  » C’est une expérience enrichissante. On apprend beaucoup. On travaille dehors, dans la terre, avec des experts pas- sionnés par leur domaine. Mais aussi avec des personnes handicapées. Ça fait du bien de s’ouvrir à d’autres. L’entraide est source de joie. L’altruisme est une valeur essentielle pour vivre dans un monde meilleur.  »

Je ne faisais rien de bon chez moi. Ici, je me rends utile.

Le SC marque les jeunes en profondeur et pour la vie.  » En France, ses bénéfices ont été chiffrés : il multiplie par deux l’engagement des jeunes dans des causes collectives et triple leur degré d’altruisme, souligne François Ronveaux. Après cette expérience, beaucoup demandent à pouvoir continuer à s’investir.  »

Lasagne institutionnelle

Après une analyse comparative menée au niveau européen, le gouvernement des Pays-Bas a créé le Maatschappelijke Diensttijd, directement inspiré de la plateforme de service citoyen belge. Alors que cette dernière dispose d’un budget de 4,1 millions d’euros pour permettre à 568 jeunes de réaliser un SC en 2020, nos voisins du nord ont investi 25 millions d’euros en 2017 et en 2018 pour préparer l’implantation du dispositif dans leur pays. Et, depuis 2019, ils injectent chaque année cent millions d’euros pour faire tourner la machine. Résultat, rien que l’an dernier, 12 000 jeunes Néerlandais ont réalisé leur SC, dont 2 500 selon des modalités copiées-collées du programme belge. C’est 1 000 jeunes de plus que le nombre total de Belges (1 429) depuis 2011.  » C’est frustrant, confie François Ronveaux. On a une reconnaissance à l’étranger mais la Belgique, à cause de son fonctionnement gouvernemental alambiqué et de ses difficultés à innover, n’arrive pas à institutionnaliser le concept. Plus de vingt propositions de loi et trois projets de résolution ont été déposés en vingt ans, aucun n’a abouti.  » C’est ainsi qu’en Belgique, les jeunes en SC n’ont d’autre choix que le statut de volontaire, lequel impose une limite de gains de 1 388,40 euros par an. Ce qui explique à la fois la durée de leur service citoyen (maximum six mois) et la petite indemnité quotidienne (dix euros) perçue par les participants. Ce à quoi s’ajoutent cent euros par mois maximum, pour leurs frais de déplacement. Ce défraiement est cumulable avec les allocations familiales, indemnités de chômage, CPAS ou aide au logement perçues par le participant.

Préparation de repas pour les sans-abri ou de matériel de protection : des dizaines de jeunes s'investissent de diverses manières dans la lutte contre le coronavirus.
Préparation de repas pour les sans-abri ou de matériel de protection : des dizaines de jeunes s’investissent de diverses manières dans la lutte contre le coronavirus.© BELGAIMAGE

A titre de comparaison, la France investit 460 millions d’euros par an dans son service citoyen (dénommé service civique), enrôle 150 000 jeunes chaque année pour une durée de six à douze mois et leur verse mensuellement 577 euros. De quoi subvenir un minimum à leurs besoins, tout en formant une réserve civique fort utile en temps de crise. Actuellement, le financement du SC belge émane des trois Régions et de l’Europe. Et si, lors du prochain gouvernement fédéral, le service citoyen se muait en un projet d’Etat ? L’espoir est permis : avant les élections, tous les partis, excepté la N-VA, s’étaient prononcés en sa faveur.

Par Laetitia Theunis.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire