» Viols collectifs, tirs à vue, esclavage. « 

Juliette Boulet, parlementaire Ecolo, revient de Birmanie, où elle a rencontré des opposants à la junte militaire et des rebelles Karen. Elle livre au Vif/L’Express son carnet de route, dans lequel elle dénonce une situation humanitaire déplorable ignorée de tous.

Le cyclone Nargis avait permis, au tout début de mai 2008, d’attirer l’attention des médias sur le sort des Birmans qui subissent la tyrannie des militaires, au pouvoir depuis le coup d’Etat de 1962. Le monde s’était ému de la réticence de la junte à accepter l’aide internationale, alors que les morts se comptaient par dizaines de milliers. Depuis, les projecteurs se sont éteints, mais la situation humanitaire reste dramatique. Quelque 300 enfants meurent chaque jour, en Birmanie, à cause de la malnutrition et des conditions d’hygiène déplorables. La députée belge Ecolo Juliette Boulet vient de se rendre quelques jours à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie. Voici son carnet de route.

20 janvier.  » Avec des membres de l’ONG Burma Campaign UK, nous faisons une incursion illégale en pays birman, de jour. La température frise les 35 degrés. Après avoir traversé le fleuve en pirogue, nous arrivons dans un camp de personnes déplacées. Les rebelles Karen l’ont établi en 2002 et ont dû le bouger à deux reprises après que les militaires l’eurent brûlé. Environ 1 300 personnes vivent là, dans des maisons en bambou sans fenêtres et au toit de feuilles tressées. Toutes ont fui leur village, persécutées par les militaires. Dans cette partie de la jungle birmane, nous sommes en  » black zone « , c’est-à-dire une zone où l’armée pratique viols collectifs, tirs à vue, esclavage et utilisation des populations locales comme bouclier humain pour avancer sur des terrains minés par les militaires eux-mêmesà  »

 » Depuis l’indépendance, l’ethnie Karen est particulièrement martyrisée par la dictature. Plus de 3 200 villages ont été détruits, dans l’est du pays, ces treize dernières années. Victimes de ce nettoyage ethnique, des familles entières se réfugient dans des camps, parfois à quelques kilomètres à peine de leur maison. Je rencontre une mère seule avec deux enfants, âgés de 2 ans et de 8 mois. Elle me dit avoir quitté sa maison parce que celle-ci a été brûlée. Dans son village, les militaires venaient tous les jours se servir en main-d’£uvre gratuite. Ils cherchent surtout des porteurs pour leur matériel lourd. Hommes, femmes enceintes, vieillards, enfants sont recrutés sans distinction et battus, s’ils rechignent. « 

 » Malgré une sécurité précaire, les réfugiés Karen s’organisent comme ils le peuvent, avec l’aide de quelques ONG téméraires qui traversent la frontière, mais dont l’activité est illégale aux yeux de l’armée. Leurs repas sont composés essentiellement de riz et, lorsqu’elle est disponible, de pâte de poisson. Beaucoup souffrent de malnutrition, de malaria, de dysenteries. Les cas de sida sont également nombreux. Un centre de soins est improvisé. Les malades les plus graves sont transportés clandestinement à travers la jungle vers la Thaïlande. « 

21 janvier.  » Je rencontre, en Thaïlande, d’anciens prisonniers politiques birmans, via l’Assistance Association for Political Prisoners (AAPP). Aujourd’hui, plus de 2 100 prisonniers politiques (députés élus, moines, étudiants, représentants de minorités ethniques) croupissent dans les prisons birmanes. Ko Bo Kyi, secrétaire et cofondateur de l’association, explique que, depuis la fin de la révolution de safran menée en 2007 par les moines bouddhistes, le nombre d’arrestations a doublé. Bo Kyi a lui-même été détenu pendant huit ans, très loin de sa famille. Il raconte qu’il était enchaîné nuit et jour. De lourdes chaînes qu’il devait porter pour se déplacer. Les gardiens le torturaient en lui imposant de garder des positions physiquement pénibles, avec ses chaînes. Il était battu dès qu’il se relâchait.  »

 » Tin Tin Nyo, 36 ans, est restée en prison pendant cinq ans et neuf mois, enchaînée elle aussi en permanence. La raison : elle avait pris part aux mouvements étudiants de la fin des années 1990. Elle explique avoir été transférée dans une autre prison du pays uniquement pour avoir fait des signes à une codétenue dans sa cellule. Les prisonniers ne peuvent communiquer entre eux sous aucun prétexte. Elle reconnaît que, depuis 2001, les conditions de détention se sont améliorées, les prisonniers pouvant lire des livres envoyés par les familles et contrôlés par la censure. « 

22 janvier.  » Camp de réfugiés de Mae La, en Thaïlande, près de la frontière birmane. Entre 130 000 et 150 000 Birmans vivent ici en exil, dans des conditions précaires, en dépendant entièrement des ONG privées. Aucune aide internationale officielle ne leur est accordée. Certains sont là depuis des années. La Thaïlande les tolère vaille que vaille, tout en fermant les yeux sur les incursions de l’armée birmane qui a déjà attaqué le camp à plusieurs reprises. Ici aussi, la nourriture principale est le riz. La pâte de poisson se fait de plus en plus rare.  »

 » Huit mois après le cyclone Nargis, des rescapés arrivent encore à Mae La, tous les jours. Beaucoup racontent que l’armée birmane leur a repris les tentes et la nourriture envoyées par la communauté internationale, une fois les médias occidentaux repartis. D’autres victimes du cyclone disent avoir été obligées de participer au référendum sur la nouvelle Constitution, en échange d’une aide de première nécessité. Une Constitution qui réserve 25 % des sièges du parlement aux militaires et qui prévoit que la junte a un droit de veto sur toutes les décisions parlementaires. Regroupées sous une même bannière, toutes les organisations démocratiques birmanes appellent au boycottage des élections prévues en 2010, car ce scrutin instituera de manière légale la dictature militaire actuelle. « 

23 janvier.  » Visite de la clinique Mae Tao, à Mae Sot, en Thaïlande. 85 % des patients de cet hôpital sont des Birmans qui ont sauté sur une mine antipersonnel. L’armée birmane possède une vingtaine de fabriques produisant ces mines condamnées par le monde entier. Sur une chaise, un homme d’une cinquantaine d’années, amputé des deux jambes et aveugle, fume des bétels. Dans l’atelier, un prothésiste, formé sur le tas, marche sur deux jambes artificielles. La clinique, fondée et dirigée par le Dr Cynthia Maung, fournit des soins gratuits, y compris pour lesà militaires birmans.  »

 » Le Dr Maung, elle-même réfugiée birmane, gère également une soixantaine d’équipes de Back Pack Health Workers qui partent de Mae Sot en transportant des sacs remplis de médicaments et de matériel de soins. Ces équipes traversent la frontière birmane pour aller soigner les déplacés dans les camps ou les Karen qui se cachent dans la jungle par petits groupes de 15 ou 20. Cynthia Maung est sur la liste des  »nobélisables » 2009. « 

Thierry Denoël

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