Une peinture sans remords

Guy Gilsoul Journaliste

Comment singulariser une peinture sinon en la comparant à d’autres ? L’idée parcourt avec efficacité l’exposition Frans Hals (1582-1666) à Haarlem.

Frans Hals oog in oog met Rembrandt, Rubens, Van Dyck, Titiaan. Frans Hals Museum. Groot Heiligland 62, Haarlem (Pays-Bas). Jusqu’au 28 juillet. www.franshalsmuseum.nl

Lorsque Frans Hals naît, en 1582, cela fait seize ans que ses parents ont fui le climat d’inquisition imposé à Anvers par le régime catholique espagnol pour rejoindre Haarlem. La richesse de la ville commerçante (le lin et la bière), son intérêt pour la culture ainsi que la douceur de vivre libre offriront au peintre des conditions idéales d’épanouissement. Même la perspective de rejoindre l’Angleterre comme peintre de cour, une proposition que lui fera Van Dyck, le laissera de marbre. A d’autres les intrigues. Frans Hals préfère s’amuser. Dans l’auberge qu’il fréquente, la devise est claire :  » Par-dessus tout l’amour.  » Oui, il s’amuse. Et ses peintures regorgent à leur tour de sourires voire de rires et de visages empourprés par l’ivresse. Il a des amis, des protecteurs et 14 enfants. Mais alors qu’à plus de 80 ans il réalise ses oeuvres les plus audacieuses (certains diront, les plus modernes), il tombe en disgrâce. Une page se tourne. Pis, l’Histoire le dénigre. Ainsi le décrit-on, au xviie siècle, comme  » abruti par le vin « . En 1835, un biographe surenchérit :  » Il passait la nuit dans les auberges les plus crapuleuses.  » D’autres enfoncent le clou (en le confondant avec un homonyme) en pointant ses démêlés avec la justice pour dettes impayées et violence envers sa femme. En réalité, sa vie privée n’est que prétexte. La cible est avant tout la manière brute de sa peinture et la rapidité de l’exécution. Un de ses portraits aurait été brossé en trois heures ! Bref, il faudra attendre d’autres audacieux qui s’appellent Manet, Whistler ou encore Van Gogh pour sortir Hals de l’ombre.

Une exception dans la peinture ancienne ?

En fait, cette façon de peindre en une seule couche, sans remords et sans dessin préparatoire (dite  » a la prima « ) n’était pas tout à fait neuve. Dans l’exposition néerlandaise, une toile de Titien montre en effet comment le vieux maître vénitien avait, avec audace, repris un travail ancien en l’enrichissant d’une gestuelle presque sauvage. Une autre peinture (moins convaincante) rappelle que Le Tintoret avait, en cette même fin du xvie siècle, cassé les prix du marché grâce à une rapidité étourdissante d’exécution. En réalité, au moment où Frans Hals se lance dans la carrière de peintre, deux choix s’offrent à lui : la manière méticuleuse des peintures de fleurs façon Breughel de Velours, ou cette autre, plus libre et plus directe. Celle que lui propose, via le modèle maniériste italien, son maître Karel Van Mander, réputé pour son talent de biographe des artistes de son temps (le Schilderboek, 1604). Au fil des ans, Hals s’enhardit, mais il remplace le doute par une insolente bonne humeur.

Pour la première fois, un musée propose donc de regrouper autour de motifs proches voire identiques (portraits isolés, groupes, musiciens) des oeuvres dites  » a la prima  » de Frans Hals, et de quelques géants du xviie siècle, flamands d’une part (Rubens, Van Dyck, Jordaens), hollandais de l’autre (Rembrandt). Elle ménage enfin d’autres comparaisons avec des contemporains qui n’ont pas suivi cette façon de peindre.

Guy Gilsoul

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