Woodstock, incarnation ultime du rêve hippie, a rassemblé 450 000 festivaliers en août 1969. © John Dominis/getty images

Woodstop !

Cela devait être un grand concert anniversaire. Mais Woodstock 50 n’aura pas lieu. Annulé moins de trois semaines avant la célébration de son demi-siècle, le plus fameux des festivals rock est aussi victime d’un mythe dégonflé.

« Je garde en moi le souvenir du public, cette communauté qui avait été créée. Tout le monde partageait le même sentiment, celui de pouvoir vivre ensemble. Il y aura donc un 50e anniversaire de Woodstock et aussi, au même moment, un musical à Broadway. Et puis, j’ai acheté un bâtiment à Woodstock, on va y lancer une université du rock.  » Aujourd’hui, on le sait, rien de tout cela n’est arrivé. Lorsqu’on rencontre la figure publique du festival, Michael Lang (1) en mai 2016 dans une boulangerie bio de Woodstock – deux heures de voiture au nord de Manhattan – il affiche pourtant une zenitude raccord au décor bobo. La petite ville de l’Etat de New York est entrée dans l’histoire en donnant son nom au célébrissime Woodstock Music and Art Fair, tout en l’annulant dans la dernière ligne droite. Obligeant le festival, qui gardera son appellation d’origine, tenu du 15 au 17 août 1969, à filer à Bethel, septante kilomètres au sud-ouest. Sur les terres de Max Yasgur, fermier républicain soutenant la guerre du Vietnam. Les astrologues amateurs y verront un alignement déjà borgne des planètes, l’incarnation ultime du rêve hippie, rameutant 450 000 personnes, ne respectant d’ailleurs aucun scénario. Pas plus celui d’une entrée payante – 120 à 160 dollars actuels – rapidement dépassée parce que les barrières ne sont pas installées que le déroulé pratique des trois jours et nuits, Hendrix bouclant l’affaire le lundi 18 août par une reprise acide de l’hymne national américain alors que le soleil levant révèle la fatigue des corps psychédéliques. En pratique, Woodstock incarnera donc embouteillages monstres, insuffisance chronique de nourriture, d’eau et de toilettes. Nudité et drogue. Et puis, grande musique. Chaos qui ne sombrera pas totalement dans le désastre humain, définitivement le premier et plus conséquent miracle woodstockien.

Utopie pragmatique

On connaît la suite et les engrais de ce qui devient le mythe. Même si l’affiche de 1969 ne propose ni les Beatles déjà comateux, ni les Stones, ni même le voisin Dylan – qui joue à l’île de Wight britannique deux semaines plus tard – le casting gratiné adoube l’histoire en temps réel. Incluant entre autres Hendrix mais aussi Janis Joplin, The Who, Joe Cocker, Sly & The Family Stone, The Band, Joan Baez, Creedence Clearwater Revival, ces derniers décrochant le cachet alors faramineux de 10 000 dollars. Woodstock incarne l’utopie pragmatique d’une microsociété hippie immergée dans ses propres valeurs fantasmées. Toujours en 2016, Michael Lang analysait ainsi la contre-culture de masse :  » En 1969, la jeunesse pouvait se prévaloir d’avoir grandi dans une forme de prise de pouvoir commencée avec la présidence de Kennedy. On pensait pouvoir marquer le monde d’une empreinte signifiante et d’un esprit élargi via les drogues et les questions sociales, proclamées haut et fort […]. Mais il n’y a plus vraiment de telle contre-culture en 2016.  » Le mythe Woodstock se construira par les disques – un triple au printemps 1970, un double l’été suivant- et le film de Michael Wadleigh. En 185 minutes, ce documentaire tourné en 16 mm et gonflé en 35, aura un considérable impact international. Diffusant dans le monde entier les images fortes de performances inoubliables et d’une tribu de jeunes Américains hystérisés par le Peace and love. On connaît la suite : le lent enlisement de l’utopie hippie, le fiasco sanglant d’Altamont, la tuerie de Kent State, et puis la fin de cette guerre vietnamienne qui a servi de ciment à la contre-culture mondiale.

Michael Lang, figure publique de Woodstock, en a monté deux remakes chaotiques, en 1994 et 1999.
Michael Lang, figure publique de Woodstock, en a monté deux remakes chaotiques, en 1994 et 1999.© philippe cornet

Une édition 1999 désastreuse

Entre-temps, Woodstock est devenu une marque. Et Michael Lang son VIP principal, qui patronne deux remakes du festival, en 1994 et 1999, en deux endroits différents de l’Etat de New York. Succès public mais chaotique. Au magazine Billboard en 2009, Lang décrit l’édition de 1999 – polluée par des émeutes, des destructions et de nombreuses violences y compris sexuelles –  » comme étant davantage un événement MTV – sponsor et maître des captations – qu’un événement Woodstock « . Lorsqu’on l’interviewe au printemps 2009 dans son bureau new-yorkais, Lang pense encore à célébrer les 40 ans du festival, dans un parc de Brooklyn. Sans résultat concret. Il ne fallait donc pas rater le 50e anniversaire dans une Amérique qui, on l’a compris, n’a plus grand-chose de commun avec celle de 1969. Les festivals actuels, de Coachella à Lollapalooza, ont banalisé l’esprit corporate et l’argent diligente, depuis les années 1980, un marché musical désormais dominé par le rap. La marque Woodstock s’en est trouvée dépassée, démodée voire déclassée.

Cet euphémisme se vérifie lorsque fin avril 2019, alors qu’on promet un Woodstock 50 à l’été, l’investisseur principal, la multinationale Dentsu Aegis, après avoir récupéré près de 18 millions de dollars dans la caisse, annule l’événement, faute d’endroit sécurisé pour l’organiser. Contre l’avis de Lang, dépositaire du nom, qui défend en justice son droit, sans parvenir à finaliser le contrat avec l’énorme circuit de Watkins Glen au nord-ouest de l’Etat de New York. Et puis, c’est au tour de l’autre argentier, Superfly, de se retirer du projet. Si on s’abstrait du facteur monétaire, une fiction, le programme initial – Jay Z, Miley Cyrus, Imagine Dragons, Chance the Rapper, The Killers et quelques vétérans de l’édition de 1969 comme John Sebastian, Santana ou John Fogerty, de Creedence – n’a rien d’ébouriffant. Lang se trouve alors un énième banquier avec Oppenheimer & Co mais le coup de grâce est porté lorsque l’ultime lieu envisagé – Vernon, toujours dans l’Etat de New York – refuse lui aussi d’accorder un permis au festival. Guère étonnant si on sait que la localité n’est pas éloignée de l’endroit ayant accueilli le quasi-désastre de Woodstock 1999. On est le 16 juillet 2019 et la dernière carte de Lang – le Merriweather Post Pavilion à Columbia, Maryland, à plus de 300 km de Manhattan – assimile Woodstock 50 à un vulgaire plein air de 20 000 places, une chimère provinciale. Les artistes annulent les uns après les autres et fin juillet, moins de trois semaines avant la célébration qu’il voulait au final gratuite, Michael Lang jette officiellement l’éponge. Confirmant implicitement qu’un Woodstock 60 tient désormais de l’utopie.

(1) Contrairement à ses trois partenaires, Artie Kornfeld et les financiers Joel Rosenman et John P.Roberts, Lang apparaît dans le film Woodstock.

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