Nombre d'ateliers sont mobilisés dans la manufacture de Zenith : bureau technique, ingénierie, design, recherche et développement.

Une passerelle entre innovation et tradition

Au cours de son histoire, la manufacture Zenith s’est notamment distinguée par un fondateur visionnaire, un maître horloger rebelle, le premier mouvement chronographe automatique devenu le plus réputé au monde, un CEO  » horlostar  » et, dernièrement, un nouvel oscillateur révolutionnaire. Déjeuner avec le CEO, Julien Tornare.

Il fut un temps où le mouvement El Primero, un des calibres de série les plus précis au monde depuis 50 ans, était presque plus réputé que la marque qui le produisait. Il répondait en tous points à la philosophie de précision et de fiabilité du fondateur de la Maison Zenith, Georges Favre-Jacot. Ce mouvement équipe non seulement des modèles propres à Zenith mais, en raison de sa précision due à une fréquence de 36.000 alternances par heure, de sa longue réserve de marche supérieure à 50 heures et de son remontage automatique à double sens du rotor, il a aussi séduit Rolex, Boucheron, Panerai, Daniel Roth ou Hublot.

Aujourd’hui, ce mouvement, qui fêtera ses 50 ans l’année prochaine, reste un des plus prisés de la planète Temps. Mais il est désormais réservé aux marques du groupe LVMH dont fait lui-même partie Zenith depuis 1999.

Or, sans un maître horloger rebelle, tout l’outillage et les plans de fabrication de ce joyau auraient pu être à jamais perdus depuis les Seventies. La société américaine Zenith Radio Corporation, à laquelle la marque du Locle appartenait depuis 1971, avait en effet décidé d’arrêter, à cette époque, toute la production de montres mécaniques au profit du quartz qui, il faut bien l’avouer, répondait sacrément aux impératifs de précision et de fiabilité initiés par le fondateur de la Maison en 1865. Pour la direction, l’ensemble des machines, des calibres et de l’outillage était irrémédiablement voué à la casse, et les mouvements encore en assemblage furent envoyés tel quels au stock. À peine né, El Primero se voyait donc déjà mis au rebut.

Julien Tornare, CEO :
Julien Tornare, CEO :  » Mon but chez Zenith est d’y implémenter un start-up spirit. « 

Heureusement, un esprit rebelle nommé Charles Vermot, un des plus anciens horlogers de la Maison, décida de déménager clandestinement durant des nuits, dans un grenier inutilisé, les cames et les outils de coupe, les étampes et les dossiers de production. Ce grenier existe toujours et peut être visité aujourd’hui en même temps que la manufacture.

Nouveau départ

Dans les années 80, grâce à l’esprit d’entreprise d’un génial Nicolas Hayek – fondateur du Swatch Group – l’horlogerie mécanique reprit timidement du poil de la bête, parallèlement au développement du quartz, et son succès alla grandissant jusqu’à la période de relative stabilité que nous connaissons aujourd’hui, mais qui reste inespérée par rapport aux craintes qu’avait engendré le quartz lors de son apparition dans les années 70.

C’est Rolex qui, en 1984, eut vent du trésor caché par Charles Vermot et décida de convaincre Zenith de lui fournir une série de mouvements El Primero pour équiper son modèle Daytona avec, il est vrai, quelques modifications maison à la clé. Cette étape engendrera une véritable renaissance. Et Zenith déclinera, en interne, une vingtaine de fonctions et/ou complications d’El Primero pour étayer le bien-fondé de sa réputation de précision : tourbillon, grande date, rattrapante, répétition minutes, réveil, date rétrograde, foudroyante…

Cependant, tout cela ne suffira pourtant pas à rendre à la manufacture sa grandeur d’antan. La succession en cascade de nouveaux CEO non plus d’ailleurs. Et pourtant, la Maison progresse d’un pas lent mais mesuré. En 2010, son module gyroscopique  » Gravity Control  » pour le modèle Academy Christophe Colomb surprend par sa complexité.

L’homme et le produit

Première tentative pour faire passer Zenith à l’avant-plan de la mode horlogère mécanique : en 2001, LVMH délocalise le très branché Thierry Nataf de Veuve Clicquot en Champagne à Zenith au Locle. Durant son mandat, on parlera malheureusement moins de la marque que de l’homme lui-même. Le plus sobre Jean-Frédéric Dufour, en provenance également de chez Veuve Clicquot, lui succède en 2009, mais il se fera très vite débaucher par… Rolex. Aldo Magada (ex-Omega, Piaget, Gucci, Breitling) le remplace en 2014, mais celui qui est aujourd’hui à la tête d’Anonimo et de Vulcain, partira lui aussi et c’est Julien Tornare, un ancien de chez Vacheron-Constantin, qui mène la barque Zenith depuis mai 2017. Selon Jean-Claude Biver, responsable du pôle horloger de LVMH qui l’a recruté et vient lui-même de mettre un pas de côté pour des raisons de santé,  » Julien dispose d’une solide expérience internationale et commerciale en horlogerie. Elle sera cruciale pour le développement de la marque Zenith qui renoue avec le succès.  »

Nombre d'ateliers sont mobilisés dans la manufacture de Zenith : bureau technique, ingénierie, design, recherche et développement.
Nombre d’ateliers sont mobilisés dans la manufacture de Zenith : bureau technique, ingénierie, design, recherche et développement.

Nous avons rencontré récemment le nouveau CEO de Zenith à l’issue de notre visite à la manufacture du Locle, moins d’un an après qu’il ait lancé la Defy Lab, une montre révolutionnaire qui entamera sa vie de série dès l’année prochaine. Julien Tornare (né en 1972 à Genève) avait rejoint Vacheron Constantin en l’an 2000, d’abord en tant que responsable du marché suisse puis en tant que Président du marché nord-américain. À la tête des ventes internationales de Vacheron Constantin de 2009 à 2011, il a ensuite contribué à développer la région Asie-Pacifique dont il a été le Managing Director jusqu’en avril 2017.

Le rapport qualité-prix

L’homme nous reçoit en costume foncé, col bleu ouvert. Nous irons déjeuner à pied dans les hauteurs du Locle, à deux pas de la gare, Chez Sandro, le meilleur Italien de la région. Sympathique et bon vivant, il fait aussi preuve d’ordre et de rigueur, ne fût-ce que pour programmer le déroulement du déjeuner dans les temps impartis. C’est bon signe.

Où situez-vous Zenith parmi les marques de qualité de l’industrie horlogère suisse ?

Julien Tornare : Zenith représente une passerelle entre le monde dans lequel nous vivons, innovant et très rapide, et celui d’une tradition de savoir-faire. Nous sommes fiers de notre héritage mais nous nous exprimons aujourd’hui de la manière la plus contemporaine qui soit. Certaines marques demeurent emprisonnées par leur histoire, d’autres sont très jeunes et s’expriment librement sans références historiques. Je veux suivre une tout autre direction pour Zenith. La Defy Lab est le meilleur exemple de la philosophie de la marque qui bouscule trois siècles d’organe réglant.

L’an dernier, vous avez présenté 10 exemplaires de la Defy Lab, une montre avec un nouveau type d’oscillateur qui remet en question le principe même de fonctionnement des montres mécaniques (un ressort-spiral couplé à un balancier) inventé par le Néerlandais Christiaan Huygens au XVIIe siècle. Où en est la commercialisation de ce modèle ?

Julien Tornare : La production en  » petite  » série – quelques centaines de pièces – sera lancée l’an prochain. Je rappelle que l’invention que contient ce nouveau modèle est un oscillateur formé d’une seule pièce, monolithique, en silicium monocristallin avec des détails plus fins qu’un cheveu, remplaçant un balancier-spiral traditionnel. La trentaine de composants d’un organe réglant standard qui nécessite assemblage, ajustement, réglage, contrôle, lubrification, etc. sont remplacés ici par un seul élément d’une épaisseur de 0.5 mm, contre 5 mm habituellement.

Zenith a produit jusqu’à 400.000 montres par an. Vous en produisez 20.000 à 25.000 aujourd’hui. L’excellent rapport qualité-prix de jadis, possible avec les quantités d’antan, peut-il encore s’envisager ?

Peut-être que les processus de fabrication vont nous permettre, à l’avenir, de fabriquer des mouvements  » in house  » à moindre prix. Nous essayons également d’adapter les marges, mais le niveau de qualité doit absolument être maintenu. À part Rolex, il n’existe pas beaucoup de marques qui proposent une montre mécanique avec un mouvement maison pour quelque 4.500 ?, avec la qualité et les quantités propres à Zenith. Mon objectif restera de nous montrer bien meilleurs que la concurrence dans ce rapport qualité-prix. Les connaisseurs veulent de plus en plus acheter au juste prix. Sans culture horlogère, on ne peut pas comprendre le coût d’une montre mécanique. J’ai connu des millionnaires, des milliardaires parfois, aux USA, qui portaient une montre à 20 dollars… Jusqu’au moment où ils avaient l’occasion de visiter une manufacture et d’y observer le travail réalisé.

Le mouvement El Primero fête ses 50 ans.
Le mouvement El Primero fête ses 50 ans.

Les choses qui fonctionnent

En 2019, vous fêtez les 50 ans d’El Primero, vous lancez la Defy Lab en série, et l’année magique 2020 se profile déjà…

Nous finalisons nos projets pour l’an prochain et commençons déjà, effectivement, à penser à 2020. L’année prochaine sera une année de consolidation de la ligne Defy. Et une très grosse année pour le produit le plus connu de la marque : El Primero. Cet anniversaire va d’ailleurs s’étendre sur 2 ans. Nous nourrissons de très gros projets à cet égard.

Vos familles de modèles et vos mouvements vont-ils se multiplier ?

Nous proposons actuellement 4 familles de montres : Pilote, Defy, Elite et Chronomaster. J’ai entamé un gros travail de rationalisation du catalogue. Vendre tout à n’importe quel prix, c’est terminé ! L’industrie doit se réinventer. Ce qui signifie réduire le nombre de références et se concentrer sur les choses qui fonctionnent. On ne peut plus se payer le luxe de produire des montres qui ne se vendront pas ou trop lentement. Les détaillants ne peuvent plus l’assumer. Dès que nous lançons une nouvelle montre, nous devons surveiller directement le véritable sell out, c’est-à-dire la vente au consommateur et non pas au détaillant. À l’époque Nataf, la marque était montée à plus de 800 références. Quand je suis arrivé, il y en avait encore 178. Nous allons descendre en dessous de 100 et nous concentrer sur les pièces qui tournent. Nous comptions 841 points de vente, nous en sommes aujourd’hui à 612, mon objectif étant de descendre en dessous de 500. Concentrer nos efforts pour mieux travailler avec nos détaillants : tel est mon objectif, en gagnant des parts de marché auprès d’eux, au lieu d’ouvrir de nouvelles enseignes représentant une dilution des efforts qui ne mène à rien. L’histoire l’a prouvé.

La Defy Lab bouscule trois siècles d'organe réglant.
La Defy Lab bouscule trois siècles d’organe réglant.

Et les montres connectées ?

Elles sont magnifiques mais on n’en fera pas chez Zenith. Chez nous, c’est la précision et la fiabilité des montres mécaniques qui compte. Les montres connectées sont déjà obsolètes, ce ne sont qu’un support parmi d’autres. Il y en aura bien d’autres, à terme. Des milliers. De plus en plus de Chinois portent deux montres. D’un côté la montre-outil de santé, de communication, etc. et de l’autre, la montre qui affirme qui ils sont.

L’importance du détaillant

Comme envisagez-vous les méthodes de vente de demain dans le secteur horloger ?Internet devient de plus en plus populaire.

À l’heure de l’e-commerce, beaucoup de marques se lancent dans le retail. Certaines communiquent même sur un rôle exclusivement retail et non plus sale. Je suis personnellement convaincu par une approche omni-channel. Il est important d’avoir ses propres boutiques comme ambassadeurs de la marque, nous en comptons 9 en interne et une dizaine en externe, mais on ne peut pas oublier les détaillants comme le font beaucoup de marques. Ils ont parfois servi les marques pendant des décennies et certaines disent qu’elles n’en ont plus besoin aujourd’hui. Je suis persuadé que c’est une erreur. Nous vendons des produits techniques et compliqués. Les gens ont donc besoin d’être conseillés dans un point de vente multimarques où ils ont l’impression de recevoir un conseil neutre et personnalisé, plus avisé et plus honnête que dans une boutique de marque. Cette approche-là reste importante. Internet est formidable mais crée aussi beaucoup de doutes. Le détaillant est un professionnel sachant manier le conseil et le service.

 » Nous allons descendre en dessous de 100 références. « 

Les produits changent, la vente aussi : qu’en est-il de la fonction de CEO ?

Elle change aussi. Mon but chez Zenith est d’y implémenter un start-up spirit. Ce n’est pas parce qu’on a 153 ans qu’on ne doit pas s’adapter aux méthodes de travail modernes. Je m’y applique.

 » Nous allons descendre en dessous de 100 références. « 

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