Une guerre du Golfe

Laïques, traditionalistes, salafistes, djihadistes… Les fractures entre insurgés reflètent les rivalités pour le leadership régional entre leurs parrains saoudiens, qataris, koweïtiens… Ce qui complique le débat occidental sur l’assistance à apporter aux anti-Assad.

Quelques jours après la déclaration d’allégeance à Al-Qaeda du Front Al-Nosra, qui se bat en Syrie contre le régime de Bachar el-Assad, John Kerry annonçait le doublement de l’aide américaine aux autres rebelles syriens.  » C’est désormais un double hamburger auquel auront droit les combattants « , ironise un activiste à propos des 250 millions de dollars de matériel  » non létal  » promis par le secrétaire d’Etat, le 21 avril, à Istanbul, lors de la conférence des Amis de la Syrie. L’aide ira dans les  » bonnes mains  » du général Selim Idriss, 53 ans, commandant du Conseil militaire suprême (CMS) de l’Armée syrienne libre (ASL). Cette structure a été créée en décembre 2012, lors d’une réunion en Turquie qui a rassemblé 260 chefs rebelles qui ont élu les 30 membres de son commandement. Elle est la nouvelle adresse clairement identifiée comme le destinataire de l’aide internationale, y compris des armes éventuelles que les pays occidentaux pourraient se décider à livrer aux insurgés syriens. Encore faut-il qu’elle réussisse à accomplir sa très ambitieuse mission d’unifier et de coordonner l’ensemble des forces qui veulent renverser le régime de Damas. Un chantier colossal, compte tenu de la fragmentation du mouvement en centaines de brigades, bataillons, unités et milices qui opèrent sur un terrain morcelé où chaque localité a son front, son patron et ses parrains.

 » La rébellion syrienne est composée essentiellement (à plus de 80 %) de civils ayant pris les armes à partir de l’automne 2011 « , rappelle Elizabeth O’Bagy du Institute for the Study of War à Washington. Cette chercheuse américaine de 27 ans a passé des semaines à sillonner tous les champs de bataille syriens et à s’entretenir avec les commandants et les combattants. Elle distingue deux catégories principales : d’une part,  » les brigades locales, affiliées à l’ASL et regroupées dans des conseils provinciaux, qui défendent leur ville ou leur village et sont financées par les gouvernements saoudien ou qatari « . D’autre part, les  » franchisées « ,  » plus motivées idéologiquement parce que patronnées et financées par des sources privées du Golfe « . Les deux mènent souvent des opérations conjointes sur de nombreux fronts contre l’armée régulière, notamment dans les régions d’Idlib et d’Alep. Depuis l’été 2012, la conquête par la rébellion de la bande frontalière avec la Turquie a ouvert la voie des lignes d’approvisionnement en armes et en argent tous azimuts. Nombre de voyageurs traversant les postes- frontières de Bab al-Hawa ou Bab al-Salama ou d’habitants des localités de Taftanaz ou Tall Abyad ont été témoins des valises de cash portées personnellement par des cheikhs saoudiens ou koweïtiens. Motivés par le combat sunnite contre le régime alaouite, allié de l’Iran, ces bailleurs distribuent leur manne aux chefs de groupes salafistes et disposent de relais pour suivre les dépenses. Ces financements directs ont créé des réseaux clientélistes et des rivalités locales aux effets dévastateurs. Les seigneurs de guerre se sont multipliés, notamment parmi certains chefs civils qui, en prenant les armes, ont gagné une influence dont ils n’auraient jamais osé rêver dans leur village.

Le retour en force de l’Arabie saoudite

Dans le même temps, une  » rivalité effrayante « , selon l’expression d’Elizabeth O’Bagy, pour le contrôle de l’ensemble de l’ASL s’est développée entre les deux pays bailleurs, l’Arabie saoudite et le Qatar. Ce dernier, avec la complicité de la Turquie, dont le jeu est trouble, a invité les principaux commandants des provinces à une réunion à Doha en leur promettant armes et argent afin d’acheter leur allégeance exclusive. Enrageant de l’OPA qatarie, les Saoudiens ont réagi en faisant annoncer par une vidéo sur la chaîne Al-Arabiya, qu’ils contrôlent, la constitution d’un nouveau commandement des cinq fronts syriens. Les déchirements ont pu être arrêtés avec la création, à la mi-novembre 2012, de la nouvelle structure de l’opposition politique : la Coalition nationale syrienne, rejointe par les différents chefs militaires. Un mois plus tard, sous la pression des pays occidentaux, le CMS du général Idriss a été formé, rassemblant sous ses ordres le plus grand nombre de brigades.

Si le front nord syrien est devenu un véritable Far West, avec la Turquie dans le rôle de l’apprenti sorcier (qui consiste notamment à laisser faire les djihadistes du Front Al-Nosra), l’Arabie saoudite a fait un retour en force sur la scène militaire syrienne en ouvrant un front à l’opposé du territoire. S’appuyant sur son fidèle allié jordanien et avec le soutien et les conseils des Etats-Unis, le royaume a mobilisé armes et fonds substantiels pour permettre à l’ASL de mener des attaques dans le sud de la Syrie. Visant les installations stratégiques du régime dans les provinces de Deraa et du Golan, les insurgés ont remporté, ces dernières semaines, des batailles significatives, occupant même des portions du territoire jusqu’aux faubourgs de Damas. Différents groupes rebelles ont participé à ces opérations qui  » ont démontré une meilleure coordination entre eux dans le cadre du CMS « , selon un rapport du Institute for the Study of War. Celui-ci ne cache pas son objectif de vouloir amener l’administration américaine à soutenir activement l’opposition armée syrienne et ses nouvelles structures fiables.  » Nous sommes de plus en plus entendus… sauf du président Obama « , confie Elizabeth O’Bagy.

HALA KODMANI

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