Voilà le procès de la crise bancaire !

Petits épargnants grugés, responsables de banque jugés, institutions aveugles… On retrouve, dans le dossier Citibank, tous les acteurs de la crise financière. Coup de projecteur sur la distribution de ce mauvais film.

Les grippe-sous. Début 2006, le marché immobilier américain commence à montrer d’importants signes de faiblesse. La crise des subprimes se profile à l’horizon. La banque d’affaires new-yorkaise Lehman Brothers, qui est un des plus gros investisseurs du secteur, cherche alors à se refaire une santé en levant des capitaux auprès des petits épargnants, aux Etats-Unis et en Europe. Comme elle n’a pas accès aux dépôts des particuliers, elle recrute, notamment en Belgique, des banques commerciales classiques, comme Citibank, pour refiler ses produits financiers au grand public.

Des produits présentés comme des placements sûrs, avec capital garanti. En réalité, des produits structurés jugés aujourd’hui trop risqués pour le profil des investisseurs non aguerris qui les ont achetés. Or, le 15 septembre 2008, Lehman tombe en faillite, entraînant la chute de Wall Street et des autres grandes Bourses. La valeur de ses obligations s’effondre quasi jusqu’à zéro ! Certaines banques responsables ont tout de même remboursé le capital garanti sur leurs fonds propres.

Les brutes. Citibank, elle, n’a consenti aucun geste envers les épargnants lésés. Et pour cause. La filiale de Citigroup, dont on connaît le marketing agressif, a vendu des produits Lehman jusqu’en juin 2008, soit bien plus tard que les autres et alors que les difficultés de Lehman étaient déjà relayées dans la presse.  » La maison mère Citigroup a des intérêts financiers solides auprès de Lehman Brothers, affirme le député SP.A Hans Bonte, qui se montre déterminé dans ce dossier. D’où l’importance de liquider les produits de la banque new-yorkaise le plus rapidement possible.  »

En Belgique, selon le défenseur des petits actionnaires Deminor, le montant de la perte pour les clients de Citibank s’élèverait à environ 250 millions d’euros… Par ailleurs, un geste consenti en Belgique aurait eu des conséquences dans d’autres pays européens – l’Allemagne entre autres – où Citibank est également accusée d’avoir démarché des clients de manière douteuse. La Deutsche Bank se trouve, elle aussi, dans le collimateur de Test-Achats, de Deminor et de la justice. Elle a néanmoins vendu moins de produits dérivés Lehman et surtout moins longtemps.

Les pigeons. Les petits épargnants paient les pots cassés des banques. Face aux rendements que la Citibank leur faisait miroiter, certains ont misé l’entièreté de leur bas de laine dans les obligations Lehman Brothers. Beaucoup affirment que le nom de Lehman n’était inscrit nulle part dans les documents Citibank. D’après le ministère fédéral des Affaires économiques, il y aurait près de 4 000 clients lésés. Jusqu’ici, 1 600 d’entre eux ont introduit une plainte auprès du parquet de Bruxelles qui a ouvert une information judiciaire à l’encontre de la banque. Des dizaines, voire des centaines d’autres pourraient encore se joindre à la procédure pénale. Ce qui donne une idée de l’ampleur du  » procès Citibank  » qui s’ouvrira, dès le 1er octobre, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Théoriquement, la décision de justice ne profite qu’aux plaignants. La loi belge ne prévoit pas, comme au Québec ou en France, les class actions ou plaintes collectives, qui permettraient à tous les consommateurs concernés d’être associés automatiquement à l’action judiciaire. Il existe néanmoins une alternative :  » Nous espérons obtenir une décision de principe qui obligerait la banque à indemniser globalement l’ensemble des clients grugés, explique Jean-François Biernaut de Test-Achats. Mais Citibank peut très bien faire valoir que ses produits n’ont pas été vendus de la même manière à tous les clients.  »

Les aveugles. Indirectement, le procès de Citibank sera aussi celui des agences de notation et de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA). Les avocats de Citibank ne manqueront pas de justifier leur bonne foi en pointant les agences de notation qui, la veille de la faillite de Lehman Brothers, lui accordaient encore une note rassurante A+. La défaillance de ces agences, très critiquées dès le début de la crise bancaire, ne doit toutefois pas faire oublier que d’autres infos alarmantes circulaient à propos de Lehman.  » Notamment via les Credit Default Swaps, ces contrats d’assurance destinés à se protéger des risques de crédit et dont les primes pour les produits Lehman Brothers avaient considérablement augmenté plusieurs mois avant la faillite « , souligne Erik Bomans, de Deminor.

Quant à la CBFA, dont l’aveuglement a surpris dans l’affaire Fortis, aurait-elle pu éviter cette autre catastrophe ? Parmi ses missions, elle doit contrôler les prospectus officiels des produits financiers des banques. Les documents de Citibank avaient été antérieurement approuvés par les autorités irlandaises. Selon la règle du passeport européen des prospectus, la CBFA ne devait pas refaire le travail de son homologue gaélique. Mais cela ne l’exemptait pas de contrôler la publicité sur les produits vendus, d’autant qu’il s’agissait de produits structurés. A moins que Citibank n’ait pas respecté son obligation de transmettre la publicité au gendarme de la finance.  » No comment « , nous dit la CBFA. Par ailleurs, il y a trois ans, Deminor avait déjà mis publiquement en garde contre les risques des produits dits à capital garanti…

Les justiciers. On retrouve forcément toujours les mêmes, en l’occurrence Test-Achats et Deminor. Le premier représente plus de 700 épargnants et le second environ 800. Les deux associations de défense reprochent à Citibank d’avoir sciemment trompé les petits épargnants en insistant lourdement sur la prétendue garantie du capital investi, destinée à rassurer les clients.

Elles n’ont cependant pas opté pour la même stratégie judiciaire. Test-Achats s’est engagé d’emblée dans la procédure pénale. Deminor a préféré introduire une action devant le tribunal de commerce.  » La charge de la preuve y est moins lourde, justifie Erik Bomans. Il suffit de prouver qu’il y a eu négligence, alors qu’au pénal il faut démontrer l’intention de nuire aux intérêts d’autrui.  » Une tactique intéressante. Sauf qu’en cas d’acquittement en correctionnelle les épargnants obtiendront plus difficilement gain de cause au civil.

Les shérifs. Suite aux plaintes des épargnants, c’est le ministère des Affaires économiques qui a mené les premières enquêtes sur les produits vendus par Citibank. L’administration a rapidement transmis les infos au parquet de Bruxelles. Lequel n’a pas ouvert une instruction mais une information. La procédure est moins lourde et surtout moins longue puisqu’elle n’est pas tributaire des juridictions de renvoi. Ce qui explique la rapidité avec laquelle le procès a été fixé.

Fait assez exceptionnel : le parquet a lancé un appel aux clients lésés pour qu’ils se fassent connaître.  » Et nous recevons encore des plaintes quasi tous les jours « , affirme le substitut Jean-Marc Meilleur, porte-parole de la section EcoSoc du parquet de Bruxelles. Dans la citation qu’il s’apprêtait à envoyer au moment de boucler cet article, le parquet vise la Citibank, en tant que personne morale, et aussi de hauts responsables de la banque. Ce qui promet de beaux débats judiciaires, en octobre.

THIERRY DENOËL

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