» Une secte d’Etat  » active à Bruxelles

Un lobbying plus ou moins discret a-t-il permis aux scientologues de trouver des relais au sommet de l’Etat français ? Et à Bruxelles ? Une chose est sûre : à Paris comme au cour de l’Europe, le pouvoir attire la scientologie. Un livre lève un coin du voile.

Historien et journaliste, le Français Emmanuel Fansten signe un ouvrage (1) qui sort du lot ( Scientologie, autopsie d’une secte d’Etat). C’est qu’il ne s’attache pas à l’angle des croyances, mais à celui des rapports que cette Eglise de scientologie, née aux Etats-Unis fin 1953 des £uvres de Ron Hubbard, cherche à entretenir avec le pouvoir, bien qu’elle soit considérée en Belgique (2), en France et ailleurs comme un mouvement sectaire dangereux. Cible, à Paris : Nicolas Sarkozy. A Bruxelles : le c£ur de l’Europe.

 » Dans son discours deLatran de décembre 2007, Nicolas Sarkozy expliquait que, en matière de différence entre le bien et le mal ainsi que pour la transmission des valeurs, l’instituteur ne peut remplacer le curé, car il lui manque la radicalité du sacrifice de sa vie. Il mettait donc à mal la laïcité à la française, principe pourtant fondateur de la République. Comme, par ailleurs, Nicolas Sarkozy avait déjà spectaculairement rencontré l’acteur américain Tom Cruise, qui passe pour être le n°2 de la scientologie, j’ai donc demandé à Emmanuelle Mignon, directrice du cabinet du président, comment il se positionnait par rapport à la laïcité et aux sectes. Et si cela ne lui posait pas problème « , explique Emmanuel Fansten.

Secto ? No problemo !

Surprise. Si, au c£ur de la France, à l’Elysée, cette réponse n’était pas attendue, Emmanuelle Mignon indique alors que  » les sectes sont un non-problème « . Et que, à défaut de démonstration de leur dangerosité, les scientologues pouvaient vivre  » normalement, conformément au principe de la liberté de conscience « . Et Sarkozy ? D’une manière générale, l’auteur relève qu’  » il préfère le vocable de nouveau mouvement religieux à celui de secte « .

Cette dualité, entre laïcité et croyances, teinte toujours, et plus qu’en filigrane, la politique de l’Hexagone où des députés ont déposé, pas plus tard que le 14 octobre dernier à l’Assemblée nationale, une proposition de loi visant à interdire au président de la République de recevoir un… titre religieux. Héritage des rois de France, le chef de l’Etat français est en effet toujours récipiendaire en droit de tels titres. Fin 2007, Nicolas Sarkozy avait ainsi été installé premier chanoine honoraire de l’archibasilique cathédrale de Saint-Jean-de-Latran, siège de l’évêché de Rome dont le pape est l’évêque, en y délivrant le discours déjà évoqué.

Chanoine honoraire et, pourquoi pas à l’aune de la rumeur, scientologue ? Cela a été dit,  » mais parce qu’il s’est fait piéger par la scientologie. Lorsque, ministre de l’Economie et des Finances, Nicolas Sarkozy avait reçu Tom Cruise à Bercy, en septembre 2004, c’était tout bénéfice pour une  »Eglise » en recherche d’image. Mais le tollé médiatique et politique que la rencontre avait suscité avait coûté cher au ministre. Et s’il se justifiait ensuite en disant que tout cela était d’ordre privé, sans lien avec la scientologie, l’acteur allait, par la suite, affirmer le contraire « .

Cécilia, l’inspiratrice ?

Or son épouse d’alors, Cécilia, aurait favorisé ladite rencontre, selon l’auteur.  » Je me suis aperçu qu’une Cécilia Nagy figurait dans les listings secrets de la secte. Or le nom complet du président, c’est Sarközy de Nagy-Bocsa. On y trouve également le nom de Jacques Martin, le fameux animateur de télévision qui fut, avant Nicolas Sarkozy, le mari de Cécilia. Laquelle faisait, par anecdote, tourner les tables dans sa jeunesse. C’était assez pour que les théoriciens du complot associent le président à une secte « , relève Emmanuel Fansten, même si des homonymies ne pouvaient être exclues. Plus d’un âne s’appelle Martin, veut l’adage populaire… Pour autant,  » il ne faut pas tomber dans le conspirationnisme et, je le dis clairement, Nicolas Sarkozy n’est pas scientologue « , assure l’auteur.

Ce qui ne l’aurait pas empêché d’avoir joué un rôle discutable lorsqu’il était devenu ministre de l’Intérieur.  » A ce titre, il connaissait nécessairement bien l’Eglise de scientologie et sa dangerosité, notamment sur la base de nombreuses notes des Renseignements généraux. Ceux-ci travaillaient de manière très active sur le sujet.  » Jusqu’à ce que Sarkozy leur fasse lever le pied, explique au Vif/L’Express Emmanuel Fansten.

Le tout s’inscrit sans doute également dans un contexte international. Nicolas Sarkozy frottait la scientologie dans le sens du poil dès 2002. Pour l’auteur, ce n’était pas sans raisons. Enquête judiciaire, procédure en cours : la France irritait depuis des années la secte, parmi les plus riches et influentes de son continent natal. Ce qui avait tendu les relations avec les Etats-Unis, où des dizaines de parlementaires prenaient ouvertement fait et cause pour l’  » Eglise « .  » Il faut savoir qu’elle fut même proche du président Bill Clinton, dont le portrait trône au bureau européen de la secte, à Bruxelles. Il a tenu un rôle clé dans son développement aux Etats-Unis. Le syllogisme était le suivant. Un : la Constitution américaine veut que le gouvernement des Etats-Unis protège toutes les religions. Deux : la scientologie est une religion. Donc, trois, le gouvernement protège la scientologie. Voilà pourquoi les Américains allaient attaquer les pays européens qui luttaient contre l’Eglise en les disant liberticides. Cela ne s’est pas arrêté depuis mais, en 2002, après le 11 septembre 2001, Nicolas Sarkozy voulait calmer le jeu.  » Priorité à l’antiterrorisme, à l’amitié franco-américaine, pas aux sectes.  » A ce moment, il en faisait beaucoup pour plaire outre-Atlantique, quitte à mettre en arrière des valeurs chères aux Français, comme la laïcité.  » Jusqu’à tomber, plus tard encore, dans le piège.

La guerre se fait à Bruxelles

En Belgique, la scientologie, pourtant dépenaillée (250 membres à tout casser ?) au point que ce sont des Français qui occupent principalement le nouveau siège européen du boulevard de Waterloo (9 400 m2 utilisables en plein Bruxelles, quand même…), semble attirer l’extrême droite – à moins que ce ne soit l’inverse. En avril 2008, on apprenait que Johan Demol, alors élu du Vlaams Belang au parlement bruxellois, la soutenait.  » La campagne anti-drogue de l’Eglise de scientologie, je pense que c’est la meilleure campagne de prévention que vous puissiez trouver « , disait-il publiquement, au mépris de la vérité. Et, au mois de janvier 2010, à l’heure d’inaugurer ledit siège européen, c’était au tour du député Hugo Coveliers, satellisé lui aussi par le mouvement extrémiste flamand, de discourir pour l’accueil des scientologues, rappelle l’auteur. Inauguration qui ne devrait rien au hasard, alors que l’organisation est poursuivie dans plusieurs pays de l’Union.  » Une association, la Churches of Scientology for European Communities, a été spécialement créée pour faire de ce complexe un centre opérationnel destiné à irriguer tout le Vieux Continent « , relève-t-il encore. Objectif :  » Convertir les gouvernements hostiles et les institutions européennes à l’idéologie de Ron Hubbard. « 

Conclusion ?  » Centre névralgique du lobbying sectaire, l’Europe est plus que jamais au c£ur de la stratégie scientologue. Carrefour des enjeux géopolitiques, Bruxelles est devenue le nouveau point d’ancrage des héritiers de Ron Hubbard. Aujourd’hui, bien plus encore que Washington dans les années 1990, elle représente le centre opérationnel de la secte.  » A bon entendeur…

(1) Edité chez Robert Laffont.

(2) Quatorze personnes physiques ou morales, dont l’Eglise elle-même, sont inculpées entre autres d’extorsion, d’exercice illégal de la médecine, de non-assistance à personne en danger, d’infractions à la loi sur le respect de la vie privée, d’association de malfaiteurs et d’organisation criminelle.

ROLAND PLANCHAR

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