Yves Leterme kamikaze, martyr et ex-Premier ministre

 » Monsieur 800 000 voix  » est tombé. Enfin. Au plus mauvais moment pour le pays. Pour une (grosse) gaffe de trop. De l’art de mettre les pieds dans le plat.

Pour Yves Leterme, le Père Noël est vraiment une ordure. Voici à peine plus d’un an, alors que sapins et guirlandes brillaient de tous leurs feux dans les salons, Guy Verhofstadt fêtait son intronisation comme Premier ministre  » intérimaire « . Le  » Numero Uno « , libéral, ennemi juré du CD&V, faisait ainsi un formidable pied de nez à celui qui avait séduit 800 000 électeurs en juin 2007. Leterme en concevra beaucoup d’aigreur, alimentant ses penchants acariâtres et sa nature revancharde. En mars 2008, enfin, le champion électoral de la Flandre est sacré Premier d’un gouvernement ressemblant comme deux gouttes d’eau à celui préfabriqué par Verhofstadt. Tel un coucou, Leterme s’installe dans le nid d’un autre, après neuf mois d’essais infructueux. Et, le vendredi 19 décembre 2008, il jette l’éponge, contraint à la démission suite à l’affaire Fortis. A croire qu’il aime les symboles : il lui aura fallu neuf mois pour accoucher de son gouvernement et, pile poil neuf mois plus tard, il l’enterre : qui dit mieux ?

L’histoire retiendra le père du funeste cartel CD&V/N-VA, qui aura contribué à dégrader grandement les relations Nord-Sud, avant d’imploser en septembre dernier. Elle épinglera aussi, sûrement, le gaffeur invétéré, le bosseur stressé, le mauvais caractère, le têtu solitaire, le politique sans vision, rongeant son frein en silence avant d’exploser de la manière la plus incontrôlée et la plus imprévisible qui soit. Mais qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête, le mercredi 17 décembre, lorsqu’il distribue aux députés ébahis le relevé consciencieux des contacts entre son cabinet et des représentants du pouvoir judiciaire ? C’est plus fort que lui, il ne supporte pas les accusations  » injustes « . Or, à la Chambre, ce jour-là, il est malmené : l’opposition le soupçonne d’avoir exercé des pressions sur les magistrats chargés de statuer sur la vente de Fortis. Leterme la trouve saumâtre, se drape dans sa dignité offensée et s’en va rédiger ce brûlot, inconscient du tollé qu’il va déclencher. Lui qui est toujours tellement convaincu d’avoir raison tout seul, d’être dans son bon droit, scie la frêle branche sur laquelle il est assis. Il est comme ça, Yves Leterme : lorsqu’il s’anime, il se transforme en kamikaze. Il provoque l’ire du premier président de la Cour de cassation, le plus haut magistrat du royaume, qui réplique avec une lettre et une note accablantes pour le gouvernement, après avoir fait une  » analyse minutieuse  » du courrier du (toujours) Premier ministre. Mais cela ne suffit pas encore pour faire craquer Leterme : il s’accroche, envers et contre tout, démentant avoir commis la moindre erreur. Il aura fallu la démission de Jo Vandeurzen, l’ami CD&V, ministre de la Justice, ainsi que les coups de boutoir de l’Open VLD, partenaire de la majorité, pour le décider à se rendre chez le roi et présenter la démission de son gouvernement.

Qu’il eût été plus grand de le faire plus rapidement, plus spontanément ! Mais d’élégance, l’ex-Premier ministre a toujours manqué. Yves Leterme, c’est un mélange d’abnégation improbable, d’aveuglement entêté, de sentiment d’injustice et d’une prodigieuse avidité de pouvoir. Sans tout cela, c’est sûr, l’Yprois né de mère flamande et de père wallon, ce tâcheron davantage versé dans les chiffres que dans la négociation, ne se serait pas accroché à une fonction qui lui seyait si mal, qui le crucifiait. Il aurait renoncé bien avant la date fatidique du 19 décembre 2008, dans un sursaut de dignité, après qu’on l’eut dépouillé des dossiers communautaire et linguistique, aussi délicats qu’emblématiques, l’été dernier. Ou, mieux, plus tôt encore, quand il apparut clairement qu’il n’était pas l’homme de la situation, une évidence qui s’imposa dès sa première démission en qualité de formateur, en août 2007. Mais non. Rien à faire. Il s’obstine. En tout, il effectuera trois fausses sorties (deux démissions comme formateur, et une dans les habits de Premier ministre, refusée par le roi en juillet dernier), avant de prendre définitivement la porte. Quatre démissions en dix-huit mois : Leterme entre dans le livre des records.

De faux départs en occasions ratées

Pourtant, on aurait aimé y croire. Dès que Leterme faisait mine de recouvrer le moral et un brin de panache, les journalistes s’empressaient de clamer que le Premier existait, qu’ils l’avaient rencontré. Mais ça ne durait jamais longtemps. L’ex-Premier avait le chic pour nous gâcher notre plaisir. La crise financière l’a-t-elle obligé à se retrousser les manches ? L’impression a rapidement prévalu que tout se jouait ailleurs, c’est-à-dire au sein des milieux financiers eux-mêmes. Ou, au mieux, au cabinet des Finances, plutôt que chez le patron. La crise économique a-t-elle poussé le gouvernement Leterme à prendre des mesures ? Il a attendu prudemment que les autres pays européens, mais aussi la Flandre et la Wallonie, exposent leur plan de relance avant de sortir le sien. Et encore : on se demande ce qui se serait passé si l’obligation de négocier un accord interprofessionnel n’était pas venue faciliter l’administration de la médication anticrise. Etait-on parvenu à convaincre les libéraux flamands de renoncer à la stricte orthodoxie financière et d’accepter le principe d’un déficit public, histoire de ne pas laisser la Belgique s’enfoncer dans la récession ? Leterme a loupé l’occasion de s’emparer de la primeur de cette annonce d’importance et s’est fait voler la vedette par quelques opportunistes, plus fins communicateurs. Tant et si bien qu’à la fin on ne sait plus à qui en revient le mérite politique. Et qu’on se demande, pour la énième fois, si c’est le (désormais ex-) Premier ministre qui a tranché ou s’il s’est contenté de laisser les autres, les plus entreprenants de son équipe, arbitrer et décider à sa place.

On lui reconnaîtra, cependant, un sursaut de virilité. Alors que les Michel père et fils exhibaient leur  » amitié  » avec Kabila, tandis que Karel De Gucht, titulaire du portefeuille des Affaires étrangères, s’échinait à couper les ponts, il a sifflé la fin de la récréation. Demandant aux Michel de calmer leurs ardeurs et à De Gucht de soigner son image. Pour le reste, on cherche en vain. A la tête de son attelage pentapartite (CD&V, MR, PS, Open VLD, CDH) s’affairaient une multitude de cochers. Chacun d’eux roulant des mécaniques et excellant dans les effets de manche. De tonitruantes annonces en renoncements miteux, nul ne savait plus où l’on en était.

Aujourd’hui, qui sait ? Yves Leterme se sent peut-être libéré, après dix-huit mois de pathétique chemin de croix. Car rien n’est plus traumatisant que d’occuper une fonction pour laquelle on n’est pas taillé.

Isabelle Philippon

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