Benoît Drousie, alias Zidrou, ancien instituteur, aime se frotter à de nouveaux registres. © DR

Zidrou, dans le coup

Le Centre belge de la bande dessinée vient d’inaugurer une large rétrospective consacrée à Zidrou, scénariste à la fois prolifique, à succès et vraiment tout-terrain. Qui peut en dire autant ?

Il est rare qu’un scénariste de bande dessinée s’exprime, avec succès, dans des genres très différents. Raoul Cauvin restera à jamais associé aux (gros) gags en une planche et aux (interminables) séries humoristiques, Greg n’aura jamais dévié des récits d’aventures, André-Paul Duchâteau se dit lui-même incapable d’écrire autre chose que des intrigues policières. Même Goscinny, peut-être le plus grand de tous, n’aura pu s’exprimer que dans le récit d’aventures humoristique dit tout public – un genre que le milieu et les lecteurs lui réclamaient. Un scénariste comme Benoît Drousie, alias Zidrou,le regrette un peu aujourd’hui, lui qui a réussi à sortir de telles ornières après trente ans de métier et plus d’une centaine d’albums réellement en tous genres :  » Un génie tel que Goscinny a été forcé de se répéter ! s’exclame-t-il. Ça a longtemps fait du bien aux catalogues et aux éditeurs, mais ce fut une grande perte d’un point de vue artistique.  » Et d’ajouter :  » La BD franco-belge traverse une grave crise depuis quelques années, mais c’est aussi une grande chance : le marché est beaucoup moins conservateur que les éditeurs, le public est plus large, il y a plus de registres, l’offre est incroyable. On publie trop, mais dans ce trop, il y a beaucoup de bonnes choses. Et désormais de l’espace pour s’exprimer.  »

Artisans de l’ombre, les scénaristes comme lui ont besoin de dessinateurs pour exister. Et il est rare que des rétrospectives leur soient consacrées. Autant de bonnes raisons d’aller voir en famille Zidrou et ses complices, la belle expo que lui consacre le Centre belge de la bande dessinée (CBBD). De la salle de classe de L’Elève Ducobu aux planches originales de ses one-shots adultes les plus sombres, on a, pour une fois, de quoi contenter tous les publics, Zidrou s’étant illustré de la reprise de classiques (Ric Hochet avec Van Liemt, Spirou et Fantasio avec Frank Pé…) aux thrillers (La Peau de l’ours avec Oriol, Shi avec Homs…), en passant par les contes fantastiques (Bouffon avec Porcel, Natures mortes avec Oriol), l’histoire (Marina avec Matteo, La Mondaine ou Folies bergères avec Jordi Lafebre, Le Client avec Man…) et la chronique sociale (Lydie avec Jordi Lafebre, L’Adoption avec Arno Monin, Trilogie africaine avec Beuchot, Les Beaux Etés, encore avec Jordi Lafebre, dont le troisième tome vient justement de sortir).

L’ADN dans la BD jeunesse

C’est évidemment par ses productions pour la jeunesse et le grand public que s’ouvre sa rétrospective : elles représentent ses premières années de travail, ses plus grands succès et ses thématiques les plus récurrentes. C’est aussi la partie la plus ludique de l’expo.

Un univers dans lequel Zidrou, ancien instituteur, s’est imposé comme un incontournable, d’abord avec Sac à puces, réalisé avec Falzar, le plus ancien de ses complices qu’il a connu à Mons et en primaire. C’est avec lui qu’il fonda Les Potaches, coopérative sous laquelle le duo réalisa ses premiers scénarios, mais aussi Tamara ou L’Elève Ducobu, deux de ses plus grands succès, depuis devenus des films (s’il a dorénavant passé la main concernant Tamara, il travaille toujours sur Ducobu, à qui il offrira un spin-off à la rentrée, entièrement consacré à Léonie Gratin, sa fameuse compagne de banc).

Un univers, aussi, où son profil d' » éducateur responsable  » et de père de famille nombreuse se révèle le plus : l’école, la famille, le vivre ensemble, autant de thèmes qui continuent d’habiter le scénariste, qui ne se lasse pas du genre :  » Donner du plaisir aux enfants, c’est le plus grand bonheur de ce métier, et une plus grande consécration que le cinéma ou une exposition. J’aime découvrir d’autres choses, m’essayer à des registres et surtout ne pas ronronner, mais si j’ai aimé un genre ou un personnage, j’y retourne sans états d’âme ! Et je bénéficie de cette multiplication aujourd’hui : quand je soumets à un éditeur des albums comme Bouffon ou Natures mortes, qui sont de vraies prises de risque, visant un public beaucoup plus flou, ou une série comme Les Beaux Etés, dont je sais qu’il faudra du temps et plus d’un album pour l’installer, les éditeurs savent aussi que, derrière, je peux leur proposer un  » Ducobu « . C’est un atout aujourd’hui, mais ce ne fut pas le cas pendant très, très longtemps. Je n’avais pas la carte pour les one-shots et les récits adultes. Combien de fois n’ai-je pas entendu : « Ah non, pas avec le scénariste de Ducobu ! » ?  »

L’eldorado espagnol

Il aura fallu au scénariste belge beaucoup de persévérance et probablement aussi un exil ensoleillé en Espagne, il y a près de vingt ans, pour convaincre les éditeurs qu’il pouvait écrire  » autre chose  » et là aussi, en faire des succès. Pour la persévérance, ce furent d’abord quelques récits complets et plus sombres distillés dans Spirou (dont il fut la cheville ouvrière des animations pendant près de quinze ans), puis des albums comme Mèche rebelle ou Lydie qui captèrent l’oeil d’autres collections, d’autres éditeurs et d’autres lecteurs. Quant à l’exil espagnol, il lui a permis, outre d’afficher un bronzage scandaleux, de découvrir toute une génération de dessinateurs peu connus jusque-là en dehors de leurs frontières, comme Jordi Lafebre, devenus aujourd’hui des valeurs sûres et volontiers  » adultes « .  » En Espagne, des lecteurs et des auteurs viennent me voir sans rien connaître de mes BD jeunesse, ils ne savent même pas que j’en fais !  »

Cette réussite tient enfin à une discipline de fer : Zidrou se donne chaque année une liste de rêves et de défis à relever, et se lève tôt tous les matins sans exception pour travailler ses scénarios.  » Parce que je suis plus productif le matin, et parce que l’après-midi, je ne travaille plus : j’ai piscine.  »

Zidrou et ses complices, au Centre belge de la bande dessinée, à Bruxelles, jusqu’au 28 janvier 2018. www.cbbd.be

PAR OLIVIER VAN VAERENBERGH

 » Donner du plaisir aux enfants, c’est le plus grand bonheur de ce métier « 

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