Violence et raffinement

Guy Gilsoul Journaliste

L’espace culturel ING présente la première grande rétrospective en Belgique consacrée aux arts de la totalité du monde océanien. Une exposition d’exception, où l’étonnement est garanti.

Oubliez les vahinés et les couronnes de fleurs : l’Océanie est née d’une catastrophe naturelle, et elle en garde les cicatrices. Entre 15 000 et 1 500 av. J.-C., les eaux du Pacifique sont, par un effet de réchauffement climatique, montées de 120 mètres, et ont englouti un vaste continent dont il reste aujourd’hui des milliers d’atolls et des centaines d’îles, souvent très petites. C’est donc par une immense carte géographique que commence la visite de l’exposition Océanie. Signes de rites, symboles d’autorité, première du genre en Belgique, qui rassemble 200 pièces d’une qualité exceptionnelle.

On devine aussitôt combien, mis à part les Papous des forêts de Nouvelle-Guinée – la seule grande île dont la taille rivalise avec celle du Groenland -, l’art s’est nourri d’un imaginaire lié à la mer (coquillages et poissons) et aux rivages (crocodiles, tortues et oiseaux). C’est la raison pour laquelle, avant même d’embarquer pour cet immense voyage à travers la Mélanésie, la Polynésie et la Micronésie, l’exposition fait un pas de côté en présentant un espace pédagogique, où l’on peut découvrir tous les matériaux naturels, des pigments aux fils végétaux, en passant par les pierres et les coraux. Soit les matières premières d’un art surprenant, avec ses têtes d’ancêtres, ses masques effrayants, ces secrets reliquaires… De manière très pratique, on explique ici comment se nouaient, se découpaient, se taillaient, se polissaient et se coloraient les chefs-d’£uvre réunis dans l’exposition. Nous voilà prêts, le temps encore d’une petite leçon d’histoire des rapports entre l’Occident et ce lointain Pacifique. Puis, c’est le choc.

Tout commence avec trois monumentales sculptures Asmat. L’une d’elle campe la silhouette découpée dans le bois d’un homme au-dessus duquel, de la même taille, se dresse un autre dont, du sexe dressé, sort un enfant et, à la manière d’un jet de sperme, d’autres encore, évoquant ainsi l’énergie du renouvellement. Si la qualité plastique impressionne, le pouvoir suggestif qu’elle provoque, entre peur, violence et raffinement, convoque l’anthropologie. A quoi servaient ce poteau sculpté, et ces autres £uvres voisines ? Qui les manipulait, et dans quel but ? Face aux crânes surmodelés des ancêtres, au poisson reliquaire des îles Salomon, aux boucliers, aux masques parfois monumentaux, aux fougères arborescentes Vanuatu, aux figures crochets du Sepik, aux tikis des îles Marquises, au superbe manteau de plumes rouges et jaunes (daté du xviiie siècle), aux très beaux bijoux, le commissaire Frank Herremann a voulu répondre à ces questions par des textes clairs et par des documents cinématographiques, photographiques et musicaux.

On entre aussi peu à peu dans un univers où les hommes, jaloux du pouvoir naturel détenu par les femmes, vont à la fois les exclure et les vénérer. Ainsi, elles n’auront aucun droit à la vie ritualisée, mais ce sont elles qui sacralisent la  » maison des hommes  » en forme de ventre, où se déroule toute l’activité politique et religieuse. L’homme a tout pouvoir, mais il est avant tout chasseur et combattant. Si la femme donne la vie, lui affronte la mort et n’a de cesse de renforcer le  » mana  » (l’énergie) des ancêtres auxquels il demande protection. Entre le secret (certains objets disparaissent sous les tissus qui les entourent) et l’art aristocratique, entre le foisonnement et l’obsessionnelle symétrie, entre le dépouillement et son contraire, d’une île à l’autre, l’art océanien témoigne ainsi d’un univers hautement organisé. Et ce, jusqu’à l’effroi.

Océanie. Signes de rites, symboles d’autorité, à l’espace culturel ING, 6, place Royale, à Bruxelles. Jusqu’au 15 mars. Tous les jours, de 10 à 18 heures, le mercredi, jusqu’à 21 heures. www.ing.be/art

Au même moment, les Musées royaux d’art et d’histoire annoncent le réaménagement des salles consacrées à l’Océanie (riches, entre autres, d’£uvres en provenance de l’île de Pâques). Notons aussi la mise en route d’un concours (avec un voyage vers l’île de Pâques en prime) et des ateliers créatifs organisés durant les vacances de Noël et de Carnaval.

Guy Gilsoul

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