Vargas Llosa, libre condor

Le prix Nobel a couronné le Péruvien pour  » ses images aiguisées de la résistance de l’individu, de sa révolte et de son échec « . Portrait d’un visionnaire.

Au Pérou, tous les chemins – sauf les sentiers plus ou moins lumineux – mènent à Vargas Llosa. Ce sont désormais les routes du monde entier qui convergeront vers lui grâce à ce Nobel ô combien mérité. Après le Guatémaltèque Asturias et le Chilien Neruda, le Colombien Garcia Marquez et le Mexicain Octavio Paz, l’auteur de Conversation à la cathédrale rejoint donc les quatre autres ténors nobélisés des lettres latino-américaines. Comme eux, il est un visionnaire, et ses romans sont le flamboyant miroir d’un continent longtemps déchiré, baroque, explosif, paradoxal : de La Ville et les chiens à La Guerre de la fin du monde, le condor péruvien – naturalisé espagnol – n’aura cessé de survoler le destin de l’Amérique latine, ses illusions, ses rêves meurtris et ses mythes écrasés sous la botte des dictatures, tout en mettant en scène des personnages éternellement révoltés – contre l’oppression du pouvoir et du sexe, en particulier.

Orphelin des révolutions impossibles, monstre d’écriture, travailleur infatigable – on l’a comparé à Hugo – l’enfant terrible de Lima est aussi un intellectuel de terrain. Un homme-orchestre qui aura tâté à toutes les idéologies. Du guévarisme et du castrisme de ses débuts à sa conversion au thatchérisme, du tiers-mondisme au libéralisme, son itinéraire passe par l’engagement politique : le fondateur, en 1987, du mouvement Libertad n’a jamais craint de se salir les mains ni de se faire des ennemis en se frottant à l’Histoire. Un combat risqué, dans lequel il a perdu pas mal de plumes : lorsqu’en avril 1990, dans ses habits neufs de romancier-candidat, le beau Mario fit campagne au nom d’une coalition de centre droit et brigua la présidence de son pays en promettant le Pérou aux Péruviens, ceux-ci le renvoyèrent poliment à ses chimères et à son écritoireà Depuis, il a régulièrement fustigé dans la presse les gouvernements pseudo-progressistes du continent où il a grandi.

Vargas Llosa est né à Arequipa en mars 1936. Après ses études à l’université, à Lima, il travailla dans la presse et milita aux côtés des jeunes communistes avant de s’envoler pour Madrid puis pour Paris, à la fin des années 1950. C’est là qu’il signa La Ville et les chiens, où il évoque la violence dans un collège militaire. Puis il y aura La Maison verte (description très poétique du télescopage entre le monde obscur de la forêt péruvienne et celui des grandes villes), Conversation à la cathédrale (règlement de comptes avec le Pérou du général Manuel Odria), Pantaléon et les visiteuses (histoire bouffonne d’un officier converti au proxénétisme), L’Orgie perpétuelle (délicieux clin d’£il à Madame Bovary et à l’univers de Flaubert), La Fête au bouc (portrait au vitriol de l’ex-tyran de Saint-Domingue, Trujillo), La Tante Julia et le scribouillard (récit largement autobiographique), Lituma dans les Andes (tableau hallucinant du terrorisme sendériste des années 1980) et La Guerre de la fin du monde, un roman historique sur la politique brésilienne au xixe siècle.

Titulaire de 40 doctorats, vivant aujourd’hui entre Paris, Londres et Barcelone, Vargas Llosa continue à travailler sans relâche : il vient de publier en Espagne El sueño de celta, une biographie romancée qui met en scène Roger Casement (1864-1916), à la fois poète, révolutionnaire irlandais, passeur d’armes et diplomate britannique qui fustigea les abus du système colonial en Afrique. D’un livre à l’autre, Vargas Llosa s’est imposé depuis un demi-siècle comme un géant des lettres universelles, et ce Nobel tardif n’ajoutera pas grand-chose à sa célébrité. C’est son vieil ennemi Garcia Marquez qui doit fulminer !

Tous les livres de Mario Vargas Llosa sont disponibles en Folio.

A. C.

Monstre d’écriture, infatigable, on l’a comparé à HUgo

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