Untilted fait partie de la série des Felt Pieces, ces pièces de feutre particulièrement fragiles. © FONDATION CAB, 2021

Une oeuvre à la loupe

Pésentée au sein de « Structures of radical will », cette oeuvre de Robert Morris (Kansas City, 1931) est à ne manquer sous aucun prétexte: c’est probablement la dernière fois qu’elle se donne au grand public. Et pour cause, son propriétaire, l’artiste français Bernar Venet a signifié son intention de désormais la mettre à l’abri pour en assurer la préservation. On ne peut que le comprendre, Untitled fait partie de la série des Felt Pieces, des pièces en feutre – il faudra un jour que quelqu’un écrive un livre sur les occurrences de ce textile au sein de l’art moderne et contemporain – dont la fragilité n’a d’égal que le statut de véritable « apparition » plastique. Pour le visiteur, il s’agit d’une sorte d’uppercut visuel permettant d’appréhender tout le génie d’une figure essentielle du minimalisme américain des années 1960.

Alors que les sceptiques reprochent à l’art minimal son absence de chair, les larges pans de tissu industriel, coupés de manière géométrique, de cette oeuvre affichent un destin christique. Ecartelé au mur en deux endroits, Untitled s’inscrit dans la lignée d’une iconographie lestée d’une tradition, celle de l’incarnation. Soumise à la pesanteur, elle rejoue une douloureuse crucifixion faisant systématiquement valoir une nouvelle modalité d’apparition – celle-ci dépend des circonstances d’accrochage à chaque fois différentes.

Cette phénoménologie fascine en ce que le regardeur se surprend à souffrir dans sa chair le constat de l’écartèlement horizontal-vertical à l’oeuvre. Nul ne peut rester indifférent face à une proposition ainsi tragiquement distendue entre le désir d’ élévation du dispositif et le fait que celui-ci est immanquablement rattrapé par les forces de la gravité. Ironie du sort, que Morris n’aurait pu prévoir, une autre forme surgit, omniprésente au coeur d’une époque malade: celle d’un masque chirurgical entaillé de manière vengeresse. On dira pour conclure que Untitled n’est qu’une infime partie d’une exposition passionnante, signée par la curatrice Béatrice Gross, sur le caractère inépuisable des pratiques minimales et postminimales.

A la Fondation CAB, à Bruxelles, jusqu’au 24 juin.

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