Wim le rebelle

Mais d’où vient ce retour au gothique proposé par le provocateur Wim Delvoye ? Que signifie cette tour de trois étages dressée sur le toit du palais des Beaux-Arts ? Rencontre exclusive dans son atelier de production.

Cela se passe dans une rue longue et étroite des environs de Gand, à l’endroit même où, il y a peu, sonnait à heures fixes, la cloche d’une école primaire. Wim Delvoye en a fait son quartier général. Derrière la grande grille, la cour de récréation sert désormais de quai d’embarquement et de débarquement des oeuvres. Les salles de classe ont fait place à de grands espaces fonctionnels à leur tour dédoublés par la construction d’une nouvelle aile. Là, le silo aux archives, là les £uvres les plus récentes et d’autres en partance. Là aussi, l’atelier de production, véritable ruche silencieuse où travaillent une demi-douzaine d’assistants manifestement très heureux et très concentrés. Devant leur écran d’ordinateur, ils peaufinent les projets, adaptent d’autres aux possibilités des nouveaux programmes informatiques et précisent la stratégie de communication :  » Je pourrais vivre partout dans le monde mais j’aime être ici, avec eux.  » L’équipe participe en effet activement à l’£uvre de l’artiste flamand et rien n’est laissé au hasard. Wim Delvoye veille, surveille, écoute, corrige. Tout est important : de l’£uvre monumentale à l’album à colorier destiné aux enfants, de l’image à donner à la presse aux délires à venir, du contrat de vente à la finition des sculptures, dessins, cartons d’invitation, catalogues, folders… Si les avancées scientifiques et technologiques sont au rendez-vous, il en va de même des défis de réalisation. Les vitraux sont réalisés par des maîtres verriers, les sculptures en bois détouré par des Indonésiens, les tours gothiques sont découpées au laser et une fonderie voisine a coulé une des dernières pièces en utilisant un mélange rare de cuivre et de nickel. Toujours plus loin, telle pourrait être la devise.

Et puis, il y a l’atelier lui-même où Delvoye travaille davantage en solitaire. En, réalité, l’immense pièce à vivre ressemble davantage à un bureau. Dans un coin, quelques fauteuils et une immense bibliothèque. Maintenus par une bonbonne à gaz en faïence de Delft, un véritable trésor de bibliophilie est rassemblé avec des ouvrages d’époque comme l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou encore les ouvrages d’Henri Beyle (Stendhal). Accroché à un mur de béton brut, sans encadrement, on s’étonnerait aussi de voir une  » Madone  » de Guido Reni, un peintre ténébriste italien du xviie siècle :  » Oui, je m’attache de plus en plus aux choses anciennes… peut-être que je deviens un vieux con. « 

Le créateur de 45 ans serait-il à un tournant de sa vie ? Et donc, de son £uvre ? L’exposition organisée au palais des Beaux-Arts de Bruxelles permettra en tout cas de mesurer la distance prise avec les £uvres des années 1980 et 1990 (dont certaines sont exposées galerie Pieters à Paris jusqu’au 20 novembre). En effet, qu’est-ce qui peut relier les planches à repasser armoriées, les scies circulaires au décor de Delft, les bétonneuses en teck, les vitraux en forme de goal de foot ou de panier de basket, les cochons tatoués de motifs Disney ou religieux, les sols en marqueteries de mortadelle, les machines  » à caca  » (Cloaca) ou encore les photos aux rayons X aux actuelles tours gothiques et autres christs en croix ?

Sans doute, une même révolte :  » Je ne fais pas confiance à l’Etat, je fais confiance aux gens.  » Mais encore ?

 » Je suis né à Wervik, petite commune située à la frontière linguistique. D’un côté du pont, c’était la Flandre. De l’autre, la Wallonie. Cela me tracassait. Je ne comprenais pas cet arbitraire imposé par le monde politique au mépris des gens. De même, je voyais des maisons dont toutes les fenêtres, sauf une seule au rez-de chaussée, avaient été murées à la suite d’une imposition calculée depuis le code Napoléon… en fonction de leur nombre. Comment le pouvoir de quelques-uns pouvait-il s’arroger le droit de limiter ainsi l’accès à la lumière ?

Le Vif/L’Express : Cela expliquerait-il l’usage récurrent des transparences dans vos £uvres ? Rayon X, vitrail, sculptures en claire-voie… et son association avec des objets du quotidien mis en opposition avec l’image des décors.

> Wim Delvoye : En 1995, j’ai exposé mes dessins d’enfant chez Obadia à Paris. Certains espéraient y découvrir des £uvres spontanées. En réalité, il s’agissait de contre-dessins. J’avais en effet gardé les coloriages d’un enfant obéissant aux injonctions de sa maîtresse du jardin d’enfant. En fait, j’aime opposer la vie et l’ordre.

Dans vos dessins actuels, retrouve-t-on cette opposition ?

> Oui, quand j’invente, je pars du bas, je monte, comme une plante qui cherche la lumière. Mais après, je m’astreins à des séances de coloriage. Alors, je pars du haut, méthodiquement et je termine en bas.

Le thème du gothique est déjà présent dans votre goût pour le Moyen Age qui s’exprime à travers les blasons et vitraux. Mais aujourd’hui, il se précise autour du thème architectural.

> L’époque gothique est celle de la création des villes. Un monde s’ouvre. Le commerce s’internationalise, les voyages se multiplient. Chacun invente. C’est notre printemps. J’y vois une vitalité, une créativité non encore contrôlé par les machines d’Etat.

Mais la machine d’Etat s’est aussi servie plus tard de cette esthétique.

> En effet au xixe siècle, tous les néogothiques prennent une signification identitaire. Pour preuve, la façade du parlement de Londres, d’Augustus Pugin, dessinée comme un décor de théâtre. Ou bien le travail de Viollet- le-Duc en France. Chez nous, le néo-gothique indique l’appartenance catholique (face au style Horta) mais aussi l’identité flamande. En 1935 par exemple, les habitants de Gand ont reçu de l’argent de l’Etat pour construire  » en gothique « . Aujourd’hui, cela intéresse surtout les touristes chinois.

Après avoir construit une tour à un étage à Venise puis une deuxième deux fois plus haute pour le musée Rodin, vous avez décidé de dresser une troisième tour de trois étages cette fois, sur le toit du palais des Beaux-Arts, à Bruxelles. Du coup, elle répond à d’autres flèches dressées, elles au xve siècle.

> J’aime le côté organique de l’architecture gothique. Elle appartient à la logique du végétal et en possède l’ingéniosité. Par opposition, toute l’histoire de l’architecture obéit à la règle du bâti égyptien : celui de l’empilement et de l’horizontalité. Or le palais des Beaux-Arts, haut lieu de la culture (d’Etat), obéit à cette dominante visuelle. En connectant l’£uvre à la flèche de l’Hôtel de Ville, je relance l’espoir d’un nouveau printemps.

Et déjà, dans les dessins récents, vous allez plus loin puisque vous prévoyez de terminer la flèche en une sorte de torsade spiralée. Mieux, vous allez même jusqu’à proposer un effet miroir en plongeant vers les sous-sols, l’alter ego de la flèche ascendante.

> Oui, parce que le gothique me ramène aussi au nautile, aux sinusoïdes et, en final, à la dynamique de la chaîne ADN. D’où aussi, une série de sculptures représentant une suite de christs en croix enroulés selon le même principe.

Après tout, ne pourrait-on pas évoquer un Wim Delvoye  » romantique  » ?

> Peut-être. Autour de mon château, il y a un parc de 16 hectares. Je m’y promène souvent et certains endroits me plaisent particulièrement comme le verger avec ses très vieux arbres fruitiers ou encore un coin de broussailles… l

Bruxelles, Bozar  » Knockin’on Heaven’s Door « . Jusqu’au 23 janvier. 23, rue Ravenstein. Entrée libre. Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures. Le jeudi jusqu’à 21 heures. www.bozar.be

ENTRETIEN : GUY GILSOUL

 » l’époque gothique est celle de la création des villes. un monde

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