© Courtesy de l'artiste et de la galerie Aline Vidal

Vues minuscules

De toutes pièces, l’exposition dédiée à Philippe De Gobert imbrique le regard au coeur de l’espace. Accessible à tous, l’événement renoue avec les fascinations et les imaginations premières.

L’accrochage aux contours rétrospectifs que le MAC’s consacre à Philippe De Gobert (Bruxelles, 1946) réussit un grand écart dont il faut mesurer toute la pertinence. A l’heure où les programmations estivales font le pari du spectaculaire pour doper leurs chiffres de fréquentation, le musée du Grand-Hornu ose, quant à lui, un focus sur un travail  » rigoureux et opiniâtre  » tout sauf opportuniste. Pour Denis Gielen, directeur du musée des Arts contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’oeuvre présentée est de celles qui  » transcendent les modes « . La bonne nouvelle, c’est que ce pari fait sur l’exigence ne s’accomplit pas au détriment de l’accessibilité au grand public. Cela, même si les niveaux de réflexion induits sont multiples. Petit ou grand, il y a fort à parier que le visiteur qui s’élance au fil des cinq salles constituant le parcours n’éprouve pas une seule fois ennui ou lassitude. Comme nous, on lui souhaite de traverser l’accrochage en apnée, passant d’une oeuvre à l’autre sans lever la tête ou se rappeler qu’à l’extérieur, le temps s’écoule.

De toutes pièces fait avant tout appel à la poésie, cette machine à produire affranchie du réel et de la comptabilité. Qu’il s’agisse de photographies ou de sculptures – de grâce, que le mot  » maquette  » ne soit jamais écrit ou prononcé… -, les pièces exposées respirent cet  » optimisme d’être « , propre à toute oeuvre poétique, qu’évoquait Gaston Bachelard dans ses ouvrages. Pour rester dans le sillage du célèbre épistémologue français qui l’avait formulé à propos de l’écrivain Savinien de Cyrano, dit de Bergerac, on forme le voeu que les réalisations du plasticien belge trouvent des spectateurs  » à la hauteur de ses imaginations « . Bachelard encore :  » En présence d’une image qui rêve, il faut la prendre comme une invitation à continuer la rêverie qui l’a créée.  »

Pièces majeures

La première salle de l’exposition s’ouvre sur les Artists’ Rooms du plasticien. Déclinés sous forme de panneaux ou de petites constructions, ces dispositifs s’enroulent autour de la pièce. Classés de manière alphabétique, de Josef Albers à Andy Warhol, ils livrent un pan crucial du travail de Philippe De Gobert. Il s’agit d’un hommage adressé aux grands maîtres de l’histoire de l’art. Il s’opère soit par le biais de reconstitutions miniatures d’ateliers, soit par des relectures photographiques de celles-ci. Au mur, un texte de l’intéressé en explique la genèse :  » J’ai un jour été séduit par un petit jardin venu d’Orient, ce fut soudain ; comme un coup de foudre. […] Un microcosme, un univers immédiatement intelligible. J’étais fasciné par cette image du monde à mon échelle. Un monde de contemplation.  »

Voilà pour le déclic. Très vite, l’artiste éprouve le besoin de retrouver cette émotion première. Il slalome pour éviter les facilités du marché, à l’image du modélisme et de son univers aussi préfabriqué que guerrier… car Philippe De Gobert mesure combien son  » rêve est ailleurs « . Il s’essaie alors à  » planter le jardin  » de quelques peintres qui lui sont familiers, Broodthaers, Fontana ou Segal. La suite ? Un enchaînement logique.  » Du jardin à l’atelier je n’ai franchi qu’une petite porte ; la porte d’une maison de poupées ; de chambres en chambres, d’ateliers en ateliers, j’ai tout meublé, j’y ai apporté les accessoires indispensables à la personnalité de chacun des illustres occupants.  » Face à ces décors minutieux, l’oeil est pris de vertige. Le regardeur éprouve des fascinations premières qui remontent à l’enfance : la vitrine d’un magasin de jouets, une planche de bande dessinée sursaturée de détails, une crèche illuminée sous le sapin. Christo, Cézanne, Morandi, Matisse, Ryman… chaque Artist room se découvre comme un quizz.

Cohérence et variations

Au-delà de l’aspect ludique, il n’est pas interdit de savourer l’aspect conceptuel de ces propositions. Loin d’un mimétisme trivial, il est question ici  » d’imagerie poétique « , comme évoqué plus haut, ce  » relief du psychisme « , comme le dirait Bachelard dont la pensée hante l’exposition. Devant ces portions spatiales liées à un individu, omniprésent mais pourtant jamais représenté, on est aux prises avec des images  » excessives  » dont la vertu est  » d’embrasser d’un point de vue tous les éléments constitutifs d’un ensemble, c’est-à-dire dans le cas qui nous intéresse, d’un espace pour oeuvre « , comme l’écrit très justement Julien Foucart dans la monographie publiée pour l’occasion(1). Une ombre plane, un imaginaire est suspendu au-dessus de ces ateliers à ciel ouvert. Cette logique de  » partie qui embrasse le tout  » fait particulièrement mouche lorsqu’elle convie des géants comme Pieter Brueghel l’Ancien ou Jan van Eyck, même si, dans ces cas précis, ce ne sont pas des ateliers qui sont restitués mais des configurations picturales. Du premier ne subsiste qu’une version du jour d’après de La Noce paysanne, une table de banquet désertée couverte d’assiettes que l’on devine vides. Du second, on s’imprègne de la chambre des Epoux Arnolfini dont la perspective a été étirée. Débarrassées de leurs protagonistes, les mises en scène accèdent à une dimension ontologique supérieure : de l’essence de grands maîtres flamands.

La salle inaugurale de De toutes pièces est grosse des déclinaisons qui suivent. Ces microcosmes sont enrichis par des variations, toujours subtiles. A nos yeux, la plus remarquable est certainement Le Campanile écarlate (2008), une tour commandée à l’artiste par Antoine de Galbert. Il s’agit en réalité d’une interprétation libre de La Maison rouge, l’espace parisien consacré à l’art contemporain en passe de fermer ses portes. La construction est fascinante, on ne peut s’empêcher d’y revenir. Percée de hublots, elle offre des perspectives insoupçonnables à la faveur de deux miroirs placés à 45 degrés.  » De Gobert utilise l’architecture comme une machine optique, un périscope, qui conduit le regard à travers le bâti et permet d’accéder à une nouvelle dimension « , commente Denis Gielen. A ces panoramas, il faut ajouter les Archives improbables, variations spectrales qui troublent l’oeil par la superposition de photographies d’ateliers réduits ou réels, mais également des Modèles imaginés au départ de ses photographies, ainsi que des Boîtes à outils condensant les éléments fragmentaires d’un univers volontairement non assemblé. Sans oublier les très amusantes Devantures, l’épure des Ateliers ou les coulisses des théâtres qui offrent de passer de l’autre côté du décor. Autant d’espèces d’espaces dont on garde longtemps la trace en soi.

De toutes pièces, Philippe De Gobert, au MAC’s, site du Grand-Hornu, jusqu’au 3 septembre prochain.

(1) De toutes pièces, oeuvres 1972-2017, Philippe De Gobert, MAC’s, 200 p.

Par Michel Verlinden

Les pièces exposées respirent cet  » optimisme d’être « , propre à toute oeuvre poétique

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