Tommy Wieringa retrace le sacrifice d'individus dont l'histoire ne retiendra pas les noms. © Leonardo Cendamo/belgaimage

Voici les noms

Une fois par mois, l’écrivaine sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.

Une femme, un jeune garçon et quatre hommes, tous souffrant de la faim, de la soif, de maladies, de blessures et, surtout, de la rivalité qui les oppose dans un terrifiant marathon pour leur survie. Six migrants clandestins trompés par leurs passeurs, abandonnés là où ils croyaient trouver la terre promise, dans un désert aride et froid qui fait penser à la steppe russe. Et puis, au coeur de cette steppe, un personnage dont le voyage immobile contraste avec le leur. Pontus Beg, commissaire de police de la ville perdue de Michaïlopol, qui, confronté à la corruption locale, trouve un sens à sa vie en se plongeant dans l’étude de la Torah.

Serait-il, dans un recoin de sa généalogie familiale, le dernier des juifs d’une ville qui les chassa autrefois ? Est-ce pour cela qu’il finit par accueillir, dans les cellules de son commissariat décrépit, ces migrants dont personne ne veut et par adopter le plus jeune d’entre eux ?  » Petit Moïse, dit Pontus Berg. Venu de si loin. Qui, enfin, voit sa destination lui apparaître.  » Il en est pourtant un, parmi les six, qui ne verra jamais sa destination lui apparaître. Un homme noir, silencieux, que ses compagnons prénomment Afrique. Seul à ne pas dépouiller les morts, seul à partager le peu qu’il a, il deviendra le bouc émissaire, chargé par ses compagnons superstitieux des maux qui les accablent.

Voici les noms

Pour les lecteurs, il est le modèle du héros de l’ombre, celui qui, au dernier moment, a toujours sauvé la civilisation. L’un de ceux qui sont capables de dire  » Non « . Et ce  » Non  » – le refus d’Afrique de se conformer au modèle général de survie, à savoir l’exclusion des plus faibles, le met à part du groupe et le condamne en même temps. Moment minuscule et immense. On pense à Carola Rackete, la capitaine-courage qui a défié Matteo Salvini. Et, parce que pour un nom célébré il y a des centaines de sans-noms, on pense aussi aux pêcheurs tunisiens devenus, par l’indifférence des gouvernements, les premiers sauveteurs des migrants qui fuient la Libye voisine. Ces bateliers modestes, que ne protège aucune ONG ni aucune couverture médiatique, risquent bien davantage la prison et de voir leur embarcation confisquée. Quant aux touristes qui aperçoivent un cadavre sur la plage à l’heure de leur plongeon matinal, ils ont l’assurance d’être changés immédiatement d’hôtel, de bénéficier d’une assistance psychologique et d’être interrogés pour la télé. Rien de nouveau sous le soleil de la Méditerranée et d’ailleurs. Toujours l’errance des sans-terre à portée de vue des imbéciles heureux, toujours le sacrifice d’individus dont l’histoire ne retiendra pas les noms.  » Voici les noms « , ce sont les premiers mots du livre de l’Exode qui relate la sortie d’Egypte des Hébreux réduits à l’esclavage par Pharaon. C’est aussi le titre d’un roman qui nous bouleverse et nous illumine.

Voici les noms, par Tommy  Wieringa, traduit  du néerlandais par Bertrand Abraham, Actes Sud, 330 p.
Voici les noms, par Tommy Wieringa, traduit du néerlandais par Bertrand Abraham, Actes Sud, 330 p.

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