Une guerre, dans les Ardennes

Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

Tant Marche que Ciney et Durbuy ont subi l’Occupation dans une relative tranquillité. Jusqu’au travail obligatoire de 1942 : résistance et représailles deviendront alors les points marquants de cette guerre dans la semi-ruralité.

Pas besoin d’être grand clerc pour deviner qu’en 1940, à l’approche du second conflit mondial, Marche-en-Famenne, Ciney et plus encore Durbuy n’étaient pas exactement de grandes métropoles industrielles. Marche (4 000 âmes) et Ciney (environ 5 600), tout au plus, pouvaient se hisser au statut de petites agglomérations. Curieusement, Durbuy, de par son passé, était, elle, considérée comme une petite ville, malgré ses… 300 habitants ! Une petite ville où le tourisme, essentiellement né à l’entre-deux-guerres, s’était déniché une place de choix, laissant au secteur Horeca l’opportunité de se développer et d’emmener l’entité sur les pas de la modernité. A la veille des hostilités, les trois cités sont dirigées de longue date par des collèges conservateurs : catholiques et libéraux s’y querellent gentiment, sans grand excès. Dans la zone, le rexisme a pourtant fait une percée notable aux législatives de 1936 : mais l’asservissement total de Degrelle et les siens à l’Allemagne nazie va rapidement couper le mouvement d’une partie de ses sympathisants. Lesquels, encore traumatisés par les agissements allemands de 1914-1918, voyaient d’un très mauvais £il le voisin teuton. Elles vont malheureusement devoir  » faire avec  » pour les années qui vont suivre. Et s’accommoder, comme partout ailleurs en Belgique.

 » Le lot commun aux trois villes dont il est question ici ? Elles ont été faiblement défendues devant l’invasion des Panzers allemands, le 10 mai 1940. Et elles tombent quasiment sans combats, même s’il y eut quelques escarmouches, à Marche et Ciney (avec des petits dégâts matériels essentiellement, au contraire de ce qui a pu se passer à Bouillon, Neufchâteau ou Jemelle). Quand les Allemands entrent dans les villes, la population a déjà pris la route de l’exode. A la fin du mois de mai, il restait ainsi quelque 900 Marchois… Les gens finiront pourtant par rentrer, durant l’été, et vivront une Occupation assez peu agitée. Les premiers temps du moins « , commente Alain Colignon, historien au Ceges-Soma (Centre d’études et de documentation guerre et sociétés contemporaines) et spécialiste de la Belgique francophone occupée.

Tension nerveuse

Pour un petit temps, une Kommandantur locale s’installe à Marche, avant d’être transférée à Bastogne : seuls… six feldgendarmes restent à quai ! A Durbuy comme dans l’ensemble des Ardennes, c’est le secteur Horeca qui tire la langue : le tourisme subit logiquement un coup d’arrêt tandis que les  » petites gens « , ouvriers modestes ou pensionnés, n’ont pas les moyens d’accéder au marché noir. Il existe néanmoins une sorte de solidarité villageoise qui permet de contourner les carences alimentaires trop profondes…

 » Comme partout ailleurs, l’instauration du travail obligatoire, en octobre 1942, va irriter les populations. Surtout que, dans la région, on se rebelle particulièrement contre les ponctions alimentaires exercées par l’occupant et par la Corporation nationale de l’agriculture et de l’alimentation, un parastatal d’Ordre nouveau. Les réfractaires au travail obligatoire deviennent de plus en plus nombreux au fil de l’année 1943, la Résistance gonfle ses rangs, surtout pour l’Armée secrète et le Mouvement national belge, traditionnellement plus conservateurs. Les Allemands réalisent que l’insoumission se développe et envoient la GFP (Geheime Feldpolizei) pour lutter contre le maquis naissant « , poursuit Alain Colignon. Des clichés pris en avril 1943 prouvent que les destructions n’ont pas épargné Ciney, même si les renseignements ne sont pas légion quant à cette zone précise.  » Il est possible que des bombardements ponctuels s’y soient déroulés « , commente Alain Colignon…. Des massacres de civils s’y produiront également, à partir du printemps 1944 : l’occupant, conscient de l’importance de la Résistance, va organiser des battues en recourant à des milices de collaboration et à des unités de l’Armée Vlassov (armée de libération russe).  » Comme un malheur n’arrive jamais seul, ces régions vont également subir les bombardements alliés, en vue du Débarquement. Marloie, proche de Marche, va être quasiment entièrement détruite suite au bombardement et à l’explosion d’un train de munition, le 21 mai 1944. « 

La Libération approche. La tension nerveuse est à son comble, les attentats de résistance se multiplient et les Allemands réagissent, procèdent à des représailles et les habitants, qui pensaient que le Débarquement de Normandie rimait avec Libération, devront encore attendre trois douloureux mois avant de voir un soldat américain entrer sur le territoire de leur ville.  » Les 8, 9 et 10 septembre, la région est enfin libérée, mais plusieurs villages environnants comme Longueville, Sauvet ou Marcourt sont meurtris, victimes de représailles. La fin de la guerre arrive, l’offensive des Ardennes vient mourir aux portes de Marche, l’égratignant un peu, mais elle épargne Durbuy et Ciney.

Malgré toutes les démarches entreprises, l’auteur n’a pas pu retrouver l’origine de certaines photographies. S’ils se reconnaissent, les ayants droit de ces photos peuvent prendre contact avec la rédaction.

GUY VERSTRAETEN

Les gens modestes n’ont pas accès au marché noir

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