Vertiges du sens

Au théâtre de la Place, à Liège, Nathalie Mauger signe la création mondiale d’une pièce du Suédois Lars Noren : Akt ou l’insupportable sous l’anodin

Pour affronter le dramaturge le plus célèbre de Suède, Nathalie Mauger ne manque pas de cran ! En une poignée de spectacles – Thyeste, La Nuit des rois, Le chemin du serpent, Manque -, elle a forgé un style, de rigueur et de beauté, hors du champ réaliste. Pour apprendre la mise en scène, celle qui reconnaît en Vitez un modèle a quitté son Paris d’origine : direction Bruxelles, l’enseignement à l’Insas et puis l’assistanat de Jacques Delcuvellerie, à Liège, tournant essentiel, avant d’explorer seule des territoires vierges. Elle plonge aujourd’hui dans Akt, l’une des dernières pièces, inédite en langue française, de Lars Noren, dont Jean-Louis Colinet avait fait la belle figure de proue du Festival de Liège l’année dernière. La censure économique y mettant son grain de sel, Nathalie Mauger choisit par intuition, sur résumé anglais, une oeuvre à deux personnages. Sabine Vandermissen s’est attelée à la tâche de la traductrice, au plus près du mot, et Jean-Marie Piemme a retravaillé le texte dans une perspective dramaturgique.

« Une telle découverte totalement inconnue est excitante, avoue la metteuse en scène, mais je saute sans savoir où je vais atterrir, même si je connais l’écriture de Lars Noren. Des éléments communs s’y révèlent : un aspect ludique de la langue, des réponses très courtes, l’énergie qui y circule. Le texte a la rigueur d’une partition, avec son rythme de pauses, de demi-pauses, de la parole ou du corps? » Une des énigmes propres à Lars Noren !

Akt a, en apparence, une forme narrative, mais on ne peut pas totalement s’y appuyer: les repères se déconstruisent sans arrêt et les paradoxes se juxtaposent! Une femme et un homme dans une pièce. Un long silence. Ainsi débute la pièce ! Lui se présente comme médecin, censé examiner la femme dont on apprend qu’elle a commis des actes terroristes et qu’elle est dans une cellule d’isolement depuis six ou sept ans. Lars Noren avait amassé un énorme matériel sur la bande à Baader et le terrorisme allemand des années 1970. Ainsi Akt est-il né. Nathalie Mauger a pioché ces moments d’histoire, proches de certains films de Reiner Maria Fassbinder. « Le texte précise des lieux, allemands, qui n’ont jamais été purifiés du nazisme. On s’y sent coupable, par le seul fait de naître, même après la guerre. Il y a chez les personnages une incapacité à vivre, un désir de destruction, d’autodestruction, quelque chose d’angoissant, de violent parce que rien n’ouvre sur une possible reconstruction. »

L’inconscient

Si Akt fait référence à des événements datés, la pièce ne s’y borne pas. Nathalie Mauger s’y sent de plein pied avec le sentiment de l’absurde sur ces pulsions de mort, sur l’intérêt et l’importance du « groupe » que formaient (et forment encore) les terroristes. Comment s’y reconnaître sans s’abdiquer soi-même ? Sans être un débat d’idées, la pièce remue toutes ces questions. Les dialogues de Lars Noren semblent anodins, mais, d’une manière perverse, ils masquent l’insupportable. L’inconscient y surgit constamment, et comme dans d’autres de ses oeuvres, Akt se noue aussi autour des questions de réalité et d’identité. Acte ou fantasme? Vertige de la pluralité des sens dans une scénographie dépouillée, un espace mental.

« Pour guider mes acteurs, j’ai besoin de les voir bouger, parler. Il y a le rêve sur le texte, mais aussi sur la voix, le corps, je veux voir quel imaginaire l’acteur a de son rôle. Je propose, demande des improvisations et j’écoute ce qui m’est renvoyé. La mise en scène se construira donc sur des allers retours constants entre les planches et le travail à la table. » Nathalie Mauger ne dévoilera pas plus de ses articulations formelles « dont seules émergent les sens ».

Liège, Grand Manège, Caserne Fonck, du 26 février au 9 mars. Tél.: 04-342 00 00.

Michèle Friche

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