Avec Royal, Ayo voulait " la paix et le calme que seul un disque de jazz peut donner ". © DR

Voix royale

Minée par la dépression, Ayo a rebondi et donné des couleurs jazz à ses chansons écorchées. Le résultat s’intitule Royal, album lumineux pour une époque qui en a bien besoin.

Comme les autres, Ayo a dû se faire à l’idée. Alors qu’elle aurait dû tourner une bonne partie du printemps, la chanteuse a vu ses dates annulées les unes après les autres. Y compris celle de son passage sur la scène du festival Couleur Café, qu’elle a tant de fois foulée. Dans une vidéo postée sur Facebook mi-mars, elle le prenait presque avec philosophie.  » Je pense que tout arrive pour une raison…  » Si c’est le cas, alors la sortie de Royal, son dernier album paru fin janvier dernier, tombe en effet au bon moment : intimiste et lumineux, mêlant élégance jazz et classicisme chaleureux, il est l’un des antidotes les plus efficaces contre le climat anxiogène de l’époque.

Je crois profondément que quelqu’un me guide, que quelque chose me protège.

Il a pourtant bien failli ne jamais exister. Le plan de départ était en effet très différent. Rencontrée à un moment où le Covid-19 n’avait pas encore provoqué une mobilisation mondiale, la chanteuse explique :  » A la base, l’idée était de réenregistrer mes premiers succès.  » Ceux de son premier album Joyful, sorti en 2006, sur lequel se trouvait notamment le tube Down On My Knees.  » Mais quatre jours avant d’entrer en studio, je ne voulais plus. J’étais paniquée. Je ne répondais plus au téléphone. Même quand mon manager Jean- Philippe (NDLR : Allard)appelait, je ne décrochais pas. Un tel blocage, cela ne m’était jamais arrivé.  » Ce que Ayo avait longtemps tenté de contourner, lui tombait dessus.  » J’ai dû admettre que je faisais une dépression. C’est un état que j’avais déjà traversé. Mais que j’avais toujours négligé. Je pensais qu’il suffisait d’appuyer sur un interrupteur pour relancer la machine, ou regarder une comédie à la télé pour aller mieux. Tout le monde traverse des périodes plus difficiles. Mais quand même Dave Chappelle ne vous fait plus rire, il est temps de se poser des questions (rire). Je crois vraiment aux énergies. Mais jusqu’ici je n’avais pas compris qu’elles étaient à ce point puissantes que vous ne pouvez que difficilement les contrôler. Vous pouvez juste tenter de les comprendre, un peu comme vous apprenez une nouvelle langue.  »

Née quelque part

La vie d’Ayo n’a jamais été un long fleuve tranquille. Née en septembre 1980, à Cologne, d’un père nigérian, et d’une mère allemande d’origine sinté, Joy Olasunmibo Ogunmakin de son vrai nom, a longtemps été ballottée. Elle a 6 ans quand sa mère tombe dans la drogue. Dès ce moment-là, et jusqu’à son adolescence, elle alternera famille d’accueil et village d’enfants. La plupart du temps, elle est la seule enfant de couleur de la classe. Dans le morceau Beautiful, la chanteuse métisse explique par exemple comment elle a voulu lisser son afro pour ressembler à ses copines.  » Je me souviens d’un voyage scolaire à Sylt (NDLR : île allemande au large de la Frise). Je jalousais les cheveux des autres qui flottaient dans le vent, quand les miens restaient immobiles. Même quand ça soufflait vraiment, ils ne bougeaient pas, ils se déformaient (rire). Quand j’ai eu 15 ou 16 ans, j’ai voulu les défriser. J’ai juste réussi à les casser ! J’étais devenue quasi chauve sur le devant. Finalement, je me suis complètement rasé le crâne. Quand mes cheveux ont commencé à repousser, j’ai appris à les apprécier au naturel.  »

Ayo, Royal, distr. Pias.
Ayo, Royal, distr. Pias.

Son passage dans les institutions d’accueil n’a pas été qu’un long traumatisme. C’est au village d’enfants de Schwalmtal, tenu par des religieuses, qu’Ayo a appris la guitare et le piano et même intégré le groupe d’élèves de La Taste (avec qui elle enregistrera un CD).  » Les nonnes étaient plutôt marrantes. Je me rappelle de soeur Agnès, qui dansait en faisant quasi le grand écart. J’étais dans Sister Act, en fait (rire) !  » Après l’adolescence, Ayo se lancera comme musicienne, quittant l’Allemagne pour Londres, avant de trouver sa voie à Paris, signant en major. Aujourd’hui, c’est à New York qu’elle a posé ses bagages.  » Je voulais donner l’opportunité à mes enfants de grandir dans un environnement où la couleur de peau n’est pas un souci.  » Cela ne s’est toutefois pas fait sans mal. Pendant deux ans, Ayo devra se battre avec l’administration américaine pour que ses trois enfants puissent être domiciliés avec elle. Elle en ressortira lessivée. Autant par le déchirement de se retrouver éloignée de sa famille, que par la succession de démarches kafkaïennes, les allers-retours entre l’Amérique et l’Europe, mais aussi une séparation qui a pu raviver des blessures liées à sa propre enfance.  » Je ne savais plus où j’en étais.  »

A ce chaos intime s’ajoute le flou sur sa carrière. Elle comprend que l’idée de reprendre ses anciens morceaux est la dernière chose à faire. Quand elle finit par en parler à son manager et à son label, ceux-ci… respirent, soulagés.  » Tout le monde s’était rendu compte que c’était une fausse bonne idée. Mais personne n’avait osé me le dire !  » En studio, Ayo s’enferme alors avec un groupe restreint : le producteur Freddy Koella (guitariste, il a joué pour Dylan ou Willy DeVille), Gaël Rakotondrabe au piano, Laurent Vernerey à la contrabasse et Denis Benarrosh aux percussions. La couleur choisie est acoustique et jazz.  » Je voulais la paix et le calme que seul un disque de jazz peut vous donner.  »

Au milieu de ses propres compositions, Ayo reprend Maxime Le Forestier ( Né quelque part, seul titre en français), Lhasa ( Fool’s Gold), mais aussi deux morceaux popularisés par la chanteuse de jazz Abbey Lincoln, Afro Blue et Throw It Away (dont elle avait déjà interprété une chanson sur… son premier album).  » C’est comme si elle me parlait. Quand elle chantait qu’il faut lâcher prise, ou que vous ne pourrez jamais vraiment perdre ce qui vous appartient (NDLR :  » Let the sun shine through/’Cause you can never lose a thing/If it belongs to you « ), j’avais l’impression qu’elle m’adressait un message. C’était tellement puissant…  » L’expérience sonne presque mystique. Ayo confirme. Ce qui s’est passé durant ces quelques jours en studio, elle ne l’avait jamais vécu auparavant.  » Mes musiciens, qui ont pourtant enregistré beaucoup plus d’albums que moi, ressentaient la même chose. Je n’avais pas rêvé « . Cet état de grâce, on le perçoit dès la première écoute. D’une éblouissante sérénité, Royal sonne comme le disque qu’Ayo avait toujours gardé en elle.  » Je sais en tout cas qu’il m’a permis pour la première fois de m’adresser consciemment à moi-même. Et à Dieu. Ou peu importe comment vous l’appelez. C’est d’ailleurs pour cela que l’album s’intitule Royal, parce que je ne voulais pas le lier à une religion en particulier. Je crois juste profondément qu’il y a quelqu’un qui me guide, quelque chose qui me protège. « 

Ayo, Royal, distr. Pias.

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