Une petite révolution

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le décret de 2009 encourage l’intégration d’élèves handicapés dans les classes. Un an après, leur nombre a plus que doublé. Mais  » cette intégration reste un privilège « .

Une belle intention, le décret du 5 février 2009, avec pour motif une volonté d’intégrer les enfants handicapés dans l’enseignement ordinaire, que le handicap soit moteur ou qu’il relève de troubles comportementaux. Le texte de 2004 introduisait déjà le principe sans grand succès sur le terrain. Il limitait l’accès aux élèves sourds, malentendants, aveugles, malvoyants, et infirmes moteurs cérébraux. Et pour les autres enfants, le parcours était semé d’embûches.

Le décret 2009 fait sauter les verrous, en incluant tous les  » enfants à besoins spécifiques « , comme les élèves atteints de troubles cognitifs. Il simplifie aussi – ce n’est pas rien ! – l’inscription des familles : l’élève est attaché à une école spécialisée mais ne doit pas physiquement la fréquenter. Il suit les cours au sein d’une classe ordinaire et reçoit l’appui d’un enseignant spécialisé, quatre heures par semaine. Mieux : la formule permet à des élèves, grâce à ce soutien individuel, de ne pas basculer dans le spécial, où ils n’ont pas leur place.

Sur le papier, donc, on progresse. Qu’en est-t-il réellement ? Signe d’une meilleure insertion : en 2008, 170 sur les 31 453 élèves du spécialisé étaient accueillis dans une classe ordinaire. A la rentrée 2009 (soit depuis le récent décret), la Communauté française en a compté 511. Parmi ceux-ci, 16 élèves sont intégrés en maternel ordinaire : il n’y en avait aucun en 2008. Un an après, pour cette rentrée, il est un peu tôt pour tirer un bilan. Mais  » le mécanisme s’amplifie « , souligne Jean-François Delsarte, en charge de l’enseignement spécialisé au cabinet Simonet. Pour l’instant, on dénombrerait déjà 200 nouvelles demandes d’intégration.

Des bonnes nouvelles qui n’occultent pas la réalité du terrain. Notamment, financière (1,2 million d’euros dédiés à l’intégration scolaire en 2010). Dans certains cas, quatre heures d’appui par semaine, ce n’est pas toujours suffisant. En dehors de l’école, les familles motivées se démènent et trouvent des financements complémentaires.  » Le décret ne peut s’appliquer correctement que si les établissements sont mieux équipés et les enseignants spécifiquement formés, alors que les classes spéciales se limitent à 15 élèves et ont du matériel adapté « , observe Philippe Tremblay, ex-chercheur à l’ULB, aujourd’hui professeur à l’université Laval (Québec).

Le décret n’oblige pas les directions à inscrire les élèves handicapés dans leur école.  » L’intégration scolaire n’est pas un droit mais un privilège. Sur ce point, ce texte ne va pas assez loin « , déclare Philippe Tremblay. En effet, elle repose sur la bonne volonté et la motivation du corps enseignant. Sans compter les multiples résistances d’autres familles qui craignent que l’accueil de handicapés ne nuise à la scolarité de leurs enfants. Alors qui, de l’école ou des parents, doit décider de l’intégration ou non d’un enfant handicapé dans une classe ordinaire ? Directions, enseignants, centres PMS et parents doivent s’entendre. Or, parfois, des décalages d’appréciation de l’intérêt de l’enfant entre les acteurs appellent des arbitrages délicats. Comme Margot, 6 ans, tétraplégique. Ses parents se battent pour faire admettre leur fille dans l’enseignement ordinaire. Pour cela, il faudrait recruter une infirmière à temps plein pour encadrer la fillette en classe. Son dossier a reçu un avis défavorable de la Communauté française.  » Le décret ouvre des portes, mais son objectif n’est pas le préceptorat. On ne va pas mettre 32 000 « précepteurs » au côté des 32 000 élèves à besoins spécifiques et les intégrer dans une classe ordinaire « , répond Jean-François Delsarte. Au-delà du cas de Margot, certains élèves touchés par un handicap restent difficiles à intégrer.  » C’est de la haute couture, du cousu main, et non du prêt-à-porter. « 

SORAYA GHALI

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