Joseph Ndwaniye

Suivez mon regard de Joseph Ndwaniye: une semaine à Bamako, entre crises et création (chronique)

Joseph Ndwaniye Infirmier et écrivain.

« Suivez mon regard » est une nouvelle chronique mensuelle de Joseph Ndwaniye, écrivain et infirmier, pour Le Vif. L’auteur partage le regard qu’il pose sur le monde – ici et ailleurs – avec une grande humanité. Cette semaine il pose la question: « Que nous reste-t-il si la culture est menacée d’anéantissement? »

Depuis treize saisons, le Mali, patrie du célèbre écrivain Amadou Hampâté Bâ, invite des auteurs à la Rentrée littéraire annuelle. Ecrivains issus d’Afrique mais aussi d’autres pays francophones du monde entier. Cette année, j’ai eu l’honneur de faire partie de la caravane. A cause de la Covid-19, l’événement qui a lieu habituellement au mois de février a été reportée en mars. Certains invités n’ont pu franchir les frontières de leur pays. D’autres ont vu leurs vols annulés à la dernière minute. Ils reviendront l’année prochaine, peut-être même sans masque. A sa création, les organisateurs souhaitaient que la fête littéraire se déroule dans plusieurs villes. Mais très vite, cette ambition s’est trouvée confrontée à la réalité du pays. Beaucoup de régions sont en proie à la violence de terroristes islamistes qui s’acharnent à détruire la culture et les lieux d’expression des peuples qu’ils veulent dominer: musées, bibliothèques… Le 15 mars, veille de l’inauguration de la Rentrée littéraire, un attentat perpétré contre l’armée malienne a tué trente-trois soldats. Dans notre bulle littéraire, nous ne l’apprendrons que deux jours plus tard quand l’ambassade de France annoncera l’annulation de son cocktail de bienvenue.

Que nous reste-t-il si la culture est menacu0026#xE9;e d’anu0026#xE9;antissement?

Je suis sous le choc et je m’interroge: que nous reste-t-il si la culture est menacée d’anéantissement? Pendant combien de temps pourra-t-elle résister à la barbarie humaine? Résistance ou militantisme: nous continuons nos activités telles que programmées même si la guerre se rappelle à nous par la présence dans notre hôtel de militaires français, revolver à la ceinture. Toutes les activités ont lieu dans la capitale, dispersées dans divers endroits culturels: musées, écoles, universités… Des Héritages en partage, c’est le thème que nous allons aborder durant toute la semaine . Hélas, le partage avec les habitants des autres régions du pays, ce sera pour une autre fois.

J’ose espérer que lors de la prochaine édition, le pays sera apaisé, les Maliens en rêvent depuis trop longtemps. Les écrivains pourront alors traverser le pays pour porter et partager leur regard sur le monde là où, aujourd’hui, la culture est l’otage des bombes et des fusils. En marge des rencontres littéraires, j’ai demandé à visiter un hôpital dédié au traitement de la drépanocytose, maladie génétique très présente en Afrique. J’y ai consacré un livre en 2018. Je suis aussi parti à la découverte de Bamako, cité des caïmans, grouillante de taxis (vieilles allemandes des années 1980), de mobylettes pétaradantes, Bamako de marchés colorés aux étals de fruits, de légumes, d’épices, de pagnes locaux concurrencés par les tissus chinois et hollandais, Bamako de poussière chaude et rouge, Bamako des langues à n’en plus finir, Bamako de chaleur humaine. Parfois j’ai dû m’excuser auprès de vendeurs qui m’ont pris pour un des leurs et m’ont parlé en dialecte. La langue française m’a toujours tiré d’affaire.

La semaine a filé à toute vitesse. Nous sommes déjà vendredi et la ville s’est mise sur son trente-et-un pour la prière. Le dimanche matin, pendant que je prépare ma valise, de la fenêtre de ma chambre, je vois défiler des mariés et leurs familles qui tombent le masque pour se prendre en photos dans le beau jardin de l’hôtel. Je télécharge la célèbre chanson d’Amadou et Mariam, Le dimanche à Bamako c’est le jour de mariage, et je l’écoute en boucle.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire