christian makarian © Eric Garault

Une sacrée Macédoine

Traversée de part en part par les passions identitaires, l’Europe poursuit son odyssée chaotique. Le dernier épisode en est la naissance de la République de Macédoine du Nord, avec Skopje pour capitale, nouvelle dénomination de l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine (Arym), qui se situe au nord de la Grèce et au sud de la Serbie, enclavée entre le Kosovo, à l’ouest, et la Bulgarie, à l’est. Par un accord signé, le 17 juin, entre la Grèce et l’Arym, un contentieux de vingt-cinq ans s’achemine ainsi vers une issue, sous réserve que les Parlements des deux pays (et un référendum) ratifient le texte d’ici à la fin de l’année.

C’est, on l’espère, l’ultime étape du remodelage de l’ancienne Yougoslavie, mais aussi le symptôme d’un retour frappant de l’histoire. Il fallut deux guerres balkaniques, en 1912 et en 1913, avec des revirements d’alliance entre pays voisins et des attisements soufflés par la Russie et les puissances européennes, pour aboutir à des tracés – qui restèrent ensuite contestés. En raison de son peuplement particulièrement varié (initialement des Bulgares, des Albanais, des Serbes, des Grecs, des Turcs, des Valaques et bien d’autres minorités), la Macédoine est devenue un substantif culinaire qui désigne une savante mixture. Aujourd’hui, elle compte toujours une forte proportion d’Albanais musulmans (environ 25 %), des Roms et des Turcs, aux côtés d’une majorité de Slaves orthodoxes.

Une querelle fondamentale se dénoue au coeur de l’Europe

Depuis la proclamation de l’indépendance, en 1991 (suivie de l’admission à l’ONU sous le nom d’Arym, en 1993), c’est ce mélange humain si hétéroclite qui a en grande partie décidé les autorités de Skopje à imposer le nom mythique et unificateur de Macédoine pour désigner la nouvelle nation (terme qui ne s’appliquait jusque-là qu’à une région yougoslave) et à revendiquer ipso facto un héritage historique glorieux, emprunté par simple homonymie à la terre natale d’Alexandre le Grand. Sauf que ce dernier, fils de Philippe II de Macédoine, était non seulement grec, mais aussi le père indiscutable de l’hellénité et de l’hellénisme. Alexandre et son père sont les deux piliers du récit national dont Athènes est la descendante directe.

Pour la Grèce, la Macédoine a donc une signification politique existentielle : c’est en se réenracinant dans la Grèce antique, chérie des philhellènes occidentaux du xixe siècle, que le peuple grec, dont le destin se poursuivit à Constantinople du ive au xixe siècle après J.-C. en prenant le nom d’Empire byzantin, a pu renaître après l’insurrection contre l’occupation ottomane et l’accession à l’indépendance (1822). La Grèce actuelle, en proie à tant de difficultés, se nourrit de cette gloire. C’est la raison pour laquelle elle ne renoncera jamais à son exclusivité sur la Macédoine : invariablement, Athènes a mis son veto à l’adhésion de l’Arym à l’Union européenne ainsi qu’à l’Otan et a exigé de Skopje un changement de drapeau puis de dénomination. Pour compliquer le dossier, la Russie soutient les revendications de la Macédoine dans le but de poursuivre sa poussée vers le sud ; les Etats-Unis ont reconnu le nom de Macédoine, en 2004, pour gagner un allié supplémentaire ; la France et l’Allemagne, elles, s’en sont tenues au terme d’Arym pour ne pas heurter la Grèce ; la Turquie représente le meilleur allié de Skopje, ne serait-ce que pour affaiblir Athènes.

C est ce noeud gordien qui devrait enfin se défaire. Depuis mai 2017, avec l’accession au pouvoir d’un Premier ministre social-démocrate, Zoran Zaev, Skopje manifeste le désir de trouver une solution pour sortir de son isolement. A vrai dire, le compromis sémantique qui vient d’être conclu – République de Macédoine du Nord – ne satisfait guère les patriotes des deux bords, encore moins les nationalistes. Mais la stabilité de la région devient une priorité, en particulier pour la Grèce, qui subit actuellement un regain de tension de la part de la Turquie. L’histoire n’a pas fini de parler.

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