© GETTY IMAGES

Vers une Belgique 100% verte: le pays peut-il tendre vers le « zéro carbone » en 2050 ?

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Face à l’urgence climatique, le pays peut-il tendre vers le « zéro carbone » en 2050 ? En point de départ : une récente étude sur le potentiel des énergies renouvelables menée dans 143 pays. Le Vif/L’Express l’a soumise à 13 experts. Et propose son propre plan chiffré pour montrer la voie, en l’absence d’un signal politique clair.

C’est sur elle que repose le plus grand défi du siècle. Le plus global, et donc le plus complexe. Le plus urgent aussi, vu les bouleversements liés au changement climatique, toujours plus perceptibles, de moins en moins lointains. Et pourtant, la transition énergétique, seule à même de sauver la planète, n’a jusqu’ici jamais été à la hauteur des espérances. Au contraire. Ces dernières décennies, les émissions mondiales de CO2 énergétique n’ont cessé d’augmenter : 33 milliards de tonnes en 2019 contre 21 milliards de tonnes en 1990, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Le temps de lire cette phrase, 6 279 tonnes auront été émises aux quatre coins du monde. La minuscule Belgique n’y contribue certes qu’à hauteur de 0,3 %. Mais, comme l’immense majorité des pays dits riches, elle est loin de montrer l’exemple. En 2017, le plat pays trônait encore à la 26e place du classement des plus gros émetteurs de CO2 par habitant (7,9 tonnes). Derrière les Pays-Bas (9,1) et l’Allemagne (8,7), mais devant la Chine (6,7) et la France (4,6), le pays le plus nucléarisé au monde.

Tout discours politique promettant une Belgique 100 % autonome en énergie verte serait un mensonge.

Deux lueurs d’espoir, tout de même. La première est à l’échelle belge : depuis 1998, les émissions de CO2 y diminuent constamment. La deuxième à l’échelle mondiale : en 2019, pour la première fois (hormis en 2009, conséquence de la crise économique), le niveau des émissions est resté stable par rapport à l’année précédente. Hip hip hip ? Pas hourra. C’est loin, très loin d’être suffisant pour espérer limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré en 2100, comme le recommande l’Accord de Paris, signé en 2015 par 195 pays. Il faut donc un plan pour inverser la courbe. De toute urgence et le plus ambitieux possible. A cet égard, plus personne ne conteste le fait que la Belgique doit, elle aussi, montrer l’exemple. Comment exiger que les pays émergents optent pour un développement durable là où les plus riches n’y parviennent pas ? Quitte à ce que ces derniers soient poussés dans le dos par l’Europe, si souvent critiquée mais sans qui, pourtant, la part d’énergies renouvelables n’aurait jamais atteint son niveau actuel, rappellent bon nombre d’experts.

Depuis juin 2019, Lommel accueille le Kristal Solar Park, le plus grand parc solaire du Benelux : 303 000 panneaux sur 93 ha (l'équivalent de 200 terrains de football), pour une puissance installée de 99,5 MW.
Depuis juin 2019, Lommel accueille le Kristal Solar Park, le plus grand parc solaire du Benelux : 303 000 panneaux sur 93 ha (l’équivalent de 200 terrains de football), pour une puissance installée de 99,5 MW.© PHOTO NEWS

13 experts, un plan

Pour dépasser les slogans et le simplisme des déclarations d’intention, Le Vif/L’Express propose un plan chiffré par filière pour tendre vers une Belgique 100 % renouvelable en 2050, avec une étape en 2030. Ni exhaustif, ni même probablement conforme au véritable paysage énergétique à cette échéance. Qu’importe : cette proposition pallie l’absence criante d’une feuille de route politique à longue échéance, tous niveaux de pouvoirs confondus, pour chaque source d’énergie renouvelable. Pour lancer le débat, de nombreux acteurs ou experts ont été contactés. Tous ont manifesté un vif enthousiasme pour la démarche. Finalement, treize d’entre eux ont pu y participer dans le délai imparti. Voici le casting complet :

– Les professeurs Michel Huart et Pierre Henneaux de l’ULB ;

– Les professeurs Hervé Jeanmart et Francesco Contino de l’UCLouvain ;

– Le professeur Damien Ernst de l’ULiège ;

Jehan Decrop et Eric Monami, experts à la Fédération des énergies renouvelables (Edora) ;

– L’Association de promotion des énergies renouvelables ( Apere) ;

Ores, le principal gestionnaire de réseaux de distribution (GRD) en Région wallonne ;

Elia, le gestionnaire belge du réseau de transport (GRT) à haute tension ;

– Trois fournisseurs de gaz et d’électricité en Belgique : Engie Electrabel, Luminus et Eneco.

Le plan proposé n’engage pas personnellement les acteurs contactés. Il tente, avec une subjectivité éclairée par des potentiels de production jugés réalistes, de faire la synthèse de ces analyses parfois contradictoires, mais qui apportent toutes – et il en manque encore bien d’autres – leur pierre à l’édifice de la transition énergétique.

Le point de départ

Tout est parti d’une vaste étude publiée en décembre dernier par des chercheurs de l’université de Stanford, aux Etats-Unis. Ceux-ci ont exploré la possibilité de mettre en oeuvre un Green New Deal dans 143 pays, c’est-à-dire un objectif de 100 % d’énergies propres et renouvelables – essentiellement de l’éolien et du photovoltaïque – à l’horizon 2050. Ils ont pris comme hypothèse une électrification à 100 % de tous les besoins énergétiques (contre 19 % à l’heure actuelle), du transport au chauffage résidentiel en passant par l’industrie. D’après leurs calculs, un tel basculement permettrait de réduire la facture d’énergie de 61 %, les besoins de 57 % et, surtout, les coûts sociétaux (dont la santé et les coûts causés par les changements climatiques) de 91 % par rapport au monde actuel, qui dépend largement des énergies fossiles. Le scénario moyen proposé coûterait au total 59,7 billions de dollars à l’échelle mondiale mais en rapporterait 28,4 billions chaque année dès 2050, soit un retour sur investissement de 1,4 an. Avec à la clé, 28,6 millions d’emplois en plus à la même échéance.

La Belgique fait partie des pays étudiés. A partir des informations disponibles, le logiciel y recommande un mix électrique principalement approvisionné par des panneaux solaires (71 %) et par l’éolien (10 % terrestre et 18 % en mer). Les installations nécessaires couvriraient près de 5 % du territoire, coûteraient au total 173 milliards d’euros (soit plus de 40 % du PIB annuel belge) et réduiraient les coûts sociétaux de 100 milliards sur base annuelle par rapport à 2013.

Trop beau pour être vrai ? Comme l’indiquent tous les experts contactés, les potentiels identifiés pour la Belgique seraient largement surévalués, en particulier pour le photovoltaïque. Ce qui ne rend pas nécessairement le travail moins crédible.  » L’intérêt de cette étude, c’est son approche globale : l’objectif n’est pas d’identifier les potentiels précis dans chaque pays, encore moins pour la Belgique « , notent Hervé Jeanmart et Francesco Contino.  » La maille n’est pas assez fine pour notre pays, confirme Jehan Decrop, pour Edora. En revanche, elle montre que l’objectif de 100 % renouvelable est faisable et intègre enfin les coûts externes des énergies fossiles.  » Même si beaucoup d’experts sont dubitatifs quant à l’ampleur des montants annoncés, très difficile à chiffrer.

Dès fin 2020, les éoliennes offshore belges produiront quelque 8 térawattheures (TWh) par an, soit la consommation électrique annuelle moyenne de 2,3 millions de ménages.
Dès fin 2020, les éoliennes offshore belges produiront quelque 8 térawattheures (TWh) par an, soit la consommation électrique annuelle moyenne de 2,3 millions de ménages.© GETTY IMAGES

« Le mérite de mettre des chiffres »

L’étude sous-estimerait par ailleurs les coûts engendrés par l’intermittence des sources d’énergie.  » Le problème majeur de cette étude est de considérer que le réseau électrique européen est une « plaque de cuivre », c’est-à-dire qu’il n’y a pas de congestion dans le réseau belge et dans le réseau européen, ou du moins qu’il n’y a pas de problème à renforcer les réseaux et que les coûts sont négligeables « , analyse Pierre Henneaux.  » L’approche est un peu naïve, vu les potentiels annoncés et l’impossibilité d’électrifier tous les besoins, notamment dans l’industrie ou le secteur aérien, résume Damien Ernst. Mais elle a l’immense mérite de mettre des chiffres. Ils prouvent la nécessité de développer un marché du renouvelable à l’échelle internationale.  »

En ramenant les potentiels annoncés à un niveau ambitieux mais réaliste, la Belgique ne pourrait en effet couvrir, à elle seule, la totalité de ses besoins en énergie à un coût raisonnable. Quelles que soient les améliorations technologiques de l’éolien et du photovoltaïque. En 2017, une étude à l’échelle européenne de l’université de technologie de Lappeenranta, en Finlande, annonçait la faisabilité d’un modèle 100 % renouvelable plutôt calibré au Benelux. Pour d’autres experts, les besoins nécessiteraient des interconnexions à une échelle bien plus large, au niveau européen voire mondial. Tout discours politique promettant une Belgique 100 % autonome en énergie verte serait un mensonge, à moins d’une rupture technologique pour l’heure insoupçonnée. C’est l’un des enseignements du plan proposé par Le Vif/L’Express, malgré une réduction très importante de la demande.

3 leviers à activer

Pour réussir le pari du 100 % renouvelable sans faire exploser la facture d’énergie, il faut activer trois leviers simultanément.

1. Réduction de la demande.  » La meilleure énergie, c’est celle qu’on ne consomme pas.  » Cette phrase de Francesco Contino (UCLouvain) résume l’une des conditions de la réussite d’un modèle 100 % renouvelable. Dans son Plan national énergie-climat (Pnec), approuvé en décembre dernier, la Belgique s’est engagée à réduire sa consommation finale d’énergie à 385 térawattheures (TWh) en 2030, soit près de 20 % de moins par rapport au niveau de 2018. La consommation finale totale étant globalement stable depuis 2000, cet objectif, défini par l’Europe, s’avère très ambitieux. En 2018, l’industrie était la plus grande consommatrice d’énergie (26 % du total), suivie du transport (22 %) et des ménages (20 %). Comme le souligne le professeur Hervé Jeanmart (UCLouvain), près d’1/5e de l’énergie consommée sert par ailleurs à fabriquer des produits. Pour réduire la demande, l’efficacité énergétique ne suffira pas. Il faudra aussi travailler sur les comportements.

2. La production d’énergies renouvelables. Pour 2030, l’Europe exige que 18,3 % de la consommation finale d’énergie en Belgique provienne de sources renouvelables. Avec une contribution actuelle d’environ 9 %, le pays ne semble déjà pas en mesure d’atteindre l’objectif de 13 % qui avait été fixé pour 2020. Là encore, l’agenda s’annonce donc très serré. Même en poussant les curseurs du photovoltaïque et de l’éolien, il faudra très probablement importer des énergies renouvelables pour s’y conformer. Y compris de la biomasse (principalement sous forme de pellets), si souvent critiquée mais probablement toujours indispensable en 2030.

3. La flexibilité. L’éolien et le photovoltaïque sont des sources d’électricité intermittentes mais plutôt complémentaires, comme le rappelle Michel Huart (ULB). Les données de production démontrent que les mois où le vent souffle davantage sont ceux où le soleil brille le moins, et inversement. Mais ces fluctuations engendrent des complications coûteuses pour le réseau électrique.  » En Allemagne, l’énergie éolienne est produite au nord mais essentiellement consommée au sud, commente Pierre Henneaux (ULB). Cela a provoqué des goulots d’étranglement dans le réseau électrique, qui ont coûté un milliard d’euros en 2017. Finalement, il a fallu écrêter l’énergie éolienne disponible au nord et faire tourner des centrales thermiques au sud.  » Pour accroître la part des énergies renouvelables, il faudra donc investir dans les réseaux électriques intelligents ( smart grids), améliorer les interconnexions et développer des solutions de stockage réversible (sous forme d’électricité ou de gaz) pour exploiter au mieux l’autoconsommation quand l’offre ne suit plus la demande, et vice versa. Dans ce contexte, le défi pour maintenir la facture d’énergie à un coût raisonnable portera moins sur le prix du kilowattheure renouvelable que sur les coûts nécessaires pour le stocker ou l’acheminer.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire