Une scission à la tchécoslovaque ? Pas si simple…

Les Tchèques étaient dominants et les Slovaques étaient pauvres, certes. Mais l’histoire, la géographie et la géopolitique ont permis en 1993 une  » partition de velours  » inapplicable à la Belgique de 2010.

Six mois. C’est le temps qu’il a fallu entre les élections de juin 1992 et l’accession aux indépendances pour que la Tchécoslovaquie se scinde en deux Etats, la République tchèque et la Slovaquie. Dans le climat de crise institutionnelle permanente que connaît la Belgique depuis 2007, des voix se sont élevées, d’abord en Flandre, pour proclamer que le royaume aurait déjà suivi depuis longtemps le modèle de la  » partition de velours  » (1) à la tchécoslovaque s’il n’y avait pas eu l’épineux dossier de Bruxelles. Le constat est-il si simple à dresser ?  » Non « , répondent en ch£ur les experts en politique européenne, Benoît Rihoux et Jean-Michel De Waele, politologues respectivement à l’UCL et à l’ULB. Et pourtant, au début des années 1990, les Tchèques, majoritaires et dominants (quelque 10,5 millions de citoyens aujourd’hui) d’un côté, les Slovaques, minoritaires et moins nantis (5,5 millions d’habitants en 2010) de l’autre, ne sont pas sans rappeler les Flamands et les Wallons. Mais là s’arrête quasiment la pertinence de la comparaison.

 » Il y a deux différences originelles fondamentales entre l’exemple tchécoslovaque et la situation de la Belgique, note Benoît Rihoux. La partition tchécoslovaque s’inscrit dans un contexte de mutation géopolitique majeure trois ans après la chute du mur de Berlin et l’aspiration à l’indépendance est partagée par l’intelligentsia de l’une et l’autre communautés.  » Les dirigeants tchèques rechignent à encore payer pour la région du sud-est de la république, plus pauvre parce que moins industrialisée. Les responsables slovaques, malgré leur situation économique peu enviable, sont fatigués de la mainmise de leurs voisins sur le pouvoir fédéral de Prague. Après les législatives de 1992 qui ne consacrent pourtant pas le triomphe des séparatistes (le Parti nationaliste slovaque ne recueille que 8 % des voix), les négociations entre le Tchèque Vaclav Klaus et le Slovaque Vladimir Meciar s’enlisent et l’idée de la partition s’impose rapidement. Quasi par défaut. Les récentes déclarations de dirigeants socialistes francophones annonceraient-elles en Belgique un mouvement de type slovaque d’émancipation par rapport à la communauté dominante ? Benoît Rihoux ne l’exclut pas mais doute de l’émergence à court terme de pareille tendance de fond dans le sud du pays tout simplement parce que  » l’identité francophone ou wallonne est faible  » et parce qu’il n’y a pas  » de leaders nationalistes forts  » qui la portent.

Remède de cheval

Jean-Michel De Waele rappelle d’autres spécificités de la scission sans heurts entre la République tchèque et la Slovaquie : peu de relations historiques (la Tchécoslovaquie avait été créée en 1918) ; des populations quasi homogènes ; des frontières non contestées ; pas d’inversion, dans l’histoire, de domination d’une communauté sur l’autre comme en Belgique ; et, pour revenir à l’écueil de Bruxelles, une capitale, Prague, clairement liée à une région et pas revendiquée par l’autre. De surcroît, la dette publique de la Tchécoslovaquie étant ce qu’elle était à l’époque (10 % du PIB), une clé de répartition fut aisément trouvée.

Mais face à ceux qui voient dans le spectaculaire redressement économique de la Slovaquie depuis son indépendance (adhésion à l’UE en 2004 en même temps que la République tchèque, admission dans la zone euro en 2009 alors que la République tchèque n’y figure pas encore) un exemple pour la Wallonie, Jean-Michel De Waele met en garde : ce n’est qu’au prix du recours à  » une politique ultralibérale qui a cassé tous les acquis sociaux  » que cet objectif a été atteint en un délai aussi rapide…

(1) En référence à la  » révolution de velours  » qui libéra la Tchécoslovaquie de l’emprise soviétique.

GéRALD PAPY

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