Le quatuor a choisi comme nom un mot qui, en bruxellois, signifie " pour du vrai ! ". © Philippe cornet

Vraiment Echt !

Formés au cursus jazz supérieur, les bruxellois Echt ! embarquent dans leur premier EP un electronica fiévreux. Comme des DJ’s mutés en musiciens.

Un samedi de mi-novembre, début de soirée, Brussels CityGate. La zone d’Anderlecht concernée encadre un dédale de rues borgnes, autour d’une ancienne usine pharmaceutique de plusieurs milliers de mètres carrés transformée en flats-lofts-ateliers, avec la gueule un peu lasse d’un Brooklyn industriel délavé. Dans la vaste cour intérieure, des cabanes et bazars en bois pour jeux d’enfants, un parcours skate et une pluie automnale dispersée en flaques sur le sol sablonneux.  » Le projet architectural devrait être partiellement ou en totalité transformé en école « , remarque Florent Jeunieaux, le guitariste d’Echt !, quatuor ayant choisi comme nom de baptême le mot brusseleir signifiant  » pour du vrai !  » Florent est montois, donc wallon d’origine tout comme le batteur/percussionniste borain Martin Méreau, vu aussi dans le groupe La Chiva Gantiva. A leurs côtés, le claviériste originaire de Montpellier Dorian Dumont et le bassiste, Federico Pecoraro, venu d’un anonyme village des Pouilles italiennes.

On est tous leaders, collégialement. C’est aussi riche que chronophage.

Les quatre musiciens nous mènent au sous-sol du bâtiment de droite : un escalier y débouche dans une sorte de bunker divisé en locaux de répétition. Avec bar communautaire et même salle de concert souterraine intimiste : c’est le Volta, espace bilingue animé par des privés qui ont fait l’immense effort d’assainir le cadre tout en pratiquant une location modique. Puisqu’on sait qu’à Bruxelles, l’accueil de l’électricité sonore est une denrée d’autant plus précieuse lorsqu’elle porte en elle une convivialité affichée. Celle-ci est lovée dans le décor bétonné comme dans la composition d’Echt ! et un premier disque de carrousel stylistique. Un kaléidoscope maniaque triturant pas moins de huit titres en seize minutes sous le titre de Douf EP : le truc gicle, clashe, tricote, voltige, trace et racle, souvent au bord de la syncope volontaire. Avec un jeu qui ne lésine jamais sur les notes, multiples et parfois mirobolantes, rappelant même parfois les aventures jazzy-rock des années 1970-1980 ( So Zat). Heureusement, pas trop. Même si le nom de Jaco Pastorius, par exemple, soulève l’approbation dans la conversation, l’âge des musiciens – entre 25 et 32 ans – draine forcément d’autres références.

Club colombophile

 » Le challenge, c’est de faire une musique instrumentale sans ennuyer les gens, ce qui ne veut pas dire qu’on n’aura pas un jour des invités vocaux. Raconter quelque chose sans voix, c’est une contrainte qui nous plaît : on est à la recherche de l’impossible (sourire). Mais là où l’on peut sans doute « attraper » les gens, c’est par les rythmes et groove actuels qu’on joue.  » De là surgit une idée a priori incongrue : Echt ! cite son goût pour Flying Lotus, DJ Rashad ou le footwork de Chicago mais avec une volonté d’en faire un format live, joué, pas un montage de samplings.  » Rendre hommage aux DJ’s est un pari parce que ce n’est pas naturel. On aime bien l’idée du mec qui met de la pop turque avant une chanson italienne des années 1990. D’où l’envie que notre musique soit l’équivalent de DJ’s humains… C’est cela qui nous a fait triper. D’où une longue période de laboratoire, notamment avec ces gigs réguliers au Bonnefooi (NDLR : Echt ! se produit aussi dans ce bar du centre-ville de Bruxelles). Et puis on a littéralement relevé les enchaînements de certains formats DJ’s comme si on notait une partition de Charlie Parker…  »

Les racines de Echt ! ?  » On a commencé en faisant des reprises de Jon Hopkins et d’Aphex Twins ou de trucs plus hip-hop comme Jonwayne et même D’Angelo. Au début, les personnes qui venaient nous voir nous disaient qu’il suffisait de prendre un rappeur ou une chanteuse et que l’on serait incroyables.  » Bruxelles a séduit les quatre Echt !, notamment via des études aux conservatoires francophone et flamand de la capitale. Suffisamment pour que les non-Belges Dorian et Federico comptent rester en ville. Tous ont plusieurs fers au feu en tant que sideman ou leader intrinsèque, mais Echt ! est leur véhicule égalitaire et partagé.  » Jusque dans la méthode de travail puisque contrairement à un groupe de jazz qui n’a pas besoin de répéter tous les jours, on compose, on crée et on arrange ensemble. On est tous leaders, collégialement. C’est aussi riche que chronophage. Quelqu’un nous a confié qu’il avait l’impression que notre musique était un jeu de Lego. Finalement, le travail en commun prend beaucoup plus de temps que de lire une partition.  » D’où l’installation depuis un an environ au Volta anderlechtois où, dès qu’ils le peuvent, les musiciens font bouillir la marmite, soignant les arrangements et les détails sons comme on couve des enfants qui auraient froid l’hiver. Le EP, lui, a été enregistré en trois jours dans une salle des fêtes de Colfontaine, 20 000 habitants dans le poumon du Borinage.  » Sur une scène de concert à l’ancienne d’un club colombophile du PS où d’habitude, on joue plutôt de la fanfare. Mais l’endroit possède un cachet, une résonance « , précise Martin. Ce qui pourrait être une définition nature d’Echt ! en cette fin 2019 (1).

(1) En concert le 30 novembre à l’Atelier 210 à Bruxelles. www.atelier210. be

(1) Echt ! - Douf EP, distribué par Sdban Ultra/N.E.W.S.
(1) Echt ! – Douf EP, distribué par Sdban Ultra/N.E.W.S.

Douf EP : un manifeste virtuose

Bienvenue à l’electro-plus hyperkinétique. La musique fabriquée par les quatre bruxellois de Echt ! a ce truc particulier de citer un univers surréalisant (1). Dans les titres ( Mad Merckx, Tsht, Bonjour) avec même un clin d’oeil manifeste à Telex ( Adorable), voilà un manifeste virtuose qui n’obscurcit jamais l’émotion musicale. Les guitares sont chaudes acides et la vibrante section rythmique accueille la générosité plurielle du clavier. Sans la manie du plugging et des petits deals digitaux usuels. Si la durée de l’EP est modeste – seize minutes… – d’autres aventures soniques, plus longues et durables, attendent de toute évidence après ces huit titres enchaînés d’un seul trait. Pas pour rien que le groupe se retrouve chez les gantois de Sdban, label de quelques-uns des plus excitants groupes belges actuels, TaxiWars, Stuff ou Black Flower. Tous au-delà des genres.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire