Vous avez dit éthique?

De plus en plus d’investisseurs choisissent les placements éthiques. Sont-ils rentables pour autant ? Oui, affirment leurs partisans.

Nés des protestations contre l’intervention américaine au Vietnam et les entreprises qui y participaient, les mouvements citoyens ont pris de l’ampleur dans les années 1980 et 1990. Des catastrophes chimiques ou écologiques, telles que celles de Bhopal, en Inde, ou de l’ Exxon Valdez, en Alaska, ne pouvaient qu’amplifier la contestation. Le climat de défiance qui s’est peu à peu installé autour des entreprises s’est encore renforcé ces derniers temps avec le krach boursier des valeurs technologiques en 2001 et, tout récemment, avec la faillite du géant américain Enron.

Répondant à ce nouvel état d’esprit, le monde de l’entreprise se montre de plus en plus ouvert aux demandes émanant de la société, non pas par charité mais parce qu’un nombre croissant d’investisseurs-consommateurs (donc d’acheteurs) réclament désormais que le business s’inspire de l’éthique. Où sont fabriquées ces chaussures de sport ? Les déchets industriels sont-ils recyclés ? Ma voiture pollue-t-elle l’environnement plus que de raison ?

Certes, cette tendance n’est pas généralisée (beaucoup de consommateurs se contentent des prix les plus faibles), mais un mouvement semble se dessiner. Et si les consommateurs font la part belle à l’éthique, les marchés s’en préoccupent également.

La peur qu’éprouvent certains industriels européens de l’agroalimentaire à se lancer dans la production à grande échelle d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ne fait que confirmer cette tendance. Dans le secteur pétrolier, Royal Dutch affirme ainsi qu’il s’engage dans le développement durable (« sustainable development management framework ») et dit mesurer ses performances sous l’angle économique, social et environemental (principe du « triple bottom line »).

Autre exemple ? Fin février 2002, le fonds américain Calpers (qui gère les fonds de pension des fonctionnaires de Californie) a annoncé son retrait de quatre pays asiatiques (Indonésie, Malaisie, Philippines et Thaïlande), principalement pour des raisons éthiques. Ces pays s’ajoutent ainsi à la liste noire de Calpers reprenant, notamment, le Pakistan, la Chine et le Venezuela. Forts de l’exemple de Calpers, qui réjouira davantage les syndicats américains que les travailleurs asiatiques, d’autres intermédiaires financiers pourraient réévaluer leurs investissements dans certaines régions du monde.

La responsabilité morale des entreprises va bien au-delà du respect de normes sociales et environnementales : l’éthique concerne aussi l’attitude du management vis-à-vis des salariés (prévention des risques au travail), des fournisseurs (en s’assurant qu’ils respectent les mêmes critères éthiques) et des actionnaires. Pour ces derniers, le respect de leurs droits à la transparence de leurs investissements et à l’information s’impose de plus en plus dans un contexte marqué par une méfiance croissante à l’égard des grands groupes très diversifiés.

Ethique et Bourse

Le développement des fonds éthiques répond à deux motivations qui ne sont pas nécessairement antagonistes.

D’une part, les intermédiaires financiers sont toujours à la recherche de nouveaux produits : après les fonds garantis et les fonds sectoriels, c’est au tour des fonds éthiques d’occuper le devant de la scène. D’autre part, la demande pour ces produits de placement correspond aux soucis d’une frange croissante d’investisseurs, soucieux de réconcilier idéaux et placements.

Au stade actuel des études, le manque de recul ne permet pas d’affirmer qu’une telle démarche est rentable pour l’entreprise. Mais les défenseurs de l’éthique estiment que celle-ci peut améliorer l’image de marque. Ce qui aurait pour effet d’attirer, aussi, les meilleurs collaborateurs : les performances accrues auraient, en fin de compte, un impact bien réel sur les résultats financiers. Et cela ne peut que séduire les investisseurs. La boucle est bouclée…

Si les fonds éthiques se multiplient, leur succès est-il pour autant synonyme de performance boursière ? Si la performance de ces fonds a été bonne ces dernières années, la place faite aux actions technologiques (dont les entreprises sont par nature plus fiables éthiquement que les producteurs de pétrole ou les exploitants de minerais) n’y est pas pour rien. Jusqu’au krach techno, bien sûr. Cela dit, il ne semble pas exister de contradiction entre performance d’un investissement et éthique. Pour les partisans de ce type de placement, une des explications est la suivante : si une entreprise renforce la protection du personnel au travail ou met en place des plans de défense de l’environnement, par exemple, elle augmentera la loyauté de son personnel et de ses clients (conserver un client est beaucoup plus rentable que d’en conquérir un nouveau). Elle courra aussi moins de risques de procès, ce qui contribuera à la stabilité de ses activités, ce que la Bourse valorisera positivement. A titre d’exemple, rappelons-nous les ravages de l’amiante sur nombre de sociétés : les constructeurs automobiles Ford, General Motors et DaimlerChrysler sont poursuivis pour la présence d’amiante dans leurs dispositifs de freinage (achetés à un sous-traitant), détectée il y a quelques années.

Prudence, prudence…

Le particulier désireux d’investir dans un fonds éthique sera très prudent pour éviter toute désillusion. La notion de ce qui est éthique et de ce qui ne l’est pas est variable dans la mesure où chaque gestionnaire de fonds a ses propres critères, au-delà du travail accompli en amont par des agences de notation spécialisées. Comment réagira l’investisseur face au secteur de la biotechnologie et aux manipulations génétiques, sources d’espoirs gigantesques pour les uns, de dérives inacceptables pour les autres ? Et doit-on, comme le font certains gestionnaires, mettre dans le même sac la technologie nucléaire et les sciences de la génétique ? Ici, la nécessité de jouer la carte de la transparence dans le chef du promoteur du fonds prend toute son importance.

Prudence, prudence…

Commercialement parlant, en tout cas, les promoteurs de fonds ont tout intérêt à afficher de belles performances. D’où la tentation de revoir à la baisse les critères de sélection des entreprises qui constituent son portefeuille, histoire de doper les résultats ? A l’inverse, si un gérant de fonds se montre trop strict quant à ses critères éthiques (au point de diminuer le nombre d’actions ou de secteurs en portefeuille), le danger est réel de mettre à mal la diversification de son portefeuille. Or cette diversification est essentielle pour réduire le risque boursier.

Enfin, l’augmentation du nombre d’intermédiaires participant à l’élaboration d’une sicav éthique entraîne parfois un accroissement des frais de gestion (dont une partie est parfois reversée à des organisations non gouvernementales), ce qui pèsera évidemment sur le rendement final de votre investissement.

Conclusions ? Petit à petit, la perception par nos entreprises de leur rôle au sein de nos sociétés se modifie. Insister davantage sur la dimension éthique n’est plus, aujourd’hui, une idée de postsoixante-huitards. Bref, l’allégation du prix Nobel d’économie Milton Friedman selon qui « l’entreprise n’a qu’une responsabilité, celle de payer des dividendes à ses actionnaires » semble avoir fait son temps. Cette tendance, qui demande à être confirmée pour ne pas être qu’un phénomène de mode, va-t-il réconcilier le couple souvent difficile que forment éthique et placements financiers ?

Pierre Samain (Budget Hebdo)

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