Villon en Terre sainte

Marianne Payot Journaliste

Avec son nom aux allures de pseudo et son parcours des plus atypiques – ce normalien titi parisien transformé un beau jour en  » cow-boy juif  » a oeuvré pour les services secrets israéliens avant de s’installer à Tel-Aviv comme marchand de livres anciens -, Raphaël Jerusalmy a débarqué l’année dernière avec un petit joyau, Sauver Mozart, qui reçut un succès d’estime et le prix Emmanuel-Roblès. Le revoilà avec un héros à sa (dé)mesure, François Villon, que l’on croyait disparu depuis 1463, lorsque, libéré après avoir été condamné à être pendu, le poète se volatilisa dans les plaines de France.

C’était sans compter sur la sagacité de l’ancien lieutenant-colonel de Tsahal, qui le déniche à la foire de Lyon en compagnie de son compère Coquillard, Colin de Cayeux. Il vient de passer un deal avec l’évêque de Paris : la grâce de Louis XI contre sa capacité à persuader Johann Fust, imprimeur de Mayence, de venir créer une presse à Paris. Le dessein du souverain, appuyé par l’Eglise de France ? Contrer par le biais de l’écrit la toute-puissance du Saint-Siège et affermir l’unité de son royaume. Dissimulant son érudition sous des allures de benêt, le poète au sourire insolent séduit le Mayençais, associé d’un certain Gutenberg. L’affaire est conclue, reste à alimenter les presses. Villon est de nouveau sollicité. Direction la Terre sainte, qui recèle de  » séditieux  » manuscrits (Socrate, Lucrèce, Démosthène, Pythagore…). Gênes, Saint-Jean-d’Acre, Safed, Jérusalem, Qumran… l’épopée a tout pour complaire au vagabond des lettres et au géant Colin.

Outre les aventuriers, les Sarrasins et les brigands turcs qui peuplent alors la Galilée, les  » envoyés  » de Louis XI vont croiser quelques prévôts lettrés, un marchand florentin, émissaire des Médicis, un rabbin érudit, une fille du désert, esclave berbère à la peau claire et aux traits délicats… De rencontre en épreuve, Villon se voit bientôt contraint de reprendre la plume pour amadouer le cadi de Nazareth avec une ballade enchanteresse et de composer quelques faux, dont un commentaire sur les écrits de Luc propre à renverser les puissants et à enflammer les humbles. Jerusalmy, lui, s’amuse, en stratège averti, à bouger les pions sur un immense jeu d’échecs. Qui manipule qui ? Villon n’est-il que le jouet d’un étonnant complot fomenté par les chasseurs de livres et animé par un état-major clandestin juif de Jérusalem et Côme de Médicis ? Seule certitude, cette  » patrie des prophètes et des psalmistes, des manants et des anges déchus, des pires désespérances et des rêves les plus fous  » sonne la fin de l’errance pour l’auteur du Testament. Tout comme pour  » frère  » Jerusalmy, semble-t-il.

 » Ce sont les rimailleurs qui changent la donne, pas les docteurs et les métaphysiciens « , note le narrateur. Jerusalmy en est une parfaite illustration avec ce thriller littéraire moyenâgeux des plus originaux, hymne au pouvoir de l’écrit et à la magnificence du livre.

La Confrérie des chasseurs de livres, par Raphaël Jerusalmy. Actes Sud, 320 p.

Marianne Payot

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