Voyageur incorrect

De l’Himalaya à la Patagonie, de Tombouctou au Cap, l’Allemand Roger Willemsen explore le monde sur un mode très personnel.

U n long défilé de paysages pittoresques et d’autochtones pauvres mais tellement dignes : voilà à quoi se résume bien souvent la littérature de voyage. Raison de plus pour saluer Roger Willemsen, célèbre présentateur à la télévision allemande pour ses Bouts du monde, récit de 22 pérégrinations, qui nous mènent de la Patagonie à Minsk, des îles Tonga au Cap.

Tombouctou vous fait rêver ? Du sable, des vautours et des chèvres qui mâchonnent des morceaux de carton dans une décharge, démythifie Willemsen. Et pourtant, rarement aura-t-on mieux décrit la déréliction des grandes villes africaines qu’entre ces pages :  » Habitués à la décrépitude, les habitants vivent en confiant ce qu’ils rejettent au vent, qui emporte tout dans le Sahara.  » Les moines bouddhistes de l’Himalaya, ces saints devant lesquels la littérature de voyage se prosterne depuis mille ans ?  » Préoccupés de leur seule personne, conscients de leur pouvoir d’attraction photogénique  » et débitant de la fausse sagesse au kilomètre ( » Reste auprès de la vérité « ,  » L’âme voit tout « , etc.).

Heureux à Tokyo, parce qu’il est amoureuxà

Plus fort encore, notre chasseur de  » finisterres  » n’hésite pas à briser un  » tabou  » au détour de son chapitre sur Tokyo. Tout voyageur devrait être un assoiffé d’altérité ? Eh bien, lui avoue qu’il n’a pas adressé la parole à un seul Japonais durant tout son séjour. Encore plus  » voyageusement incorrect « , voilà ce que lui inspirent les enfants en haillons entrevus le long de l’himalayienne Prithvi Highway :  » C’est un mauvais déjà-vu : on lance à la misère un regard réprobateur pour manque cruel d’originalité.  » Et, bien sûr, vieux  » truc  » littéraire, c’est de la dureté de ce regard que naît la compassion chez le lecteur. Quitte à faire de la lecture de ces Bouts du monde un voyage parfois un peu âpre.

Willemsen le sait, un périple est conditionné tout autant par notre état mental intérieur que par le défilé des paysages. Par la fenêtre du train, c’est bien souvent notre âme que nous apercevons. Il est heureux à Tokyo, parce qu’il est amoureux d’une femme restée en Allemagne. Mais le voyage devient impossible s’il doit subir une  » intello  » prétentieuse dans son compartiment toute la durée d’un Hambourg-Gibraltar (et c’est longà). On lui sait gré, aussi, de restituer ces moments de désespoir que nous avons tous connus. Lui, c’est en Afrique du Sud :  » Au bord de ce virage, nous vivons le drame du voyageur : il doit reconnaître que rien ne l’a touché, qu’il ne peut trouver aucun but à son voyage, et donc aucun à la vie de labeur qu’il supporte pour rendre ce voyage possible.  » Comment dit-on, déjà, dans la langue de Humboldt ? Ah oui : wunderbar !

Les Bouts du monde, par Roger Willemsen. Trad. de l’allemand par Brice Germain. Arthaud, 416 p.

J. D.

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