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À bord d’un avion, ils chassent… les orages

Le Vif

A bord d’un avion reconverti en laboratoire volant, des chercheurs se frottent aux éclairs pour mieux les comprendre.

Sept heures du matin. Sous un ciel lourd et gris, un petit avion de couleur blanche, truffé d’antennes et de capteurs, s’apprête à décoller de la base aérienne de Solenzara, en Haute-Corse. A bord, un aréopage de scientifiques vérifie une dernière fois les données météo, le nez collé à des instruments de mesure.  » Orage confirmé !  » lance l’un d’entre eux. Sans plus attendre, le pilote met les gaz et l’appareil file droit vers le mauvais temps pour accomplir sa mission : observer les éclairs de plus près.

 » C’est une campagne de mesure inédite, s’enthousiasme Eric Defer « , chargé de recherche au Laboratoire d’aérologie de Toulouse et responsable scientifique du projet, en regardant l’appareil s’éloigner. Depuis près d’un mois, les experts du Service des avions français instrumentés pour la recherche en environnement (Safire) sillonnent le ciel au large des côtes insulaires pour tenter de mieux comprendre les cellules orageuses.

Le Falcon 20 s'apprête à décoller de la base de Solenzara, en Haute-Corse, car
Le Falcon 20 s’apprête à décoller de la base de Solenzara, en Haute-Corse, car  » l’orage est confirmé  » !© c. FRÉSILLON/CNRS PHOTOTHÈQUE

 » D’habitude, ces phénomènes sont plutôt étudiés du sol, y compris sur l’île de Beauté, l’une des régions de France les plus touchées par la foudre « , explique le chercheur. A San-Giuliano, par exemple, le Laboratoire d’aérologie de Toulouse dispose, depuis 2014, d’un réseau d’observation terrestre capable de reconstituer des éclairs en trois dimensions, par calcul mathématique !  » Mais, en dépit de ces technologies avancées, nos connaissances sur ce qui se passe à l’intérieur des nuages restent grossières « , précise l’expert. Ainsi, nous manquons d’informations sur la façon dont se forme l’électricité qui donne naissance aux éclairs. Par ailleurs, nous avons tendance à concentrer notre attention sur les impacts de foudre. Or, la plupart des décharges ne touchent pas le sol. Elles se propagent de manière horizontale sur une distance qui atteint parfois neuf kilomètres. Quels liens ces phénomènes étranges entretiennent-ils avec le niveau de précipitations ? Dans quelle mesure sont-ils influencés par le relief situé en dessous d’eux ?

Les données recueillies dans le ciel corse permettront sans doute d’apporter des réponses à ces questions. Pour mener à bien sa mission, Safire a mobilisé l’un de ses trois avions.  » C’est un Falcon 20, un ancien jet d’affaires, choisi pour son côté modulable « , indique Dominique Duchanoy, pilote de la mission dépêché par le CNRS (Centre national de la recherche scientifique, en France). Percé de toute part, l’appareil embarque une collection impressionnante d’instruments de mesure : un radar capable de détailler à distance la composition des nuages, des sondes qui recueillent des données sur l’atmosphère traversée par l’avion, des capteurs destinés à jauger l’intensité du champ électrique créé par l’orage… A l’arrière, une trappe permet de larguer des sondes atmosphériques.  » Une partie du matériel n’a jamais été testée en vol. Certaines de nos installations n’ont même jamais été utilisées. Nous sommes dans l’expérimentation « , fait remarquer fièrement Thierry Perrin, responsable instrumentation chez Safire.

Embarquée dans un Falcon 20, toute une batterie d'instruments de mesure - radar, sondes, capteurs -, dont certains n'ont jamais été testés en vol.
Embarquée dans un Falcon 20, toute une batterie d’instruments de mesure – radar, sondes, capteurs -, dont certains n’ont jamais été testés en vol.© c. FRÉSILLON/CNRS PHOTOTHÈQUE

Pour éviter d’abîmer en l’air cette précieuse cargaison, chaque plan de vol est soigneusement établi, à l’aide de nombreuses données météo. L’avion garde le contact avec des équipes au sol, qui le guident d’une cellule orageuse à une autre.  » Nous pouvons évaluer à tout moment la sévérité des conditions atmosphériques « , assure Dominique Duchanoy. L’avion peut donc éviter la grêle, les coups de vent excessifs et rester à bonne distance du coeur convectif, le lieu de tous les dangers.

Chaque mission dure en moyenne trois heures et demie. Lorsque l’équipe atteint une altitude de dix kilomètres, elle commence par survoler la cellule orageuse, sorte de gigantesque colonne dont la partie supérieure évoque une enclume. Puis, l’avion redescend progressivement en la contournant.  » La manoeuvre occasionne quelques secousses. Mais, parfois, la cellule meurt avant que l’on ait pu s’en approcher, ce qui nous oblige à trouver une nouvelle cible « , commente Dominique Duchanoy. La navigation entre les orages pousse parfois l’appareil vers des routes aériennes encombrées. Chacune des trajectoires de la mission fait ainsi l’objet de négociations avec les autorités de réglementation du trafic, extrêmement dense à proximité de Marseille, de Naples et de Rome.  » Il a fallu aussi trouver un compromis avec les scientifiques. Car plus on embarque d’instruments de mesure, moins on charge de carburant, ce qui réduit l’autonomie de la mission « , ajoute le pilote.

À bord d'un avion, ils chassent... les orages

Préparer les futures missions spatiales

Mais ces complications en valent la peine. En effet, l’étude des éclairs ne servira pas uniquement à étancher la soif de connaissance des chercheurs. Elle débouchera aussi sur des applications pratiques en permettant, par exemple, d’affiner les prévisions sur les orages.  » Ces phénomènes restent difficiles à prévoir : ils se déplacent, peuvent s’intensifier ou se former en mer et ensuite se diriger vers la Terre. Certaines cellules créent des tornades occasionnant des dégâts. D’autres, non « , détaille Olivier Caumont, chercheur Météo-France au Centre national de recherches météorologiques de Toulouse.

La campagne de mesure en altitude aidera aussi à préparer de futures missions spatiales, comme Taranis, prévue en 2019 ; ou MGT, en 2021. Celles-ci serviront à déployer de nouveaux instruments de mesure (caméras, photomètres, détecteurs d’électrons de haute énergie…) en orbite géostationnaire, à 36 000 kilomètres de notre bonne vieille Terre. Ces instruments sont toujours en cours d’élaboration, mais grâce aux données recueillies en Corse, nous pourrons les calibrer correctement.  » A terme, nous disposerons d’un suivi continu depuis l’espace. Une nouvelle ère va s’ouvrir pour l’observation des orages qui trouvera des applications concrètes dans le transport aérien et maritime « , prévient Pierre Tabary, responsable du programme atmosphère, météorologie, climat, au Centre national des études spatiales. Cela vaut bien quelques acrobaties aériennes.

Par Sébastien Julian.

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