Verhofstadt et les pauvres

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Exclusif: Guy Verhofstadt envisage une mesure unilatérale d’annulation de la dette du Congo et d’autres pays pauvres à l’égard de la Belgique

Cap sur le Mexique ! Pas moins de quatre membres du gouvernement belge comptent se rendre à Monterrey, où doit se tenir, du 18 au 22 mars, un sommet de l’ONU consacré au financement du développement des pays du tiers-monde. Le Premier ministre Guy Verhofstadt sera de la partie, entouré du chef de la diplomatie, Louis Michel, et du secrétaire d’Etat à la Coopération, Eddy Boutmans. Didier Reynders, ministre des Finances, fera lui aussi le déplacement, sous sa casquette de président du G 10, le groupe des pays industrialisés les plus riches.

Si la Belgique débarque en force à Monterrey, c’est qu’elle ne compte pas y faire de la figuration. Depuis la semaine dernière, le gouvernement met en effet les bouchées doubles pour finaliser une politique offensive en matière d’aide aux pays les moins avancés. Les réunions intercabinets se multiplient et rien n’est encore définitivement arrêté. Mais, selon nos informations, Verhofstadt s’apprête à lancer une « initiative significative et unilatérale » en matière d’annulation de la dette des pays les plus pauvres à l’égard de la Belgique.

Deux pistes tiendraient la corde. La première est une mesure en faveur de la République démocratique du Congo, dont la dette représente, à elle seule, environ 60 % du total des dettes du tiers-monde envers la Belgique. L’autre formule envisagée consisterait à étendre le principe de l’effacement de la dette belge des « pays pauvres très endettés » (PPTE) à de nouveaux bénéficiaires, tel le Bangladesh. Verhofstadt veut, en tout cas, du concret et du spectaculaire, alors que le sommet de Monterrey, lui, manque cruellement d’ambitions.

Remises de dettes sous conditions

Ecolo et Agalev soutiendraient avec enthousiasme le Premier ministre, tout comme Elio Di Rupo, le président du PS, qui, dès le 28 février, réclamait du gouvernement des « mesures unilatérales sur l’annulation de la dette des pays les plus pauvres ». Mais Didier Reynders (PRL), aux Finances, et Johan Vande Lanotte (SP), au Budget, s’efforcent, semble-t-il, de freiner l’élan du Premier ministre. « Avant tout, nous cherchons à obtenir une photographie précise des conséquences financières des différents scénarios envisagés, indique le responsable du dossier au cabinet Reynders. Il faut notamment distinguer la valeur nominale des dettes de leur valeur réelle. Les pays les plus endettés à l’égard de la Belgique sont le Congo, classé hors catégorie, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Togo, le Soudan, la Tanzanie ou encore la Bolivie. » Mais le débat belgo-belge ne tournerait pas seulement autour des marges budgétaires limitées. Certains estiment que les remises de dettes doivent être assorties de conditions politiques, en particulier dans le cas du Congo: bonne gouvernance, respect des droits de l’homme, réussite du dialogue intercongolais…

Reste aussi à déterminer, nous dit-on, si ces nouvelles dépenses s’inscriront dans le cadre de l’accroissement prévu du budget de la coopération ou viendront s’ajouter aux engagements pris, le mois dernier, par le gouvernement. A partir de l’an prochain, en effet, le budget va être augmenté de 100 millions d’euros chaque année, ce qui devrait permettre, en 2010, de consacrer enfin 0,7 % du produit national brut (PNB) à l’aide au développement, soit le double du niveau actuel. Cette décision concrétise un engagement pris en l’an 2000 à New York. La communauté internationale avait alors promis de tout mettre en oeuvre pour réduire de moitié la pauvreté d’ici à 2015.

Dix-huit mois après cette « déclaration du millénaire », la conférence de Monterrey vise précisément à mobiliser les ressources financières indispensables au développement. Mais cette nouvelle grand-messe onusienne semble déjà dite, sous la pression de Washington. Les Mexicains tiennent à tout prix à ce que le président George W. Bush assiste à « leur » sommet. Le projet de conclusion, déjà adopté, ne pouvait donc déplaire aux Etats-Unis, qui veulent éviter tout engagement réel en faveur des pays du Sud. Des organisations non gouvernementales (ONG) pronostiquent dès lors l’échec du sommet. Elles dénoncent aussi la frilosité de l’Union européenne, dont la présidence espagnole semble s’aligner sur la position américaine.

« Malgré tout, nous, on veut encore y croire, lance-t-on au cabinet du ministre de la Coopération Eddy Boutmans. La note belge préparatoire au rendez-vous de Monterrey a même été retouchée dans un sens plus volontariste, sur décision du Premier ministre. » Cette note, approuvée en conseil des ministres le 1er mars, ne fait pas état des mesures unilatérales d’annulation de dettes envisagées par Verhofstadt, pistes encore à l’étude. En revanche, on y découvre que la Belgique plaidera en faveur d’une initiative européenne en matière de réduction de la dette du tiers-monde. Dès le sommet de Barcelone, à la mi-mars, les Belges déposeront une proposition concrète sur la table des Quinze. Basée sur une idée formulée par un groupe d’économistes belges, elle vise à créer un fonds destiné à l’allégement de la dette des 49 pays les moins avancés. Cette enveloppe serait alimentée par les pays riches, qui y affecteraient 0,1 % de leur PNB pendant quinze ans.

Guy Verhofstadt parviendra-t-il à convaincre ses collègues européens ? Le Premier ministre belge rêve surtout de se présenter en conciliateur planétaire. Indésirable au « forum social mondial » de Porto Alegre, rendez-vous des altermondialistes, cet obstiné veut rebondir en se faisant l’avocat de la solidarité avec le Sud.

Olivier Rogeau

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