Yoplait Qui s’offrira la petite fleur ?

Mis en vente par le fonds d’investissement PAI, le n° 2 mondial du yaourt attise les convoitises des géants de l’agroalimentaire. Mais, de l’actionnariat au casse-tête de la franchise, plusieurs obstacles attendent les repreneurs d’une marque à fort potentiel.

C’est une petite fleur que tout le monde aimerait cueillir. Yoplait, une des marques les plus emblématiques du marché mondial de l’ultrafrais, est aujourd’hui en quête d’un nouveau propriétaire. Huit ans après l’avoir rachetée, le fonds d’investissement PAI Partners vient de décider de vendre sa participation de 50 % dans le groupe, n° 2 du secteur, derrière Danone. La nouvelle a immédiatement fait le tour de la place et des concurrents dans cet univers déjà en ébullition, secoué par les concentrations et les rumeurs, la dernière en date concernant la vente du pôle eaux de Danone. Et, si tous les acteurs sont déjà en ordre de bataille pour conquérir ce roi du yaourt affichant 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009, c’est que le potentiel de croissance du marché est énorme.

Egrenant à tous vents ses pétales acidulés, la marque à la petite fleur est une proie de choix pour les géants de l’agroalimentaire comme pour les fonds d’investissement. Yoplait est à la fois une enseigne à la très forte notoriété et une entreprise au développement inachevé.

Créé en 1965 par 100 000 agriculteurs regroupés en coopérative (Sodima), Yoplait – contraction de Yola et de Coplait (deux marques du groupement) – a d’abord été conçu pour assurer des débouchés aux producteurs de lait. Cette origine agricole a déterminé le parcours du groupe et éclaire à présent sa situation économique. Car, si la Sodima a trouvé les moyens d’installer la marque – les pétales de son logo représentent les différentes coopératives – avec notamment le lancement, en 1974, de Yop, le premier yaourt à boire, son successeur, Sodiaal, a, par la suite, eu du mal à financer la croissance exceptionnelle de l’enseigne. Et ce, même si l’entreprise a pu se développer grâce au système de la franchise,  » efficace pour pénétrer rapidement un nouveau marché à moindres frais « , explique Hubert Rolland, consultant chez Oliver Wyman.

Pas étonnant, avec un si fragile équilibre, que le moindre soubresaut déstabilise la maison. C’est ainsi qu’en 2002Sodiaal a dû aller chercher un nouveau partenaire. Choisi pour reprendre 50 % de Yoplait, PAI Partners a fait évoluer la marque à marche forcée, en lançant une restructuration musclée. Selon Thierry Renaudin, délégué syndical, l’entreprise a ramené ses effectifs de 2 300 à 1 300 salariés (en France) tandis que la productivité horaire doublait presque. Un régime minceur qui a permis à l’entreprise de multiplier son chiffre d’affaires par deux.  » Nous avons rénové Yoplait de la cave au plafond « , se félicite Lucien Fa, son directeur général. Sauf que PAI n’est pas allé au bout de sa relance. Non seulement Yoplait n’a pas pu mener à bien son entrée en Bourse, mais la marque, loin d’avoir conquis les marchés internationaux, reste inconnue en Chine, en Inde ou au Brésil.

Cet immense potentiel aiguise aujourd’hui les appétits. Personne ne veut, semble-t-il, renoncer à la bagarre. Du côté des grands acteurs industriels capables de financer les ambitions à long terme de l’enseigne, plusieurs noms circulent : ceux de l’italien Parmalat, du français Lactalis, ou des américains PepsiCo et General Mills, son principal franchisé, sans oublier Nestlé. Le géant suisse, qui s’est pourtant désengagé en 2006 de l’ultrafrais, confié depuis à Lactalis, pourrait être un candidat sérieux.  » Ce serait pure folie de la part du géant de l’agroalimentaire de laisser échapper une si belle occasion « , explique un consultant.

Les fonds étudient également le dossier, même s’ils ne partent pas favoris, selon la direction de Yoplait, car ils n’ont pas vocation à financer de lourds investissements.  » Leur arrivée n’est pourtant pas à exclure : le potentiel de la marque est encore suffisamment important pour les attirer « , estime un expert. Et si aucun d’entre eux n’aurait encore confirmé son intérêt, BC Partners, KKR, Axa Private Equity, Lion Capital ou Permira, pourraient, tôt ou tard, se déclarer.

Voilà qui promet de belles empoignades ! A moins que les obstacles à la reprise de Yoplait ne refroidissent les ardeurs des prétendants. Avec une valorisation de 1,3 milliard d’euros, le repreneur devra non seulement débourser 600 à 700 millions pour acquérir la part de PAI, mais aussi accepter les inconvénients d’une situation pour le moins compliquée.

La structure de l’actionnariat constitue d’abord un réel handicap : quoi qu’il arrive, l’acheteur devra compter avec Sodiaal et ses 50 % du capital. Un bon connaisseur du dossier a beau souligner que  » le groupement coopératif compte laisser au repreneur le contrôle du management « ,  » l’autre  » propriétaire de Yoplait ne compte pas faire de la figuration, encore moins se désengager. Déjà concentré sur la reprise des fromages Entremont, Sodiaal veillera à sécuriser les débouchés de ses 8 500 agriculteurs, à travers un accord d’approvisionnement (le dernier prendra fin en juin 2012). C’est dire si ce drôle d’associé peut décourager nombre de groupes hostiles à une telle cohabitation.

Les trois quarts des produits dépendent de franchisés

L’autre casse-tête de la reprise tient au système de la franchise, devenu source de tourment pour la direction de Yoplait. Le groupe a en effet confié la production et la distribution des trois quarts de ses produits à des entreprises étrangères, notamment à General Mills. Résultat :  » Il n’encaisse que les royalties « , souligne un consultant. Une manne d’autant plus faible que les contrats ont été négociés avant le décollage de la marque. Conformément à sa stratégie, le champion de l’ultrafrais a certes commencé à racheter certains franchisés, tel Dairy Crest, au Royaume-Uni, et il n’entend pas s’arrêter là. Lucien Fa vient d’ailleurs de se rendre, dans cette optique, au Canada. Mais, rien n’est gagné, tout comme aux Etats-Unis, où General Mills fait de la résistance : le mastodonte, qui représente la moitié du volume des ventes de Yoplait, refuse de renégocier, et encore moins de lâcher cette poule aux £ufs d’or (voir l’encadré).

En attendant la fin des grandes man£uvres – la vente pourrait s’étaler sur six mois – la marque à la petite fleur continue d’accélérer sa mue. Lucien Fa affiche d’ailleurs de grandes ambitions. Il y a quelques mois encore, il n’hésitait pas à clamer qu’il voulait  » mettre Yoplait au niveau de Danone « . Voilà le futur repreneur prévenu.

Corinne Scemama (avec Libie Cousteau)

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