Wathelet mitraillé par la Flandre

Les attaques flamandes se multiplient contre les nouvelles normes qui règlent, depuis le 19 septembre, l’usage des pistes de Zaventem. Voici les dessous d’un dossier communautaire ultrasensible.

« Continuez comme cela, Monsieur Wathelet, et on votera tous N-VA aux prochaines élections !  » Ce courriel est arrivé l’autre jour au cabinet du secrétaire d’Etat CDH à la Mobilité. Il est signé Actie Noordrand, un puissant lobby de riverains flamands de l’aéroport national.  » Cette association nous a envoyé récemment plusieurs mails incendiaires, confie-t-on dans l’entourage de Melchior Wathelet, et son site Internet publie des messages tout aussi hostiles et dénigrants.  » Très active à Meise, Grimbergen, Wemmel et Vilvorde, communes flamandes situées au nord de Bruxelles, Actie Noordrand pilonne sans relâche la décision du secrétaire d’Etat fédéral de modifier les normes de vent qui règlent l’usage des pistes de Zaventem.

Applicable depuis ce 19 septembre, la mesure prise par Melchior Wathelet vise à réduire l’utilisation de la piste 02/20, la plus courte des trois pistes de Brussels Airport, qui a souvent fait parler d’elle ces dernières années. Le trafic aérien vers cette piste  » diagonale  » (orientée sud-nord) – rebaptisée cette semaine  » 01/19  » pour tenir compte de la dérive du pôle magnétique – irrite régulièrement les habitants de plusieurs communes du Brabant wallon, du sud-est de la capitale (quartier Stockel…) et de l’Oostrand (Wezembeek-Oppem, Crainhem…). Quand le vent arrière, de secteur nord, atteignait 5 noeuds, le trafic basculait sur la 02/20 et les avions, en phase d’atterrissage, survolaient la région à basse altitude.  » Avec la décision de relever la norme à 7 noeuds, voire à 12 noeuds par vent avec rafales, seuls 7 à 10 % des atterrissages s’effectueront désormais sur cette piste subsidiaire, au lieu de 17 % précédemment « , évalue Philippe Touwaide, expert en aéronautique au cabinet du secrétaire d’Etat.

Wathelet favorise-t-il les  » important people  » ?

Prévue de longue date, cette modification induit plus de décollages au départ de la piste principale (25R), celle qui envoie les avions, notamment, au-dessus de la périphérie nord de la capitale. D’où la colère d’Actie Noordrand, pour qui la mesure est  » inacceptabel « . L’association accuse Wathelet de favoriser les  » important people  » francophones du Brabant wallon et de l’Oostrand au détriment des  » citoyens ordinaires  » du Noordrand. Argument contestable, car la piste 25R envoie aussi et surtout les avions sur des communes bruxelloises (Haren, Schaerbeek, Evere, Woluwe…).  » Ce lobbying flamand, qui redouble d’intensité depuis qu’un francophone a hérité du portefeuille de la Mobilité, a des relais dans des cabinets fédéraux et régionaux, relève un spécialiste du dossier. Ainsi, Hilde Tamboryn-Wyckaert, fondatrice d’Actie Noordrand et responsable de leur cellule juridique, s’est fait engager comme conseillère avions au cabinet du ministre-président flamand Kris Peeters.  »

Réputée proche du Vlaams Belang et de la NV-A, Actie Noordrand n’est pas seule sur le front anti-Wathelet. La bourgmestre CD&V de Grimbergen, Marleen Mertens, a elle aussi sorti la grosse artillerie le weekend dernier :  » Nous en avons marre de votre mépris, de votre dédain et de votre arrogance, lance-t-elle au secrétaire d’Etat. Si vous voulez encore favoriser votre électorat par des intentions déloyales, cupides et irresponsables, vous allez le regretter d’ici à quelques semaines.  »

Pilotes et chefs contrôleurs mettent la pression

Quelques jours plus tôt, la Belgian Cockpit Association (BeCA), qui regroupe une grande partie des pilotes belges, avait jugé dangereuses les nouvelles normes de vent.  » En cas de rafales, on double les maxima de vent arrière autorisés précédemment. Or, trop de vent arrière peut être source d’approches ou d’atterrissages instables « , dénonce Francis Uyttenhove, porte-parole de l’association, dont l’aile flamande apparaît aujourd’hui dominante. D’après lui, en appliquant les nouvelles normes, la Belgique se met en infraction par rapport aux règles internationales qui limiteraient les normes de vent à 5 noeuds. Pour Peggy Cortois, responsable de l’Union belge contre les nuisances des avions (UBCNA),  » il n’existe aucune norme internationale, de limite de vent arrière, uniquement une recommandation, de 7 noeuds sous conditions.  »

Il nous revient que les chefs contrôleurs à Belgocontrol, tous ou presque flamands, montent eux aussi au créneau contre les nouvelles normes, ce qui accentue la pression sur Wathelet. Une pression qui vient aussi de certains ministres fédéraux. Le SP.A, surtout, n’a pas attendu l’entrée en vigueur de la mesure pour dire tout le mal qu’il pensait de la décision du secrétaire d’Etat. Johan Vande Lanotte lui a demandé des explications. Le vice-Premier soutient que les normes de vent adoptées n’ont  » pas été validées en conseil des ministres  » et qu’il ne se sent donc pas lié par l’accord. Après coups de fils, échanges de courriers et entrevues au sommet, la tension semble un peu retombée.  » Le SP.A a voté la déclaration gouvernementale du 7 décembre 2011, qui stipule clairement que les accords de 2008 et 2010 sur les normes de vent doivent être intégralement exécutés, fait-on remarquer au cabinet Wathelet. La décision de ce 19 septembre vise à faire respecter ces accords, dont le SP.A était solidaire.  »

Bert Anciaux (SP.A) défend son  » enfant  » et son fief

L’offensive des socialistes flamands électrise les relations au sein de la majorité. Le plus tonitruant des SP.A aura été Bert Anciaux, chef du groupe au Sénat et ancien ministre de la Mobilité. Cet été, il a accusé sans détour Wathelet de  » mettre la paix communautaire en danger  » et il a appelé les partis flamands à la rescousse pour contrer les changements programmés. Attitude compréhensible : père du plan de  » dispersion  » des nuisances adopté il y a dix ans, Anciaux voit son  » enfant  » disparaître. Ce plan très controversé a eu pour effet de compliquer les procédures de vol et de délester le Noordrand au détriment de l’Oostrand et de l’est de Bruxelles.

Côté francophone, on laisse entendre que Bert Anciaux, Renaat Landuyt (SP.A) et Etienne Schouppe (CD&V), les prédécesseurs de Wathelet à la Mobilité, ont communautarisé ce dossier ultrasensible. Pour des raisons électoralistes ?  » Les fiefs politiques de la famille Anciaux sont tous situés au nord de la capitale, relève un élu bruxellois : Bert est domicilié à Neder-Over-Hembeek, son fils Jan est échevin N-VA à Vilvorde, son fils Roel est conseiller communal SP.A à Meise, son fils Koen est échevin Open-VLD à Malines et sa fille Hilde est présidente SP.A du CPAS de Machelen.  »

Autre constat : dix ans après le plan Anciaux, dont ont souffert des dizaines de milliers de riverains à Bruxelles et en périphérie, ses concepteurs sont toujours aux  » manettes  » : Jan Cornillie, chef de cabinet d’Anciaux à l’époque, est l’actuel chef cab’ de Vande Lanotte ; Luk Laveyne, qui fut, en tant que conseiller technique du SP.A, l’auteur du fameux mail enjoignant d’envoyer plus d’avions sur la  » zone F  » (F pour francophone), est aujourd’hui en charge du lobbying institutionnel de Brussels Airport et administrateur SP.A à Belgocontrol ; Dirk Knegtel, ancien expert avions au cabinet Anciaux, est secrétaire général de la compagnie Jetairfly ; et Alfons Roebben, autre ex-expert, est secrétaire général de la Vlaamse Luchthaven Commissie.

Par Olivier Rogeau

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